UNE DROLE DE GUERRE !

 

Du 30 août au 25 septembre 1914, il hère avec ses hommes, suivant les ordres et les contre-ordres dans l’Aisne, la Marne et l’Aube sur près de 600 km avant de rejoindre le Chemin des Dames, qu’il ne quittera qu’en août 1918 pour Verdun.

Voici le texte intégral de ce qu’il écrit sur cette période.

30 août1914

Il faut tout prévoir, aussi les chefs de pièces sont tenus de connaître l’adresse de leurs hommes et ce qu’ils font dans la vie civile.

Voici la liste :

Brigadier HUET,                 bois de Lilins, par Estrées Saint Denis, Oise.

DERAY,                                rue de la montagne, Halluin, Nord.

NICOLAS Louis,                    4, rue petit Saint Denis, Seine.

FRANCOIS Nestor,               10 rue Bazingheim, Lille

LEBLANC,                            1, rue Gustave Testelin, Lille.

FILLON Noël,                       Cire les Mello, Oise.

PLEZ Berton,                       Tracy le Val, Oise.

MAUPRE,                             11, bis rue de Récollet, Paris.

MENNESSON,                       Montcornet.

TALLUEL,                             Longpont, par Villers Cotterets.

PARADIS,                            Silly sous Marle.

POTARD,                             Acy en Mulletiers, Oise.

SERPILLON,                         Saint Erme.

MAZILLE,                             24, rue du Puits, Coye, Oise.

GAUDIMUS,                         Pont Saint Mard, Coucy, Aisne.

GOUKOURY,                        Tavaux et Pontséricourt.

DENAIN,                              Françières par Estrées Saint Denis.

DUMAIRE,                            Rue basse, Proisy.

COUSON,                            La Neuville Bosmont.

FOURNIER-LAVANCIER,        Chaourse.

ROUSSEAU,                         Chatillons les Sons, Marle.

BOUVAIS,                            Estrées Saint Denis.

 

6h1/2 – Promenade des chevaux comme d’habitude. Déjà, les cavaliers ont quitté le pays, lorsque l’ordre arrive: Attelez, on part de suite, direction Marle!

Ici commence le défilé de misères, hordes de gens du Nord fuyant la guerre, femmes, jeunes filles, enfants traînant une vieille guimbarde chargée de misérables nippes, de valises, de sacs, renfermant tout le trésor de ces pauvres gueux.

Voilà une charrette qui transporte un modeste mobilier, une voiture de luxe que conduit un fermier, qui, avant de quitter son pays, a mis lui-même le feu à la ferme.

Spectacle navrant d’enfants de 6, 7 ans, aux pieds meurtris par les cailloux de la grand route, qui se traînent péniblement.

Là, toute une famille dort profondément à l’ombre d’une meule, épuisée de fatigue, mourant de faim.

Voici un beau petit blond de 4, 5 ans. Il dort profondément dans une voiture à bras que pousse un vieillard. Il semble sourire le cher petit ! Image de la confiance que nous même devons avoir en la Providence qui guide nos pas.

Mes pensées se portent sur Pierre, qui, à cette heure, sans doute, subit le même sort.

Nous croisons sur la route un convoi de blessés qu’emportent des autobus de Bordeaux, un convoi de camions automobiles chargés de caissons vides, un convoi d’autobus (immenses garde mangers roulants), transportant des bœufs entiers.

Ici, un parc d’aviation.

12h1/2 ; le parc est formé sur la droite de la route, un peu au-dessus de Barenton Bugny, côte 92. (Il s’agit ici de nos voitures bien entendu!)

Pied à terre ! On mange ce que l’on a eu le soin d’emporter le matin : du pain, un doigt de chocolat.

13 heures ; nous sommes dans l’attente ; le bruit du canon a cessé ; les allemands, dit-on, sont refoulés sur la Belgique.

Voici des personnes de Fourmies, elles arrivent à Laon, après plusieurs jours de marche.

15h30 ; Ravitaillement du 10ème régiment d’artillerie qui a épuisé toutes ses munitions.

17 heures : Départ sur Bruyères.

24 heures ; nous arrivons enfin, après avoir passé par Athies ; le parc est formé dans un vaste pré marécageux.

Il est 0h30, il faut songer au repos.

31 août

4h1/2 ; debout ! Il faut en hâte déplacer les voitures qui s’enlisent jusqu’aux moyeux.

8h1/2 ; la cuisine est en route lorsque l’ordre de se mettre en marche est donné à 9 heures….. L’ordre est changé….. Départ 10 heures !

Nous passons par Monthenault, la côte est longue et rude ; le soleil est brûlant ; les chevaux sont à bout de souffle, la sueur coule, deux hommes tombent malades d’insolation. Après leur avoir prodigué les premiers soins, je les fais monter dans une voiture bâchée.

13 heures ; nous quittons Monthenault et descendons la côte, les servants sont aux freins. Sur la route, un cheval mort, abandonné par quelque convoi ; toujours le spectacle navrant des exilés. Nous allons sur Braisne, paraît-il ! C’est donc la marche en arrière !!

Chamouille; Sur le pas des portes, près de la fontaine, se trouvent des femmes, des jeunes filles, des enfants munis de seaux, de brocs et de casseroles ; ils versent de l’eau dans les cars et les bidons des soldats. Oh !les braves cœurs ! Quels services ils nous rendent !

