Dans le livre, page 155 : il a collé un extrait du journal

"LE COQ GAULOIS" du 11 janvier 1917 qui parlait de lui.

Numéros 98 Du COQ GAULOIS du 11 janvier 1917
Numéros 98 Du COQ GAULOIS du 11 janvier 1917

AU FOND D'UNE GROTTE

Savez-vous, chers lecteurs, ce que j'ai découvert un jour, à la lueur d'une bougie, au fond d'une grotte humide, malsaine? Je vous le donne à deviner entre mille Mais écoutez plutôt,  car la chose vaut la peine d'être contée.

Donc un prêtre ayant été demandé pour dire la sainte

Messe à une batterie perchée sur le plateau de........je

prends mes cliques et mes claques -- entendez : bâton, tampon masque, casque et tout l'attirail du soldat fin de siècle — et, à la pointe du jour, par un dimanche d'hiver, je dirige mes pas vers ce coin qui n'a assurément rien de commun avec les Champs-Elysées. Tout semble dormir encore, même les canons. J'en vois, au passage, blottis dans leur gîte. On dirait des bêtes fauves ivres de sang, les yeux baissés, l'air fatigué, qui achèvent en silence une digestion difficile. Oui, mais au moindre signe, tout à l'heure, ils vont relever la tête, d'un geste nerveux et, la respiration haletante, de leur gueule fumante ils vomiront la mort. Pour l'instant, la meute est au repos, et le chemineau qu'enveloppe la brume passe tranquille.

Après, bien des marches et des contremarches, me voici à la grotte où se cache la batterie. L'entrée en est sombre comme doit être le vestibule de l'enfer. Un grand gaillard fait la corvée de quartier. Il a, sans doute, reçu la consigne, car il plante là son balai et me reçoit fort aimablement. Il m'apporte une table que tant bien que mal nous dressons contre un pilier. Elle commence par faire la mauvaise tête, penche tantôt à droite, tantôt à gauche, mais à force d'accumuler pierres, planches; cailloux, nous obtenons l'équilibre à peu près stable. Rapidement j'installe ma petite chapelle. Le charmant capitaine de la batterie vient voir si rien ne manque et je me mets à revêtir les ornements sacrés. Tout autour, c'est le brouhaha, le va-et-vient du village souterrain. Un maréchal de logis s'approche discrètement et s'offre à me servir la Messe, ce que j'accepte avec empressement. Il achève les derniers préparatifs, prend la frêle sonnette et l'agite désespérément sans arriver, du reste, à dominer la situation. Un mouvement se dessine, pourtant, vers l'autel improvisé, un silence relatif s'établit et, dans celle nouvelle grotte de Bethléem, la Messe commence. Si le confortable fait défaut, le pittoresque ne manque pas et lorsque, la première fois, je me tourne vers ces braves pour leur dire : « Le Seigneur soit avec vous ! » je ne puis me défendre d'une certaine émotion. Derrière les officiers, tout un groupe d'artilleurs est là debout et ces rudes gars, au visage un peu dur, à la moustache tombante, ont le regard étrangement doux et sympathique. Mon enfant de chœur s'acquitte à merveille de sa lâche, évidemment ce n'est pas un apprenti. Même il chante le Credo, ce qui donne lieu à un léger incident. Dans l'assistance se trouve, par hasard, un coq, oui, un vrai coq gaulois, escorté de toute sa famille. Ses compagnes gardent le silence qui convient et se permettent à peine quelques glous-glous en sourdine, mais lui se sent mis en veine par le chant et voilà que cet artiste inattendu nous improvise de formidables cocoricos. Vainement on veut le rappeler au respect du saint lieu, il bat, quelques mètres, en retraite, fait demi-tour, se dresse sur ses ergots, enfle la voix et, face à l'ennemi, avec un air de défi, claironne de plus en plus fort. Mais..., on en voit bien d'autres en guerre et il n'obtint qu'un médiocre succès ! Le recueillement de ces hommes que la mort guette à tout instant du jour et de la nuit ne s'embarrasse pas pour si peu. Une courte allocution termine la messe et chacun s'en va, emportant avec une bonne pensée une provision de force, un rayon de lumière.

