Après avoir terminé ses "souvenirs de guerre", il réalise ce manuscrit relatant ses permissions à Lisieux où il avait des amis (ne pouvant rentrer chez lui à Montcornet occupé par l'ennemi).

Comment pourrais-je mieux témoigner toute ma reconnaissance envers l'humble Carmélite de Lisieux sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus notre chère protectrice de 1914 et de toujours, ainsi qu'envers sa vénérée sœur, la Révèrende Mère Agnès de Jésus.

 

Sœur Geneviève de la sainte face, Céline, sœur Marie de la trinité dernière novice de Sœur Thérèse, et toute la communauté qui me témoignèrent tant de sympathie au cours de la Grande Guerre.

 

" Tout le Carmel de Lisieux prie beaucoup pour le sympathique monsieur Romagny" nous avions même fait des prières pour le repos de son âme tellement son long silence de 15 jours nous avait inquiété - carte postale de juillet 1917 - sœur Marie de la Trinité (voir photos novices 1895)" par la révérende mère Agnès.

 

Malheureusement, vu les changements de régiments, de secteurs (20), l'obligation parfois  d'alléger son paquetage, de faire disparaitre une correspondance privée feront comprendre qu'il ne reste plus que le souvenir très lointain de nos entretiens.

 

Comment ai-je fait connaissance avec le Carmel de Lisieux?

 

Il nous faut remonter au  2 août 1914 à Montcornet.

 

Le tocsin sonne, le tambour de la ville bat le rappel, c'est la guerre, la mobilisation. Départ brusque des officiers, des employés de chemin de fer, des maréchaux ferrants. (ferrage des chevaux) c'est la consternation. Une personne de nos amis entre au magasin (madame Cardon). Prenez cette Reliques de sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, elle vous protégera. Sœur Thérèse! connais pas! je n'en ai jamais entendu parler!

 

 Je range précieusement cette relique avec d'autres souvenirs dans mon portefeuille.

 

  Trois août huit heures et demi du matin, après la Sainte Messe, départ en route pour l'inconnu.

 

9 septembre, 6 semaines après, recul de nos armées.

 

Dans le vaste champ, des tranchées creusées par l'infanterie indiquent le lieu du combat sur le bord des tranchées, des corps inertes, la tranchée devient la tombe.

 

Mais voici " une petite fleur" que je viens de cueillir en ces lieux.

 

Comment se fait-il que les pieds des chevaux ne l'ont pas foulé! Pourquoi les roues des canons dont on voit les traces, ne l'ont elle pas écrasée! d'où vient donc que les pas des fantassins  ne l'ai pas piétinée? Pourquoi?

 

Et voici que mes pensées se tournent vers La Providence qui même au milieu des pires catastrophes sait ménager ceux qui mettent leur confiance en elle.(s.g. page 13)

 

 (Voici la petite fleur, collée dans son manuscrit "souvenirs de guerre)

 

Ma première permission front de l'Aisne aout 1915.

 

 

 

 Après le repli stratégique du 30 août 1914 qui nous fit reculer jusque Montmirail, c'est le retour par les mêmes routes qui nous ramènent sur le bord de l'Aisne où il nous faudra attendre 3 longues années avant de traverser la rivière, et être prêt à l'offensive.

 

Période mouvementée (voir souvenirs de guerre). il fallait bien tenir, moralement surtout.

 

 C'est alors que l'on songea à  établir les permissions, sans pour autant trop dégarnir le front. Permission oui, mais les gars des pays envahis où vont-ils?

 

Pour eux des centres d'hébergements fort bien organisés seront établis.

 

Plus heureux ceux qui rencontreront des réfugiés de leur pays qui voudront bien les recevoir. J'ai été de ceux là. Dieu merci et c'est à Lisieux même que je passerai une partie de ma première permission "aux Buissonnets", dans la chambre qui fut celle de Céline et de Thérèse avant sa maladie.

 

(s.g.125-109) C'est sous ce lieu paisible et charmant que je vais trouver le repos, le réconfort dont j'avais tant besoin.

 

C'est le paradis sur la terre. Tout y respire la paix, le bonheur, la foi. Quel contraste après ces 13 mois écoulés sur le front, dans cet enfer, où chaque jour se passe dans la crainte, dans l'effroi.

 

Ces heures délicieuses aux " Buissonnets", je voudrais qu'elles fussent goûtées par nos chers réfugiés, comme par nos chers envahis. Je voudrais que tous en partagent les bienfaits.

 

 Les Echos de Montcornet N°5, polycopiés sur le front, le disent.