Et puis, quelles bonnes paroles échangées avec le sourire. Une petite conversation innocente déride les fronts anxieux.

Quelle chaleur ! Quelle poussière ! La bouche se dessèche, les bidons se vident souvent ; une pomme bien mûre fait venir l’eau à la bouche et fait du bien.

Mais voici que la bonne silhouette de la ville de Laon disparaît à nos yeux. Quand la reverrons-nous ?

14h45, Vendresse ; Sites merveilleux, trajet difficile, montagneux, mais combien pittoresque ! Je vais un instant à pied, cueillant des fleurs. Oh !ces belles fleurs ! Que de touchants souvenirs elles me rappellent ! C’est l’épouse bien aimée, l’enfant chéri, la bonne grand-mère que l’on revoit dans les promenades du dimanche ! J’en fais un bouquet que je fixe à ma selle. La vue de ces modestes fleurs qui rappellent le Créateur, me repose l’esprit.

16 heures ; nous nous dirigeons sur Bourg et Comin, pensant à tout et à rien lorsqu’on nous signale des uhlans sur les hauteurs, dans les bois.

Ordre est donné de charger les armes et suivre derrière les voitures. Je ne sais pas, mais on pensera ce que l’on voudra, pour une première fois, ça vous fait quelque chose !

Enfin, nous sommes prêts et l’arme au poing, nous traversons la route et le pays. Les habitants ne sont pas rassurés. Cependant, tout se passe normalement, nous allons maintenant sur Courcelles, où, paraît-il, on doit former le parc.

17h30 ; Dhuizelles.

20 heures ; Arrivée à Courcelles, le parc est formé dans un vaste champ de luzerne.

21 heures ; nous soupons dans le cellier du château et un brave homme nous donne un bon lit pour la nuit.

1er septembre 1914

Départ 7 heures, direction inconnue.

Toujours les interminables convois que l’on croise sur la route.

9 heures ; Mont Notre Dame. Sur la hauteur de ce pays se détache la silhouette des ruines de l’abbaye.

10h30 ; Chéry à 50 mètres à droite, au bord de la route, un biplan militaire est capoté, il était monté par un officier. Les habitants ont l’intuition que cet officier devait être un espion. C’est possible.

Quel délicieux paysage !, quelle belle avenue nous venons de parcourir !, sapins gigantesques bien alignés sur un vaste tapis de bruyères tout en fleurs. Selon l’habitude que j’ai prise, j’en fais un bouquet en souvenir de ma chère famille.

12 heures; Dravegny; une église délaissée, les marches sont couvertes de grandes herbes ; c’est l’indifférence qui règne ici.

15h – Coulange – Le parc est formé dans une grosse ferme, dépendance de Villecombre. Il semble bon d’être arrivé aussitôt au cantonnement. C’est le moment de songer à sa toilette. Aussi, profitant d’une grande lessiveuse, je prends un bain général; cela vous repose.

Et quelle omelette aux herbes délicieuse, comme c’est succulent une omelette collection de guerre quand on a été depuis si longtemps privé d’œufs. Et cette bière rafraîchissante. Mais le bonheur n’est jamais complet, car en prenant mon bain, ma montre (souvenir de 1ere communion a disparu).

Je passe la nuit avec l’adjudant Picot qui, aimablement me fait partager son lit.

20h1/2 – Avant d’aller coucher faisons un tour de promenade. Horreur ! dans le lointain, une immense lueur d’incendie, le ciel est rouge. C’est la forêt de Saint Gobain… C’est peut être Saint Quentin ?… C’est peut être Laon ou La Fère ?… Toutes les suppositions sont faites. Quelle tristesse dans les cœurs.

2 septembre

La nuit n’a pas été longue, vers 1h1/2, un cycliste vient nous faire déménager.

3h – Départ. Il fait frais, un brouillard épais tombe sur nos épaules, à peine y voit on pour garnir et atteler.

Départ – Direction inconnue.

4h30 – Cierges – Courmont – Le Charmel

7h30 Halte sur la route de Faulconne. Prés d’une modeste demeure un enfant de 4 ans et demi environ regarde passer la colonne. Mes pensées se portent sur Pierrot et un moment, je maudis la guerre qui sépare le mari de l’épouse, le père de l’enfant. Pensées tristes s’il en est… Mais voilà l’enfant qui se met à rire à cœur joie de voir passer les soldats…c’est son bonheur. Cette pensée me fait sourire à mon tour car il se peut que petit Pierre en fasse tout autant.

C’est amusant, les soldats. Je ris à mon tour et partage le bonheur de l’enfant qui ne comprend pas encore les horreurs de la guerre.

8h35 – Nous traversons Faulcone, les magasins sont fermés, partout des préparatifs de départ, des larmes.

Dans une voiture de maître une jeune femme, une blonde de 23 à 25 ans est assise, elle tient sur ses genoux un bébé et lui donne la bouillie. Comment ne pas penser à une autre femme qui, à cette heure est peut être dans la même situation?

10h20 – Chartéve – Les sites sont toujours merveilleux, le terrain accidenté. D’où nous sommes en ce moment on aperçoit une abbaye.

11 h – Mézy Moulins- Un train de blessés est en gare, sur le quai des infirmiers de la Croix-Rouge donnent aux soldats du pain, des friandises, versent dans les quarts du vin, du thé ; spectacle touchant de la charité, du dévouement.