Je plie bagages et me dispose à partir. Mais l'occasion, la curiosité et, aussi, quelque bon ange me poussant, je me hasarde vers le... terrier de mon servant de messe pour le remercier. Il se précipite vers moi, le visage radieux et m'offre un siège d'un air si accueillant que je ne me fais pas prier. Nous parlons d'abord du chant et il conclut aussitôt qu'il va organiser une petite répétition en semaine. Nous causons de la messe , il va s'occuper, oui, cette semaine encore, de disposer un petit autel; et puis il va faire ceci et encore cela. Je crois que je pourrais tout lui demander, il marcherait toujours. De mon poste d'observation, je peux l'examiner à loisir, au physique comme au moral. Figure très douce,, il porte dans toute sa personne, comme aussi dans ses pensées et ses paroles, la marque de la bonté; selon l'expression commune et profonde, « il a le cœur sur la main ». Pour un peu, il s'excuserait de se dévouer: ça menace de devenir intéressant, j'ajuste bien ma lunette et... nous poursuivons. De temps en temps, je jette, sans en avoir l'air, une amorce discrète et ça prend ! Les yeux baissés, avec la modestie d'une belle âme qui s'ignore, il me raconte sa petite histoire. Il est de pays envahi. Toute sa famille est restée là-bas, de l'autre côté de la grande barrière. Mais... c'est la volonté de Dieu en qui il met toute sa confiance, alors il s'oublie pour penser aux autres, aux déshérités. Il a recueilli les adresses de ses compatriotes et il s'efforce de les consoler, de les aider, de leur faire un peu de bien. Il y a là, sur une planchette, tout un paquet de lettres auxquelles il va répondre, et même il m'en lit quelques passages touchants. Et cela dure depuis des mois, il lui faut prendre sur le peu de repos que lui laisse sa fonction déjà chargée, mais qu'importe ! il est heureux comme tous ceux qui se donnent tout entiers. Son visage s'anime, sa voix se fait plus chaude et plus prenante, son âme s'ouvre bien grande comme la fleur qui ne demandait qu'un rayon de soleil. Et il continue. A beaucoup, il a procuré une marraine, ce qui lui a occasionné un travail jamais achevé, car il a, sur ce grave sujet, des idées très justes mais dont la réalisation est bien difficile. Entre temps (!!), il s'occupe de sa batterie, de son milieu, il travaille le petit champ où Dieu l'a placé. J'en suis un peu « baba » sans le laisser trop paraître. Ma lunette est à point, j'y vois à merveille, c'est captivant, et... ce n'est pas tout encore. Son curé est prisonniers, alors, pour le remplacer dans la mesure du possible, il fait paraître une sorte de bulletin paroissial... qu'il polycopie lui-même. A côté des renseignements utiles, des changements d'adresses, des nouvelles des blessés, etc., il glisse les conseils opportuns. J'arrive à me procurer le dernier numéro : il est fait de main de maître ! Je n'en reviens pas. La conversation tourne en confidence, il me raconte quelques résultats consolants, nous causons des joies de l'apostolat, de la vie intérieure. Trop tôt, l'heure du départ est arrivée, je reprends, presqu'à regret, le chemin du retour. Au dehors, le soleil s'est levé radieux, dans un ciel sans nuage, la nature est plus gaie, je me sens l'âme en fête et je remercie la Providence qui sait si habilement disposer sur notre route, à côté des épines qui blessent, les roses bienfaisantes qui charment et reposent.

Depuis lors, je n'ai pas revu ce héros silencieux dont je tairai le nom, car il en ferait une maladie, mais nous n'avons cessé de nous aimer et de nous entraider et la famille du Coq Gaulois — est-il besoin de le dire ? — a compté un grand ami de plus.

 

 

J. Compere, aumônier.

 


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