 

Dans cette «maison bénie», dans cet enclos délicieux «des Buissonnets», tout respire «Sœur Thérèse». Tout autour de soi, ce n’est que dévouement et charité, ou la bonté souriante et gaie, cachet particulier de la servante de Dieu, semble s’être personnifiée en la présence des maîtresses de céans (amies de sœur Thérèse) gardiennes fidèles et dévouées de ces lieux, où vécu «la petite Reine» où les chers souvenirs de «l’évangélique enfant» sont religieusement conservés.

 

Mais au fait ! Vous ne connaissez peut-être pas sœur Thérèse?

 

Aussi, je vous adresse sa photo. Conservez-la précieusement dans quelque doublure de capote. Pour l’instant, «ça vous laisse froid». Je le comprends et vous excuse ; Je l’ai été peut-être plus que vous.

 

Mais voyez-vous chers amis, j’ai été tellement renversé de voir combien la petite sœur aimait ses «frères» qui défendent si vaillamment sa chère France; j’ai lu tant de preuve de sa protection pour les «poilus»; j’ai vu tant de pèlerins défiler devant sa tombe, dès la première heure du jour jusqu’à la nuit tombante; j’ai vu tant de fidèles s’agenouiller, malgré la pluie battante, et y prier avec tant de ferveur et de foi; j’ai entendu de la bouche de personnes dignes de foi le récit de faits tellement extraordinaires, que je vous engage à votre tour à placer votre confiance en sœur Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face.

 

Demandons lui, dès maintenant, chers combattants, quand une fois nous aurons lu la prière qui se trouve au dos de l’image, la grâce de ne pas « nous laisser partir » sans le secours de la religion si par hasard la balle, ou l’obus, ou l’asphyxiant nous signaient une permission «pour l’éternité».

 

Demandons lui aussi, cela nous rassure, étant donné, je le répète, les faits surnaturels et vraiment miraculeux que j’ai lu (et qui seront publiés après la guerre) la conservation de notre individu au milieu de la rafale d’acier. Recommandons lui aussi nos chères familles.

 

Faut-il y ajouter que je suis à votre entière disposition pour vous faire parvenir des reliques si vous le désirez; reliques que de pieuses mains de réfugiés confectionnent pour vous.

 

Faut-il aussi vous dire que vous me ferez plaisir en me demandant le petit opuscule qui vous fera mieux connaître votre « sœur» d’en haut, l’ange du carmel de Lisieux ; que cet envoi vous sera fait gratis

 

Qui est sœur Marie de la Trinité et de la Sainte Face?

 

On lira avec beaucoup d'intérêt sa biographie dans le dossier circulaire du Carmel.

 

  13 e enfant d'une famille de 19 enfants dont 9 au ciel en bas âge, née le 12 août 1874 à Saint Pierre sur Dives ( Calvados) entre au Carmel le 30 août 1891, revêt le Saint-habit le 12 mai 1892 (elle a donc 18 ans), épreuves jusqu'au 30 avril 1896 où elle a la joie de prononcer ses saints vœux. novice de sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus. décédée le dimanche 16 janvier 1944.

 

En 1915 elle avait donc 41 ans quand nous fûmes en relation.

 

Fille de Léon Castel, fidèle collaborateur de l'abbé Roussel, le fondateur de l'œuvre d'Auteuil, la novice qui avait entendu parler tant de fois chez elle de cette œuvre si nécessaire et si belle la fit connaître avec enthousiasme à sœur Thérèse et c'est de ce moment là que notre Sainte promit de prier pour l'âme des enfants de cette maison d'accueil dont elle deviendrait la patronne providentielle et la céleste pourvoyeuse de cette œuvre.

 

De ce fait, sœur Marie de la Trinité en devint la marraine spirituelle, charge dont elle s'acquitta avec ferveur et fidélité.

 

Aussi peut-on voir dans le groupe exposé dans la chapelle d'Auteuil, sœur Marie de la Trinité (visage et pose authentique auprès de son frère Joachin Castel) présentant à sa céleste maîtresse Sainte Thérèse, deux orphelins choisis parmi les milliers qui passent à Auteuil.

 

Minée par un mal terrible qui la fera beaucoup souffrir, un lupus qui lui dévorait la face, de ce mal jamais elle n'en a parlé, sinon dans ses dernières lettres, qu'elle voyait de moins en moins clair et s'excuser de sa mauvaise écriture.

 

(Voir aussi lettre à sœur Germaine, son infirmière, dans la circulaire de Sainte-Marie de la Trinité, sœur Germaine soigna également Marie Agnès de Jésus.

 

Et quand je saurai en lisant, le vrai visage de Thérèse( page 42) que sœur Marie de la Trinité était chargée des relations avec les éditeurs d'images et de médailles, j'aurai compris combien l'heureux privilégié que j'étais avait pu disposer de tant et tant de médailles et images pour la plus grande joie de mes camarades du front, lors de mes déplacements dans plusieurs régiments d'artillerie, gars du midi, de l'Est, du Nord et de la région parisienne appelés sur le front. (voir souvenirs de guerre).