Route de Chierry – Halte repas

14h30 Chierry Nogentel

18h – Arrivée à Chezy. Le parc est formé dans un champ ; on fait la popote, les marmites sont prêtes, bientôt on va pouvoir manger ; il n’est que temps, le voyage creuse l’estomac.

19h… Attelez !… au trot…. Départ de suite; les cuisines sont délaissées…. On se presse, on court. La population est énervée. Deux biplans allemands ont repéré le parc, nous sommes découverts.

20h Nous voici partis laissant les habitants dans l’épouvante. Je passe mon cheval au brigadier qui le monte. Je suis en voiture, harassé de fatigue après 17 heures de cheval, je m’endors.

La nuit est fraîche, un beau temps clair succède au brouillard. Après 3 heures de sommeil je descends de voiture pour me réchauffer par la marche.

Un beau clair de lune nous laisse apercevoir au loin Montmirail.

3 septembre

1h1/2 du matin. Nous voici à Montreuil dans le clos de M. Pinguet, charron; après une distribution de pain, on va se coucher sur la paille.

5h1/2 – Réveil, chevaux garnis attelés, nous attendons l’ordre de départ. Le canon gronde depuis ce matin. Il est 7h1/2 on n’entend plus rien, je me repose un instant.

12h1/2 – Départ: point inconnu

15h30 Leuze Champguyon

18h – Arrivons à Lhermite – formons le parc. Une bonne nuit sur la paille repose nos membres fatigués.

4 septembre

4h – Départ – passons à Esternay à 6h30.

Ici changement complet dans le paysage ; autant les pays que nous venons de traverser étaient jolis, autant ceux-ci paraissent pauvres. Les maisons sont couvertes de tuiles, les maisons sont espacées les unes des autres par un clos, une pâture, comme en Thiérache.

Les pays sont d’une longueur variant de 1 à 2 km ; aussi le cantonnement est-il possible. Par ici, pas d’églises, où si l’on en voit, elles sont en ruines ou désertes. Dans les cimetières, les tombes disparaissent sous les ronces.

Voici Lannoy Sandoy

10h30 Le Plessis – Le parc est formé.

5 septembre

1h du matin – Réveil – Attelez !!..

3h – Départ

4h30 – Barbonne

6h30 – Ordre de déguerpir au plus vite. Le canon gronde toujours. Une patrouille de cavalerie est signalée – Chargez les armes… au trot.

Un convoi ayant été attaqué à Montmirail hier matin, il faut s’attendre à tout, aux surprises brusquées. C’est un peu de panique pour le moment.

Les paysans fuient tous les champs, éperdus.

8h10 – Villemange – La population déménage au plus vite – scènes de larmes, consternation habituelle.

9h – Sur la route de Nogent, un biplan allemand passe au-dessus de nous. Une fusillade bien nourrie sort d’un bois voisin. Contre qui est elle dirigée? la cavalerie annoncée tout à l’heure? Est ce contre le biplan ?

10 h – Sarclotte – Porte St Nicolas – Nogent sur Seine…(Les magasins sont fermés), Soligny les Etangs , Thalame – C’est là que nous formons le parc dans une ferme.

6 Septembre

 6h – Debout après une bonne nuit passée sur le foin. Le canon gronde dans le lointain. Nous attendons l’ordre de partir. Des troupes fraîches viennent d’arriver. On vient nous lire le manifeste du général Joffre.

Notre ami Cochon vient de recevoir un sérieux coup de bottes qui le met exempt de service.

La ferme que nous occupons appartient à M. Renaudin sénateur (actuellement présent). On fait séjour. Les alertes, les événements qui viennent de se passer nous donnent à réfléchir ; on aurait pu être fait prisonnier, être tiré ou blessé. Aussi se propose-t-on de se donner mutuellement son adresse en cas de malheur, et l’on prend l’engagement d’aller voir au besoin les familles au retour.

 

 Voici les adresses en question :

Picot : adjudant : 2, rue Marquette à Laon

Renaudin : Chef : 8 rue de Lignières Saint Quentin

Messier   : carrossier Marle

Lebeau : 22, Grande Rue Margny les Compiégne

Saulner : Reuil s/ Buche par Troisy (Oise)

Carpeza : Hervilly par Roisel (Somme)

Dussart : Chaourse

Nougareve : Imprimeur Soissons

Cochon dit Gaëtan : Nouvion et Catillon

Romagny : Montcornet

Aussard : 20 rue Paradis Paris

Dutriez : 6, rue de Belfort Tourcoing

7 septembre

3h1/2 – Réveil – Départ 5h vers Nogent sur Seine

8h – Nous formons le parc à 500 m de Nogent.

Un biplan passe au dessus de nos têtes. C’est un  «tombé». On tire dessus sans succès. Il revient à la charge; nous craignons les bombes ; on tire à nouveau, quand un obus de 75 lui tombe dessus; il semble baisser en vol plané, c’est un moment d’émotion.

9h30 – Nous apprenons par un cycliste qu’il a été descendu par l’infanterie. Nous restons au repos à l’ombre de nos charrettes.

15h – Nous quittons le parc et traversons Nogent à 15h30. Nous devons, paraît-il, nous porter 40 km en avant.

