Dans le livre page 21 :

Aout 1914 Depuis quelques jours les nouvelles deviennent plus alarmantes. Le bruit court avec persistance que la guerre va être déclarée. On en parle de plus en plus. Les petites banques ne paient plus, on trouve difficilement de la monnaie.

1er aout Je vais à Laon échanger à la Banque de France des billets de 100 F contre du papier-monnaie, 5, 10 et 20 F. La banque est gardée par la gendarmerie….

Les francs de Laon imprimés le 16 juin 1916

 

La Monnaie

A Montcornet envahi pendant la guerre

Et probablement dans toute la région envahie par l’ennemi

Par Alexandre Menu (1925)-(mon arrière grand père)

 

La monnaie, par elle-même, n’a pas grand valeur. Un billet de mille francs ne représente que le prix d’un morceau de papier choisi portant  une ornementation soigneusement imprimée, mais, par convention,  il permet d’obtenir des choses que nous désirons pour les échanges ; je produis des denrées, des objets, je fournis du travail, je rends des services, la monnaie qu’on me donne me permet d’avoir, à mon choix, ce qui m’est nécessaire : du pain, de la viande, des ustensiles, ce qui ne serait pas possible sans elle.

Mais il faut une limite à la production de la monnaie, une certaine rareté doit lui conférer un prix. Si, quand l’image est gravée, on imprimait des billets sans limite, leur valeur tomberait à rien, on n’en voudrait pas pour un morceau de pain : le pain nourrit, le papier non.

Pour donner une valeur à l’image, on a décidé qu’elle représenterait un certain poids d’une substance qu’on aurait en réserve, pas trop rare pour assurer l’approvisionnement du monde entier, assez rare pour conserver une certaine fermeté, et peu décomposable : on n’a rien trouvé de supérieur à l’or. Ainsi, le carré de papier de mille francs conservera une valeur fixe pour les échanges tant qu’on pourra l’échanger contre un même poids d’or à l’état ou à l’établissement qui le met en circulation ; s’il y a doute, sa valeur baisse.

Lorsqu’un pays entreprend une guerre, il a à faire face à des dépenses fabuleuses. Il, s’est d’abord saigné pour l’entretien d’une armée, pour l’équiper en armes et munitions, pour faire construire des casernes, des fortifications, pour multiplier les routes et le matériel roulant, etc. Aussitôt, les hostilités commencées, il lui faut faire face à des dépenses innombrables, dans un pays où la vie normale est arrêtée parce que tout le monde travaille pour la guerre. Un pays ne produit pas tout, ses réserves s’épuisent, son matériel s’anéantit, alors il demandera au dehors ce dont il a un besoin absolu, mais ce sera en payant valeur or ou en fournissant des garanties solides pour un paiement futur. Au moment de l’entrée en guerre avec l’Allemagne, tous les esprits réfléchis annonçaient que les hostilités dureraient peu, qu’en trois mois les belligérants seraient à bout de souffle, ruinés. Cette prophétie inquiétait peu les Allemands qui étaient prêts, qui avaient une confiance absolue en leur victoire rapide et que le malheur serait pour les vaincus.

Les compétences ont été trompées. Les trois mois se sont prolongés à plus de quatre ans, avec une furie de destructions sans cesse grandissantes. L’Allemagne a résisté contre tous ; Comment ?

En arrivant en France, les Allemands venaient avec la monnaie de leur pays dont l’unité était le mark, 1F25 en monnaie française. Ils avaient des pièces d’or de 10 et 20 marks, de la monnaie d’argent de ½, 1, 2 et 3 marks. Les pièces que je recevais le plus abondamment dans le commerce étaient les pièces de 2 marks, tandis qu’à l’invasion de 1870, les pièces de 3 marks dominaient. La petite monnaie était de nickel en pièces de 5 et 10 pfennigs, le pfennig étant le 1/100e du mark et valait pour nous 1 sou1/4 et 2 sous ½ mais circulaient généralement pour 1 ou 2 sous.

D’abord, la monnaie allemande était commune, mais après l’immobilité qui a suivi la bataille de la marne, après le départ d’une partie des troupes pour le front russe, les Allemands se rendirent compte que la guerre pourrait se prolonger et ils commencèrent à moins gaspiller nos productions et à serrer les cordons de leur bourse. Ils trouvèrent le moyen de soutirer de l’argent à leurs soldats riches : ceux-ci étaient contents de venir faire un tour en France, d’avoir la gloire d’avoir fait la campagne à condition que ce soit sans danger. Moyennant le versement d’une somme assez importante, 2000 marks je crois, ils ne seraient pas envoyés au front pendant trois mois, ils seraient employés, conducteurs d’autos, etc. Pour une somme pareille, pourquoi se priver de la presque certitude de revenir sain et sauf ? Beaucoup firent le versement. En novembre, la guerre n’était pas terminée, alors, alternative : verser une nouvelle assurance pour 3 mois ou aller au front, ce qu’on savait n’être pas sans danger. Après réflexion, on payait. J’en ai vu en 1918 qui pleuraient presque de se voir ruinés et de perdre la vie après quelques jours au front.