 

Deuxième permission à Lisieux octobre 1916

 

 

Me voici de nouveau à Lisieux sur la tombe de sœur Thérèse, toujours la même affluence de pèlerins. Permissionnaires du front, de vieilles mamans, des épouses, des enfants.

 

Ici pas de respect humain, on prie tout haut, à genoux, on récite le chapelet, des monceaux de lettres, de cartes de toute nature jonchant le parterre abondamment fleuri. Le brave sacristain du Carmel, (le bon Monsieur Pierre) viendra chaque semaine prendre ces missives pour les porter au Carmel.  On peut y lire: sœur Thérèse protège mon mari... sœur Thérèse rendez-moi mon papa chéri,... guérissez ma maman... sœur Thérèse gardez moi ma femme, mes enfants restés au pays envahi...etc...etc...

 

 Au Carmel nos dévouées religieuses en prendront connaissance et prieront à toutes ces intentions.

 

Sur les pétales et les feuilles en celluloïd des couronnes, sur l'entourage de l'enclos réservé aux Carmélites, des signatures couvrent la peinture blanche des barreaux.

 

Ce jour-là, une bonne surprise m'est réservée. Le grand bonheur et la joie d'être reçu par la Révèrende Mère Agnès de Jésus (la petite mère de sœur Thérèse) et sœur Marie de la Trinité. (la dernière novice de la Sainte et sœur de Mademoiselle Mickaël Castel, la dévouée gardienne des Buissonnets).

 

 Aussi vous comprendrez bien mon émotion en pénétrant dans ce parloir, en présence d'une grille aux barreaux menaçants, toute en fer forgé, derrière laquelle un grand rideau empêchait de voir ce qui se passait de l'autre côté.

 

Avant d'entrer, j'avais bien demandé à Mademoiselle C. comment il fallait aborder l'entretien...s'il y avait un protocole à suivre...que sais-je.

 

Non, vous direz simplement: "Ma Petite Mère"...et après l'Esprit-Saint vous guidera...

 

Je n'étais pas plus avancé. Qu'auriez vous-fait à ma place! Ce n'est tout de même pas après 29 mois de front au milieu des bois, loin de tout pays civilisé, déjà tout imprégné du jargon militaire parfois pimenté, que l'on est bien préparé à entamer une conversation avec de saintes religieuses...

 

 Je commençais donc par remercier ce bon Carmel de l'envoi si régulier, si généreux des reliques, images, prières, en vue de la béatification de la " Petite Sœur des tranchées"  que déjà pas mal de combattants connaissait, heureux de posséder son image, ou d'accrocher la médaille parfois visiblement sur la veste.

 

Je faisais un certain rapprochement de la manière de vivre de la carmélite et du combattant couchant tout habillé à même la terre, enveloppé dans une toile imperméable et une couverture, quelquefois sur de la paille, sur un lit fait de grillage.

 

Pas de nouvelles des familles restées en pays envahi, toujours à la merci d'un éclat d'obus, sur le qui-vive jour et nuit.

 

Evidemment, ce n'était pas là une conversation fort réjouissante, et je me demandais bien ce que je pourrais encore bien raconter.

 

Heureusement la vénérable supérieure vint à mon secours.

 

"Mais au milieu de toutes ces épreuves quel est le moral de nos chers combattants?"

 

J'étais sauvé...Je me retrouvai par la pensée au milieu des bois... loin du Carmel...au milieux des camarades, mes "ch'timi". des gars de "s'eh nord". je ne cherchai plus à faire des phrases... j'étais redevenu "nature".

 

Oh, pour ça! ma petite mère, épatant le moral! surtout le jour d'une distribution supplémentaire de " pinard", ou encore une distribution de gnôle (1/4 pour 5.) Alors on chante, on rit, on parle beaucoup... on tiendra...on les aura!

 

De bons moments encore pour les "sans famille", envahis. L'arrivée du colis "d'une marraine de guerre"... colis que l'on partagera avec les copains. Car la véritable fraternité existe au front.

 

 Mais il y a encore plus ennuyeux que les "boches", ce sont "les totos", gros poux à la croix de fer, qui la nuit vous chatouillent dans le dos et vous empêchent de dormir. Aussi leur fait-on la chasse. On les trouve assez facilement dans les plis du col de la chemise ou du caleçon. Heureusement car il ne fait pas très clair dans le "gourbis" à 2 m sous terre, éclairé par une lampe à pétrole.