18h30 – Le trajet n’est pas aussi long qu’on nous l’avait dit. Nous formons le parc dans le hameau dit le «puits joli».

L’eau est rare. Le puits a 40 m de profondeur et pour comble de malheur la corde est cassée.

8 septembre

5h – Passage des chevaux ; impossible de faire sa toilette ; les chevaux refusent de boire l’eau sale des mares. Ce hameau dépend de la commune de Chalande la Grande.

9h – Départ pour Villers Saint Georges. Les villages sont abandonnés, le bétail est lâché dans les plaines.

Beauchery – Nous approchons des champs de bataille. Les tranchées, les abris pour blessés, les chevaux morts laissés sur la route sont le présage des désastres futurs.

Villers Saint Georges – Voici le cimetière ; à la porte des sacs de fantassins sont vides. Une fosse immense est ouverte et déjà un bon nombre d’hommes sont enterrés là. Dans le champ voisin, quelques hussards et fantassins sont étendus sur le sol. Tout à l’heure, une corvée de civils iront les chercher pour les mettre dans la fosse commune.

Arrêtons-nous un instant, et devant ces martyrs du devoir, récitons ensemble, si vous le voulez bien, le Dé Profondis.

Les fils sont coupés, un télégraphe militaire est installé au bord de la route. Sur un platane géant, un poste d’observation est installé. Une échelle de branches clouée sur le tronc d’un autre platane en forme d’échelle à perroquet  constitue un deuxième observatoire.

Une ferme achève de se consumer.

14h – Le parc est formé prés de Monceau les Provins. Nous croisons un convoi de prisonniers allemands. Non loin de là, sur le bord d’un bois, une forme humaine se détache de la lisière. Le camarade Lebeau et moi approchons, le revolver au poing, en cas de surprise dans le bois. C’est un fantôme allemand : une balle a traversé la tempe. Nous revenons au parc.

Sur la route passe une corvée d’artilleurs, qu’accompagne un aumônier militaire, ils vont ensevelir les morts.

14h30 – Le vent se lève; la pluie tombe à verse.

  Au loin des signaux s'élèvent dans les airs.L'artillerie lourde se fait entendre.

Une femme est arrêtée, on la relâche aussitôt. On bivoique aujourd’hui.

9 septembre.

 Enfin nous arrivons à Cugny. Le parc est formé dans un champ inondé. Nous avons de l’eau jusqu’aux chevilles.

Deux fois, mon cheval tombe sur moi; mes pieds sont restés dans les étriers ; je suis traîné un instant et mon manteau se trouve arraché. Par bonheur, un conducteur resté seul au parc vient à mon secours. Je me dégage, j’en suis quitte pour une «mouillade» .

1h30 matin nous allons nous coucher dans une grange ouverte à tous vents. Je change de linge, mes habits sèchent sur moi.

 

 

13 septembre

6h – Réveil, abreuvoir, distribution d’avoine, corvée de fourrage.

Tiens ! mais je ne me trompe pas, c’est bien le son joyeux des cloches qui appellent les fidèles à l’église. Mais si… C’est bien cela. Si je pouvais y aller !! Il y a si longtemps que je n’ai eu cette joie.

Je fais vite. Je m’arrange pour être prêt, il est 7h3/4. Personne du pays, 2 officiers, 2 fantassins, un dragon et moi.

Un jeune sous lieutenant sert la messe, alors que le canon gronde si prés de nous et que la mitrailleuse vomit ses balles meurtrières. Avec quelle émotion aussi nous récitons le Dé Profondis pour tous ceux de nos frères qui, à cet instant tombent sur les champs de bataille.

Mais aussi quel réconfort trouvons-nous dans ce Saint sacrifice de la messe. Comme il fait bon ici. Après avoir recommandé à Dieu ma chère famille, après l’avoir remercié des grâces reçues, je quitte le saint lieu et retourne au parc.

Un grand vent fait place à la pluie torrentielle de toute la nuit.

9h3/4 – Départ  - Seroy – Brancourt – Sapicourt – Tugny- Cauroy

Tous ces pays que  nous venons de traverser n’ont pas été éprouvé par les allemands et la venue des soldats français leur fait plaisir.

Du point que nous occupons, nous sommes les témoins d’une grande bataille qui se livre devant nous.

La sucrerie de Loivre est en flammes. Les batteries d’artillerie 155 court et 75 crachent le feu. La cavalerie, l’infanterie donnent la charge.

Ce matin même à 4h1/2 les allemands étaient là et 140 des leurs furent faits prisonniers.

A notre gauche,  Berry-au-Bac, en face, Juvincourt, Laniscourt, Aguilcourt semblent très éprouvés. Mes pensées vont à Prouvais (que Dieu protège nos familles).

Arrivés à 100 m de Cormicy, l’ordre de faire ½ tour et de former le parc est arrivé. Nous arrivons à 16h30, un «taube» passe sur nos têtes, l’infanterie et l’artillerie tirent dessus, sans succès.

21h – Nous allons coucher dans une grange de Cormicy. Ce jour…lecture de la proclamation du général Joffre…

14 septembre

5h – Réveil. Le canon gronde toujours à 2 km de nous. Nous sommes dans l’attente et dans l’anxiété. On ne trouve plus rien au pays. Cependant j’ai pu me procurer une paire de chaussons et un foulard.