Une des première mesures financières à Montcornet a «été d’attribuer au mark un valeur de 1F35 au lieu de 1F25 sous le prétexte que les prix locaux étaient trop élevés et l’autorité allemande fit coller des placards chez les commerçants pour affirmer cette décision, d’où perte pour les marchandises marquées. On avait une petite compensation avec les pièces de 5 et 10 pfennigs qu’on n’avait comme 1 et 2 sous en détail et qu’on rendait aux Allemands au prix du mark : c’était M. le Curé qui y gagnait le plus car des dons en pfennig, à la quête, augmentaient sa recette de plus d’un quart. J’ai eu une fois l’occasion de gagner à la contrepartie : un officier allemand vint me trouver pour avoir la monnaie allemande d’un billet de banque français, je la lui rendis en marks de 1.35. C’était moins qu’il espérait pour lui, le mark valait encore 1.25 ; il réclame, je lui montre l’affiche de l’autorité, ne veut rien entendre, reprend son billet et sort. Ayant fait à peine vingt pas, il rentre et le change au prix fixé.

Les Allemands trouvèrent pratique et avantageux le système des amendes : un civil avait-il fait quelque chose de défendu : envoyé une lettre, caché un objet au lieu de le livrer aux réquisitions, etc. amendes ! Pas de frais de justice et cela rapporte. Pour un prétendu délit, amende à la commune ou au canton : amende aux cantons entourant la foret de Signy pour avoir alimenté jusqu’en novembre une compagnie de soldats français cachée dans la forêt ; 60.000 marks au canton de Sissonne parce que des malfaiteurs, évidemment pour eux des civils français, avaient semé des bouteilles cassées sur les routes pour couper les pneus des autos. La vérité la voici : les soldats allemands  aimaient le vin de France, ils en trouvaient, avant la réquisition générale qui eu lieu dans les maisons des personnes  « parties » et s’ils étaient conducteurs d’autos, ils emportaient une provision. Après un séjour d’une colonne d’autos sur la place, on pouvait relever plus d’une brouettée de bouteilles vides. Un jour, une voiture d’un de ces convois était arrêtée tout prêt de notre fenêtre, je vis le conducteur faire signe à un camarade et tirer une bouteille de sa cave qui était …l’enveloppe d’une roue ; chaque goulot de bouteille en réserve se logeant dans le fond de la bouteille suivante. C’était à n’en pas douter l’origine des bouteilles brisées sur les routes après avoir été vidées par les conducteurs.

En s’éternisant sur notre sol, (ils avaient l’audace de dire que c’étaient nous qui étions chez eux !) ils organisèrent le suçage des richesses en commençant par la monnaie.

Les communes eurent à payer, à différentes époques, des contributions de guerre qui étaient censées représenter les impôts dus à la France, mais on n’arrivait pas facilement à réunir les sommes : il y avait de l’argent caché qu’on ne voulait pas sortir ; des personnes riches étaient parties avec leur avoir et il est véritable qu’au moment de la moisson, bien des gens n’avaient pas de disponibilités. On cherchait des prêteurs qu’on ne trouvait pas toujours, alors les Allemands acceptèrent en complément un papier monnaie émis et garanti par les villes ou les groupements de communes et qui circulait dans les régions envahies sous le nom de bons régionaux, ou monnaie de nécessité.

 Il y en avait émis par des communes dont on avait jamais entendu parler, d’imitation facile, d’autres émis par des grandes villes comme Lille où le papier, la gravure et l’impression offraient plus de garantie. En général, ces bons n’inspiraient pas confiance et on s’en débarrassait aussitôt qu’on le pouvait. Nos ennemis avaient maintenant à les écouler avantageusement.

Des annonces répétées signifièrent la réquisition des monnaies françaises d’avant guerre, des marks qui devaient être échangés dans des bureaux de change appelés Wechseltube contre des bons régionaux, mais cela ne rendait guère. A chaque nouvelle contribution, leur stock augmentait, car on se débarrassait pour les payer, de tous les bons qu’on avait. Les communes empruntaient, pour les aider, je donnais tous les bons que nous avions, préférant une dette communale à tous les chiffons de papier si faciles à imiter.

Alors les Allemands payèrent des fournisseurs, des cultivateurs pour leurs réquisitions avec ces bons ; ceux-ci n’en étaient pas trop satisfait et cherchaient à les repasser à d’autres en achetant des choses qu’ils ne croyaient pas pouvoir être réquisitionnés, c’est ainsi que l’un d’eux nous a acheté, payé avec ces bons, tout ce que nous avions de piquets de fer à clore les pâturages. Les bons allaient aux prêts communaux, c’était la chaine sans fin.

Les soldats allemands avaient des marks papier que l’autorité estimait plus que les bons, et s’en servaient pour achats au services des civils. L’autorité décida que les soldats feraient ces paiements avec des bons que leurs échangeraient les Wechselstubes et une affiche en allemand leur rappelait cette obligation.

