NOËL ECHOS

 

Sur le front

26 décembre 1915

A mes chers amis des armées

Et réfugiés de «  chez nous »

 

En cette belle nuit de Noël 1915… à l’heure où les pieds dans la boue des tranchées, l’œil aux créneaux, le doigt sur la détente, vous veilliez à notre sécurité, à l’heure où dans quelques cantonnements de repos, vous réserviez peut-être à cette fête de Noël… A l’heure où, chers réfugiés, vous vous apprêtiez à partir pour entendre la messe de minuit… Vous ne pensiez pas que l’écho allait quitter sa grotte pour aller faire un tour au pays pour vous en rapporter les moindres nouvelles.

Quel mystérieux passeur déposa votre serviteur au milieu de ce bois charmant, d’où «l’échos» tire son nom. Je l’ignore, mais laissez moi conter ce que j’ai vu «là-bas».

Passant prés du cimetière, j’y entrais pour prier sur les tombes de nos chers défunts connus et inconnus qui depuis notre départ dorment en paix.

De là, je me rendis au presbytère; comme il est bien changé, notre vénéré doyen ! Vaincu par la fatigue et les  privations il s’est endormi dans son fauteuil, laissant tomber sur ses genoux son bréviaire qu’il n’a pu achever.

Au bruit que fit la porte, il se réveilla en sursaut.

Je me fis reconnaître.

Comment vous dépeindre cette scène inoubliable? Où les plus grandes joies du Revoir se trouvent mêlées aux poignantes angoisses de l’incertitude.

De suite, il me demanda de vos nouvelles.

Je lui fis part de nos morts, de nos disparus, de nos blessés… et j’ai vu de grosses larmes couler sur ses joues.

A mon tour, j’ai voulu l’interroger sur le sort des chers nôtres; qu’allait-il me répondre?

Chut! me fit-il, venez demain à la messe de 7h1/2 et venez me dire au-revoir.

Il me faut partir; d’ailleurs l’heure approche et Père Noël m’a donné rendez-vous, en haut, à la chapelle du calvaire. Je n’aurai gardé d’y manquer.

Que l’émotion étreint mon âme, quand, en passant devant notre belle salle de patronage, je ne vis plus flotter le drapeau tricolore, et qu’à l’intérieur, l’image de la Vierge lointaine n’était plus à l’honneur.

Le cœur bien gros, je remontais la rue du calvaire. Mes pensées repartaient au temps où jadis, dans un décor de théâtre, un bel arbre de Noël, chaudement garnis par vos soins, chers réfugiés et bienfaiteurs, émerveillait nos enfants….

Où en sommes-nous de nos promenades? ….. De nos jeux?…. De nos séances récréatives avec les jeunes?… Quand tout cela reviendra-t-il?..

Comme je me livrais à ces réflexions, le bruit d’un moteur attira mon attention…Une auto filait à toute allure dans la direction de Rozoy sur Serre (celle de l’état major prussien sans doute?)

A la lueur des phares puissants, je pus distinguer à gauche de la grand-route, cette avenue bordée d’arbres demi-séculaires, qui conduit à la chapelle du calvaire…. Je pus voir au loin le grand calvaire de pierre, où le Christ, les bras entr’ouverts, le regard tourné vers la terre, semble attirer le voyageur qui passe et lui dire:

«Viens à moi, toi qui souffre, car j’ai souffert et je te soulagerai»

«Viens à moi, toi qui pleure, car j’ai pleuré et je te consolerai»

Doucement, je pénètre dans le sanctuaire qu’éclaire faiblement une lampe à essence; et là, dans le silence et la prière, j’attendais le «céleste visiteur»

Dong ! dong ! dong ! dong ! dong ! ………………

«Minuit  Chrétien! C’est l’heure solennelle,

Où l’homme Dieu descendit jusqu’à nous….»

Mais d’où sortent ces voix mystérieuses ?… D’où vient cette éblouissante clarté? … Comme c’est beau!… Le ciel!…

Les chants ont cessés, La lumière disparue…. Debout, près de l’autel, un auguste vieillard à la barbe blanche, au long manteau hermine me fait signe d’approcher… C’est Père Noël!..

Sur la table d’autel, des paquets de bonbons, des figues enveloppées d’un papier d’argent sont alignés.

Père Noël n’a point de jouets cette année!..

Nous sortons…

Père Noël n’oublie personne, et si quelquefois il passe une maison, c’est que là, ses petits protégés n’y sont plus.

C’est qu’ils sont partis en exil…. Mais Père Noël n’oubliera pas non plus ses enfants réfugiés

Dans les rues des groupes d’officiers et de soldats sortant des cafés germanisés, rejoignent leurs cantonnements.