Autant il faisait beau hier, autant il fait mauvais aujourd’hui, une pluie froide détrempe le sol. Nous aurons du mal de sortir du parc.

Les allemands se sont emparés du fort de Brimont. Il sera difficile de les faire déloger.

La bataille continue.

La soupe est sur le point d’être terminée, encore un petit quart d’heure et l’on va pouvoir se réchauffer.

Attelez…au trot…1/2 tour. Il faut tout abandonner encore une fois.

Mais voici un paquet d’hommes du 251ème d’infanterie qui revient, 400 seulement sur 2500 restent debout. Les officiers et les sous officiers ont payé largement. Les hommes paraissent découragés; il y a des blessés.

12h  - le parc est formé à 250 m d’Hermonville. Le canon gronde sans arrêt, en avant, en arrière, à droite, à gauche. Des obus éclatent à 70 m de Cormicy. Il était temps de déguerpir. Nous approvisionnons l’artillerie.

13h20 – Nous approvisionnons l’infanterie. Le canon gronde toujours, le sang a coulé. Nous passons non loin de la ligne de feu.

15h – Départ du parc. Un convoi de blessés du 251ème défile devant nous pour rejoindre la voie ferrée.

Direction Bouvancourt. Des autos nous précédent ainsi que tout ce qui reste du 251ème. Un seul lieutenant en tête, un prêtre à la soutane repliée telle une culotte de zouave, un caoutchouc, un chapeau, un brassard de la croix rouge suit le convoi. On le regarde avec curiosité, avec respect. Un de mes hommes dit assez haut pour qu’il l’entende: «ces types là me dégoûtaient auparavant, maintenant je les admire»

Nous formons le parc à 500 m de Bouvancourt. Un spectacle des plus grandioses s’offre à nos yeux. Sur une colline, à droite de la grand route, des régiments de turcs, de dragons, de fantassins sont au bivouac ; sur la route le 32ème régiment d’artillerie est au repos.

Sur un ordre donné, ces masses se mettent en branle ; en un clin d’œil la colline est dégarnie. Tous ces régiments sont partis à la poursuite de l’ennemi qui bat en retraite.

Nous allons faire boire nos chevaux dans les marais.

21h – Une de nos pièces est chargée de ravitailler, elle voyage toute une nuit pour rentrer vers 3h du matin.

15 septembre

5h1/2 – Réveil, abreuvoir – café. On attelle et restons dans l’attente. Le canon est en silence depuis 3h du matin.

La grande bataille, celle qui paraît-il doit décider de la victoire ou de la défaite commence.

Des deux côtés les forces sont concentrées. Il faut s’attendre à un choc formidable. (Que Dieu prenne pitié de notre France; qu’il  protège nos frères!).

9h3/4 – Encore un convoi de blessés, fantassins du 254, 167, 319. On ne voit pas d’artilleurs.

L’artillerie tue, mais reste presque invulnérable. Témoin, le 32ème rgt d’artillerie qui, depuis 5 jours, n’a perdu que 12 hommes.

10h1/2 – Sur la colline un régiment d’infanterie en marche se prépare pour l’attaque.

14h – Le canon s’éloigne, les convois de blessés continuent toujours à défiler, se dirigeant vers Jonchery, Vesles.

Nous quittons le parc à l’instant, pendant que d’autres sections vont se ravitailler en munitions dans les gares les plus proches.

15h – Nous arrivons en vue d’Hermonville, il nous semble impossible d’y arriver car les allemands bombardent le village ; une ferme est en flamme ; les obus comme les balles de mitrailleuses annoncent  leur arrivée par un sifflement qui semble s’accentuer.

Par mesure de précautions, nous nous mettons à l’abri derrière nos charrettes. Allons-nous rester là longtemps dans cette situation?.

Des batteries d’artillerie s’installent non loin de nous pour la riposte ; sur la route, un régiment d’infanterie est dans l’attente. Un cortège de turcs blessés (ceux  qu’il y a un instant étaient sur la colline) passe sur la route.

16h – Ordre de marcher en arrière. Nous reformons le parc à cet endroit que nous quittions tout à l’heure. La pluie commence à tomber.

19h – Pour la première fois nous allons pouvoir dormir de bonne heure, chacun se prépare à passer la nuit.

16 septembre

5h – Réveil – Pour notre section, la nuit a été bonne, bien que l’on ne dorme que d’un œil car la nuit le canon gronde sans arrêt depuis 2h du matin.

Des batteries d’artillerie viennent se ravitailler aux sections de munitions, qui  elles, passent la nuit blanche.

Il pleut sans cesse, la terre est détrempée, quelles difficultés pour sortir de là ! Encore un cheval de mort, c’est le 4ème que nous abandonnons.

La canonnade semble se rapprocher de nous, allons-nous rester encore là longtemps ?

Si nous en avons le temps, parlons du parc et du bivouac.

Je fais partie de la 27ème section d’infanterie, celle qui ravitaille fusils et mitrailleurs.

Chaque section est divisée en pièces, un maréchal des logis commande une pièce.

Pour former le parc, les voitures se placent les unes derrière les autres, les chevaux attachés aux roues. Si les hommes couchent au parc sur ou sous les voitures, s’ils font la cuisine au parc, on dit qu’ils bivouaquent.