Pour compléter cette mesure il n’y avait qu’un pas à faire, aller chercher chez les civils la monnaie estimée, il fut fait : un jour, quatre personnages allemands vinrent me demander de leur ouvrir le coffre fort pour vérifier son contenu. Ils firent le triage que vous devinez, remplaçant la bonne monnaie relative par des bons. Un jeune homme parmi eux, me dit d’un ton arrogant, cassant : nous savons que vous recherchez notre monnaie ! Non répondis-je, lorsque j’en reçois, je l’accepte. Puisqu’il en est ainsi, me dis-je en moi-même, j’en aurai. Leur monnaie était assez estimée, parce que jusqu’en 17, elle permettait, soit directement, soit par l’intermédiaire de soldats, d’avoir dans les cantines certaines denrées qui sont des produits fabriqués remplaçant un produit naturel. Les fumeurs surtout faisaient la chasse aux marks pour satisfaire leur passion que n’alimentait pas assez le ramassage des mégots.

Donc, tous les soldats avaient de quoi payer leurs achats avec de la monnaie sans valeur : au lieu de leur donner le prix en monnaie imposée, je le leur indiquais en marks, par exemple, cela vaut 1M65 ; c’était un problème pour le soldat, combien cela fait-il en francs ! Plutôt que de faire le calcul, il me remettait mark et pfennig. Pour moi, le calcul était instantané, j’avais fait un barême des prix et je n’avais qu’à jeter un regard sur mon tableau. A cette époque, les ventes devenaient rares, toutes les marchandises ayant été réservées à l’armée, mais étant industrieux, j’étais devenu fabricant et réparateur, ce qui soulageait nos besoins. Je ne conservais pas la monnaie interdite, je l’échangeais aux civils sans bénéfice pour leurs achats dans les cantines et une perquisition ne m’avait pas trouvé en défaut.

En 1918, la monnaie n’avait plus guère de signification, quand on n’a plus rien de ce qu’on désire, à quoi sert-elle ? Un porte-monnaie plein d’or ne sert à rien si on est isolé dans un désert, et nous étions en période de famine et de pénurie de tout. Pas d’échange direct, Ma fille demandant à un soldat s’il ne pouvait nous faire avoir un de leurs pains, « peut-être, Madame, si vous pouviez me donner de la graisse ! » Mais nous n’avions pas de graisse! On accordait la culture de deux ares de terre par tête, en temps normal la récolte aurait atténué la misère, mais on retournait au vol et au brigandage : l’évacué, incertain de l’avenir, ne cultivait pas, il volait ; le soldat volait, le prisonnier volait ; que serions nous devenu l’hiver de cette année doublement mauvaise, car il n’y eu pas de fruits, si les hostilités avaient continuées.

La monnaie de valeur disparue de la surface, il restait encore des valeurs cachées dans la terre. Pourquoi ne pas chercher à l’avoir ? On le tenta en accordant une prime aux soldats qui découvriraient des cachettes dans les maisons occupées par l’armée. Beaucoup de fugitifs étaient partis si précipitamment qu’ils firent ces enfouissements sans réflexion. Dans une maison contigüe à la notre, un facteur, en bêchant un massif au printemps, trouva trois cachettes importantes, une quatrième existait dans le même emplacement que le propriétaire retrouva à son retour. Ces valeurs trouvées, pouvaient être données en gage pour obtenir un prêt.

La monnaie est intermédiaire d’échanges : ils en avaient besoin pour acheter à l’étranger des matières indispensables, mais il y avait un moyen d’arriver au même but, sans argent, en prenant tout ce qui existait chez nous : cuivre, métaux, laine etc, etc …Tout fut réquisitionné et j’ai le souvenir d’une grande affiche jaune qui en était l’énumération ; que nous restait-il ? A peu prés rien.

On ne pouvait pas dire à la fin qu’on avait encore la provision de muscles et de graisse de son corps, il y avait beau temps qu’elle était digérée et que les fonds de culotte des gros personnages de la localité pendaient presque jusqu’à leurs jarrets.

Dans les derniers temps, quand la menace d’évacuation était sur nous, des soldats venaient nous tenter pour nous laisser nus : « Vous allez partir avec les quelques kilos de bagages qui sont autorisés, vendez nous votre excédent de linge, de draps, au moins vous sauverez quelque chose. Certains se laissèrent convaincre.

En ce qui nous concerne, on nous informa qu’on allait enlever toutes les marchandises qui nous restaient, que j’ai à en préparer un chargement pour chaque jour. Me conformant à l’ordre, je faisais une préparation, et en dressait la liste pour un chargement rapide. Au troisième, tout était prêt, personne ne vint, ni les jours suivants : je demandais au sous-officier préposé à cette réquisition pourquoi l’enlèvement ne se faisait plus : « Cela ne presse plus ! » La Bulgarie venait d’abandonner et le front craquait de toutes parts.

La paix arrivait et nous eûmes la vision de la fin de nos maux.


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