Prés de la cheminée….deux petits souliers un peu usés attendent la surprise que tout à l’heure Noël va déposer.

Sur la tablette de marbre, prés de la pendule, une photographie (celle du papa sans doute) que chaque soir, avant de faire «dodo», bébé embrasse.

Au milieu de la chambre, dans le petit lit de fer, l’enfant repose….. Père Noël veut le voir… le bénir, avant de garnir les petits souliers… et doucement, l’ange gardien entr’ouvre le rideau bien blanc…. Et bébé lui sourit… Il sourit à Noël qui arrive… il rit aux éclats…

Il rêve, pense à la jeune mère que ce rire vient d’éveiller… et contemplant avec amour l’enfant qui sourit… la jeune femme sourit à son tour.

Père Noël est passé… Curieuse, la maman veut voir ce qu’il peut bien y avoir dans les petits souliers…. Prés de la cheminée.

OH ! surprise! sa poupée, sa poupée de jeune fille, sa poupée qu’elle tenait précieusement cachée dans le fond d’un tiroir comme on conserve une relique; sa poupée que le père Noël avait retrouvée…. Et parée comme aux plus beaux jours de fête !

Bon Noël !… va !…

Et dans chaque demeure, chers amis, j’ai été le témoin de cette scène touchante.

Mais pourquoi, dans quelques foyers ai-je rencontré aussi un ange à la longue robe de deuil?

Tour à tour, je les ai interrogé.

«Je suis, dit l’un, l’ange gardien de celui qui n’est plus; désormais, je remplace près de la mère éplorée le fils tombé au champ d’honneur».

«Je suis, dit l’autre, l’ange gardien de ce père de famille, mort pour la France, qui maintenant repose dans quelque coin de l’Argonne, de l’Aisne, ou de la Champagne».

Nous sommes les messagers du bon Dieu qui, au retour, viendront frapper à la porte de vos cœurs pour vous rappeler les paroles de notre divin Maître «Consolez la veuve, secourez l’orphelin».

Cette fois, j’ai compris la bonté de Dieu, qui jamais n’abandonne les petits et les faibles.

  

25 décembre 1915 – 7h1/2 du matin

Que de monde à l’autel de la sainte Vierge! Tous les bancs sont garnis. Quelques uniformes kaki tranchent sur le noir dont les nôtres sont vêtus.

Le prêtre donne maintenant la Sainte communion, chacun reprend sa place, et à ce moment, je pu voir les visages des êtres chers que nous avons laissé là-bas.

Je les ai vu plus calmes, plus résignés. J’ai vu la joie s’épanouir sur toutes les figures…. J’ai entendu la prière du cœur…. J’ai entendu prononcervotre nom…

Mais comme les autres années, je n’ai pas vu la crèche qu’une main habile dressait près de l’autel du Sacré Cœur. Je n’ai pas entendu «bébé» faire ses petites réflexions, et demandant à sa bonne maman pourquoi «le gros bœuf voulait manger le petit Jésus».

Lentement, les fidèles sont sortis…. Sur le parvis, de petits groupes se forment… on cause à voix basse… avez vous des nouvelles? … et vous?…

De nouveau, je me rends au presbytère; cette fois, notre doyen est souriant.

Je compte sur vous, me dit-il, «par la voix de l’échos» pour dire à mes chers agneaux qui se battent aujourd’hui comme des lions, que leur vieux pasteur les attend pour les bénir comme il les oint autrefois, comme il bénit aussi leur union.

Dites bien à nos bons réfugiés qu’il me tarde de les revoir très bientôt dans leurs foyers, prés de leurs familles qui soupirent après eux.

Rappelez bien à tous que………………..

(à ce moment, la porte s’ouvre, la vieille bonne d’une voix encore mal assurée, annonce:

«Her Von Schoubermann»

Chers amis lecteurs, pardonnez moi d’avoir abusé de vos précieux instants. Ne vous semble-t-il pas bon de causer ensemble du pays? N’est-il pas meilleure occasion d’en parler qu’en ces temps de fête de famille?

Que ce ne soit pas pour nous une occasion de tristesse. Aimons à évoquer les doux souvenirs du passé. Ils nous aideront à mieux supporter les épreuves du présent, à fortifier notre confiance en l’avenir.

Ces beaux jours reviendront s’il plait à Dieu!

C’est le vœu que je forme pour vous tous en l’occasion de la nouvelle année qui commence.

Bon courage et confiance… toujours !…

H.Romagny

 


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