Dans ce cas, on se procure des bottes de paille dans les meules, chaque homme possède une couverture de laine.

Notre plus grand ennemi (après l’autre ) c’est l’humidité.

Pendant que tous dorment sous les voitures, sur le sol, j’ai la chance de pouvoir dormir dans une voiture bâchée qui me met à l’abri de la pluie. Comme matelas, uniquement des caisses de cartouches, ce n’est pas très confortable mais on dort bien quand même.

On se plait bien dans ce petit intérieur, c’est là que je viens m’installer le plus souvent pour écrire mon journal ou pour y déjeuner ( ? ) quand il pleut.

 Cette vie a quelque chose ….. d’agréable. On a souvent la visite, soit d’anglais, soit de fantassins isolés qui rejoignent leur corps.

On mange quand on peut; quelquefois deux fois de suite; quelquefois avec des intervalles de 15 à 16 heures. On ne connaît ni jour ni nuit. C’est suivant les besoins. Il faut toujours se tenir prêt à partir. On se repose quand on peut. Les jours, les dates n’ont plus d’importance. Et il reste aussi des heures, des moments pour penser aux siens. Que deviennent-ils à cette heure ? J’écris souvent, reçoivent ils mes lettres ? Ici je n’ai plus de nouvelles.

La vie au bivouac est agréable parce que…………Garnissez…Attelez, au trot……( qu’est ce que je vous disais tout à l’heure !!!) ………….. En hâte, on va chercher la soupe qui, oh quelle veine, vient d’être prête à temps… Il est 8h1/2, on se brûle la bouche et on attend.

10h – Dételez – un autre ordre vient d’arriver. Il faut laisser passer sur la route 18000 hommes.

C’est imposant de voir passer ces régiments. Ils vont renforcer nos troupes. Les allemands reculent.

Encore un long convoi de blessés. Ils souffrent, mais contrairement à ceux des jours précédents, ils sont gais. Ils félicitent notre artillerie. Ah les gars ! Vos camarades ont fait du bon travail, les boches tombent comme des mouches. Il y en a des tas de 1m60 ; on est obligé de marcher dessus pour passer. Nous avons peu de tués, mais beaucoup de blessés ; on échange de joyeux propos, la guerre touche à sa fin.

Dans un camp, en face de nous, un prisonnier allemand témoigne sa satisfaction d’être bien traité.

« Ah ! si compagnons savaient français pas méchant comme ils viendraient tous, ce serait par 1000 ». A part qu’il mange de bon cœur le bon pain français.

Depuis un moment la pluie cesse. On ravitaille sur place les caissons d’obus.

18h – Nous quittons le parc pour aller sur Bouffignereux – arrivés à 500 m de Guyencourt nous assistons de nouveau à une bataille en règle. Les bois de  la Ville-aux-Bois sont en flammes..

Les canons grondent toujours ; c’est un véritable duel d’artillerie. Des ambulances autos croisent notre convoi. Un blessé nous montre un coin du champ de bataille où gisent pêle-mêle  les fantassins allemands que le 75 vient de faucher. Des régiments d’infanterie de réserve sont près de nous.

20h – Nous sommes à 250 m de Guyencourt; nous formons le parc; la bataille se poursuit avec acharnement.

Nous allons coucher près de nos voitures sans souci du danger pour bientôt nous endormir profondément au son du canon et des mitrailleuses.

Combien à pareille heure, il serait agréable d’entendre la voix de la jeune maman chanter une berceuse à l’enfant qui s’endort dans son petit lit blanc !

17 septembre

Canonnade intense toute la nuit. Ce matin, 3h1/2, l’infanterie donne en plein. Nous apprenons qu’elle a fait vers 8 h une charge à la baïonnette admirable. D’autres régiments avancent. Je suis allé me promener dans le pays, un régiment d’artillerie 120 long et un de 75 étaient là ; des régiments de noirs, de zouaves, de turcs sont rassemblés.

Je suis allé à l’église qui ce matin encore renfermait des prisonniers allemands. Les autels étaient respectés. Dans la nef, de la paille de couchage. Après une courte, prière je quitte le saint-lieu. Dehors, une auto chargée d’armes était carbonisée.

10h30 – Assis au pied d’une meule abrité du vent et de la pluie, je mange une bonne soupe bien chaude ; devant moi, les montagnes de Craonne. L’armée du Kompring l’occupe. Notre position est défavorable mais il faut coûte que coûte la déloger.

De ma place, on distingue assez bien les positons par la fumée des projectiles, l’éclatement des obus. Le brouillard empêche de mieux voir.

14h – Il pleut à verse, le vent fait rage, un convoi de blessés passe à l’instant.

Le canon gronde sans répit semant la mort dans les rangs ennemis. On distingue le bruit des mitrailleuses. Des coups de feu éclatent de toutes parts surtout dans le bois qui nous entoure ; on pense qu’il y aura encore des prisonniers qui tenteront de s’évader. Une dépêche du quartier général nous annonce de bonnes nouvelles.

18h – Cette fois on ne parle plus de partir ; nous allons encore une fois pouvoir dormir au son du canon.

18 septembre

6h1/2 – Quelle mauvaise nuit nous venons de passer. Oh, ce n’est pas le canon de 120 long qui, à côté de nous, à intervalles irréguliers fait entendre sa grosse voix qui nous empêche de fermer l’œil ; ce n’est pas non plus le roulement des voitures des interminables convois et les autres qui passent sur la route, mais bien la pluie, le vent froid et humide qui vous pénètre et vous glace ; ce ne sont pas la pauvre petite couverture de laine, le manteau imprégné d’eau de toute une journée qui réchauffent.

Nos membres sont glacés, il faut éviter de se laisser surprendre par le sommeil. Ce matin beaucoup d’hommes indisposés. Deux nuits comme celle ci et il y aura des malades. Aussi dès 5 heures au petit jour tout le monde est debout auprès d’un feu de bivouac, attendant le jour.

La pluie cesse mais depuis 4 heures le canon fait rage. Des patrouilles de cavalerie traversent la plaine.

Mais à quoi peut-on bien penser toute une nuit sans dormir ? On songe à ceux que l’on aime, on se demande ce qu’ils deviennent ; Où sont-ils à cette heure ? On interroge en vain l’avenir ; on voudrait savoir quand tout cela finira ; on songe à la situation que l’on quitte, au pays envahi ; on songe à ses frères d’armes qui à cet instant tombent dans le grand champ du martyr ; on songe à leurs souffrances et on croit entendre les cris des blessés qui appellent du secours ; les plaintes, les gémissements, les râles des mourants. On pense aussi à soi, on tire des plans pour se prémunir dès maintenant  des rigueurs de l’hiver qui s’approche. Et puis pour éviter l’ennui, le découragement qui peu à peu s’empare de nous, on porte ses regards vers le ciel, on élève son cœur vers Dieu.. On prie sincèrement pour tous ceux qui souffrent et viennent pour la défense du pays, on prie pour la famille abandonnée et pour soi. Et puis on se souvient aussi que l’on est tertiaire, et qu’un disciple de St François doit supporter avec résignation, mieux encore avec joie, les épreuves des temps présents…. Alors il me semble que les caisses sont moins dures, la pluie moins froide. On accepte «presque joyeusement» les peines, les souffrances, les angoisses de chaque moment.

Mais voici le soleil qui nous revient. Qu’il soit le bienvenu ; n’est ce pas le moment de nous rappeler ce refrain franciscain :

«Loué soit Dieu, mon Seigneur, à cause de toutes les créatures, singulièrement pour notre frère Messire le soleil qui nous donne le jour, la lumière !  il est beau, rayonnant d’une grande splendeur et de votre haute majesté, il est le symbole, ô mon Dieu».

10h – Rata… Le beau temps se maintient, nous allons paraît-il faire un bond en arrière. Seules la pièce de l’ami Dussart et la mienne restent là pour approvisionner l’infanterie. Je descends jusque Bouffignereux . Une grande ferme est transformée en un vaste hôpital. A une centaine de mètres de là, une corvée enterre les morts. Quelques camarades parcourent la campagne, cueillant des fleurs pour les déposer sur les tombes.

Pauvres parents, pauvres épouses, pauvres enfants !

Nous quittons enfin le pays pour revenir sur nos pas ; les obus, les balles sifflent autour de nous ; dans les bois les «  marmites »  tombent.

17h – La situation devient critique. Un servant (artilleur au service des pièces) nous apprend que leur régiment a pris quelque chose. Ils ont dû quitter et abandonner trois pièces de canon, les attelages et les conducteurs ont été anéantis.

Nous attendons toujours des ordres pour partir.

19 septembre

Il était temps de déménager, nous étions repérés et le pays que nous venons de quitter doit, à l’heure où j’écris être bombardé.

Mais que de difficultés sur la route ; convois qui se croisent, chemins défoncés ; on est obligé de doubler les attelages. Enfin nous arrivons à proximité de Bouvancourt et formons le parc à cet endroit déjà il y a quelques jours. Nous allons coucher dans une ferme, une bonne nuit nous remet de nos fatigues.

6h1/2 – La maison du bon Dieu ; ce matin je suis allé visiter l’église de Bouvancourt transformée en hôpital ; elle abrite les blessés assis sur les bancs, les grands blessés, les mourants allongés sur la paille ou sur les bas-côtés et sur les marches des autels. A ce moment, deux prêtres dont l’un porte des galons de lieutenant quittent l’église. Ils viennent de donner la dernière bénédiction … ou l’absolution. Tous les saluent respectueusement.

8h1/2 – La soupe est sur le feu depuis un moment lorsque l’ordre de partir immédiatement vient d’être transmis par un cycliste. On jette le bouillon, plus tard on fera cuire la viande comme on pourra.

9h – Départ. Nous traversons Pery et arrivons à Jonchery/Vesles, où le parc est formé à proximité (200 m environ). La pluie de toute une nuit a détrempé le sol ; les chevaux ont beaucoup de mal.

Sur le quai de la gare, une quantité de blessés attendent leur tour de départ. On en expédie environ 2000 par jour. Le canon gronde sans arrêt. Le repas terminé, je pense pouvoir aller faire un tour en ville.

16h – Me voici de retour. Jonchery ressemble à un vaste quartier général ; toutes les maisons évacuées sont occupées par les troupes. Je vais jusque la gare, les blessés embarquent toujours. Des jeunes filles de 18 ou 20 ans, munies de grands paniers, distribuent des tartines de confiture, du thé aux blessés ; les brancardiers transportent les grands blessés.

Dans le bureau du chef de gare, une clinique est installée. Deux jeunes femmes en tenue de la Croix-Rouge se tiennent à la porte et viennent en aide aux majors.

Dans la ville, les magasins sont fermés, on ne trouve plus rien. Nous cantonnons ; un lit de paille dans un grenier, c’est là notre lieu de repos.

20 septembre

5h – Réveil – Le jus traditionnel réchauffe nos membres engourdis et raides. Le canon ne cesse pas. Les allemands tiennent bon. La pluie, dès ce matin, tombe de plus belle.

Je rentre dans ma voiture bâchée pour écrire et vous entretenir sur les craintes bien fondées que nous pouvons avoir des «taubes» et sur l’avantage de l’aviation.

Voici un exemple entre plusieurs:

Le 11ème régiment d’artillerie, section de munitions, avait formé son parc à gauche du cimetière de ( ? ) . Un taube passe, repère l’emplacement des voitures. Le commandement de la section en est informé, aussi se dépêche-t-il de déplacer sa section. Grand bien lui fit, car le lendemain matin, à 3 heures, le cimetière et la partie gauche étaient déchiquetées par les marmites.

Tout le monde sait qu’en artillerie, on peut tirer sur un objectif que l’on ne voit pas, par de simples calculs sur une carte étudiée à cet effet.

Par notre aviation, il a été possible aussi à un de nos régiments d’artillerie d’anéantir un parc de ravitaillement d’obusiers allemand.

Qui connaît le système D ? Le système « débrouille » ? Qui pourrait se vanter de le mieux pratiquer qu’au régiment. Au fait ! Savez-vous ce que c’est ? Et bien c’est l’art de faire tout avec rien… d’avoir le nécessaire, quelquefois plus sans rien toucher de l’ordinaire… Vous ne comprenez pas ?…. Et bien ne cherchez pas à comprendre…

 Félicitez plus tard le cuisinier de faire un excellent rata, sans qu’il lui soit délivré de pommes de terre, de l’excellent bouillon sans toucher de légumes, de faire du feu sans qu’on lui ai donné de bois ; de manger un bon lapin sans que l’ordinaire s’en préoccupe… de coucher sur la paille sans qu’il en soit distribuée…

Vous allez sûrement me répondre qu’il faut le voler ?… Non pas, le vol est sévèrement puni, témoin ce pauvre diable de cuistot qui vient de ramasser quatre jours de prison pour avoir pris un tas de fagot, une poignée de bois. Alors !!! c’est bien simple!! Ne pas se laisser prendre ! voilà tout ! Et ce qu’il y a de plus curieux…jamais on ne vous demandera quand et comment vous avez eu telle ou telle chose.

Une excuse maintenant pour le système D, les villages étaient désertés, on ne trouve jamais les propriétaires, et l’on se sert soi même.

16h – Rien de changé dans notre situation, tout laisse croire que nous allons rester là… Depuis trois jours voilà 32000 obus de distribués.

Maintenant profitons d’une éclaircie pour aller sur la crête qui domine Jonchery. De là on aperçoit distinctement les lueurs d’incendies dans la bonne ville de Reims. C’est abominable.

21 septembre

Situation générale sans changement.

11h – Si nous faisions une petite promenade dans le camp ?

Tous les hommes sont de bonne humeur, aujourd’hui, repos. Les uns s’allongent sous les voitures, les autres sur des bottes de luzerne ou les sacs d’avoine ; autour des cuisines des groupes épluchent des légumes, d’autres jouent aux cartes ou aux dames.

La forge est allumée, les maréchaux-ferrants ferrent les chevaux. Les bourreliers réparent le harnachement, les ouvriers en bois réparent les voitures, c’est le monde des travailleurs.

Assis sur une caisse, ou un seau renversé, un martyr se fait gratter la figure (ce n’est pas un luxe ) par un perruquier amateur qui n’est pas à une échelle prés quand il coupe les cheveux.

On vient de toucher le tabac. C’est une fortune car voilà trois semaines qu’on n’a pas roulé la cigarette ni bourré la pipe. (Les plus malheureux sont les priseurs). Mais voilà, pas de papier à cigarette !

Le malheur rend ingénieux, voici les fabriquants de pipes à l’œuvre, donnant à leurs fourneaux des formes les plus bizarres. D’autres, les vagabonds, sont à la recherche des légumes, du bois, des lapins dans la forêt.

Le vaguemestre part à cheval ; va-t-il rapporter des nouvelles ? Voilà un grand mois que nous ne recevons rien…

Encore rien… Toujours rien…

23 septembre

A proximité du parc, un magnifique château avec ses dépendances. Il fait beau, je vais faire un tour dans l’immense propriété. Dans la journée j’ai eu une petite mission à remplir; aller par les routes, à la recherche d’une batterie qui aurait besoin d’obus (voyageur de commerce pour obus, ce n’est pas banal !).

Je n’ai pas été aussi longtemps que je le pensais. J’ai rencontré le 46ème R S. Le nécessaire est fait.

24 septembre

Nous sommes vraiment privilégiés maintenant ; un temps magnifique ; Nous allons promener les chevaux, c’est intéressant, il y a des sites merveilleux.

25, 26 septembre

Rien de nouveau, voilà 10 jours que nous sommes là.

Etc…


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