 

C'est quand même à celui qui en tuera le plus,... ou le plus gros... c'est passionnant.

 

Mais pourquoi ri-t-on de si bon cœur de l'autre côté du rideau,  de ce que je disais? ou de la manière de raconter une bonne histoire? aurais-je dévoilé aux honorables Carmélites qui m'écoutaient le secret de se débarrasser des poux comme me l'avait confié l'un de mes poilus. Se mettre du sel et du poivre dans le dos. Le pou en reniflant le poivre éternue et en éternuant se cogne la tête contre le grain de sel.

 

 C'est très possible. Tant il est vrai que dans ce parloir qui m'avait tant impressionné en arrivant, je me trouvais maintenant tout à mon aise, charmé par l'accueil bienveillant, J'allais  dire tout à fait familial que m'avaient fait "notre petite mère" et sœur Marie de la Trinité qui l'accompagnait.

 

 Je lisais dans la biographie de la Révèrende mère Agnès de Jésus ( page 49) pour certaines âmes, un entretien avec elle devenait une grâce de lumière pacifiante. Oui il faut avoir passé par là pour le comprendre et surtout l'apprécier en temps de guerre, loin des siens et à la veille de repartir pour le front.

 

Mais le moment de quitter est arrivé et la vénérée supérieure de me dire combien le Carmel aimait nos vaillants combattants, nos sauveurs disait-elle, et prenait part à leur souffrances en priant pour eux et pour leurs familles, pour que bientôt finisse la guerre avec la victoire de nos armées.

 

 Sur les conseils de  Mademoiselle C, je demandai à notre révèrente Mère sa bénédiction.

 

 Déception... elle ne s'en croyait pas digne... doute que toutes les Carmélites font suivre leur signature R.C.I.(Religieuse Carmel Indigne ) mais était-ce une raison valable?

 

 J'étais navré, prêt à partir. Madame C. me fait signe d'insister. Je m'enhardi... très respectueusement, je manifestai  mon étonnement, la peine que me causait ce refus, et ne pu m'empêcher de lui faire cette remarque. "Mais ma Petite Mère, ce n'est pas une prière... c'est un ordre!"

 

 Peut-être me reprocherez vous ce réflexe par trop militaire, mais nous étions en guerre et au front, est-ce que rien ne se passe sans un ordre d'exécution.

 

Ne croyez pas que la Révérende Mère fut choquée de ce qu'aujourd'hui on pourrait appeler "impertinence grossière". Pas le moins du monde. Pour moi, le sourire de Madame C. qui elle voyait  ce qui se passait à l'intérieur devait refléter le sourire de nos vénérées Carmélites.

 

Je fus récompensé de mon audace...

 

"C'est bien, s'il en est ainsi je vais vous donner une bénédiction, pour vous et pour votre chère famille."

 

M'agenouillant profondément ému, réconforté, joyeux, c'est ainsi que je reçu la bénédiction de Notre Révérende Mère Agnès de Jésus, la petite mère de sœur  Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face.

 

En insistant ainsi, je n'avais fait que suivre le conseil qu'elle même avait donné à sa Petite Thérèse qui se rendait à Rome pour demander au Saint-Père l'autorisation d'entrée au Carmel à 15 ans.

 

Courage petite sœur surtout ne te laisse pas démonter... pense à la persévérance de la  chanoinesse .

 

Cette épreuve de la bénédiction refusée, je ne suis pas le seul  à la connaître en rapport dans la biographie de la Révèrente Agnès, envoyée à tous les Carmel (page 49) le fait suivant : nous nous souvenons encore de cette scène émouvante d'un prélat au Vatican, futur cardinal admis à faire un pèlerinage à l'intérieur du monastère. Au moment de nous quitter, sur le seuil de la porte de clôture, comme notre mère s'agenouillait pour recevoir sa bénédiction, nous le vîmes se mettre lui-même à genoux devant elle, refusant  de se relever avant d'avoir été béni par la petite Mère de la Sainte. A ma grille du parloir, le même fait se renouvela plusieurs fois.

 

 C'était certainement là, plus diplomatique qu'un ordre.

 

Mais voila, j'étais un gars du front et non pas un prélat du Vatican.

 

Troisième permission à Lisieux aout 1917

 

2ème exhumation de sœur Thérèse de l'enfant Jésus

 

Avant propos.

 

Madame Caudron m'avait bien invité à me rendre à Lisieux pour les journées des 9-10-11 août.

 

Un grand événement tenu secret concernant sœur Thérèse devait avoir lieu.

 

Mais au front, c'est à chacun son tour de partir en permission. Ce n'était pas le mien, mais celui de mon adjudant. Or il s'est trouvé que cela ne l'arrangeait pas. Il aurait préféré plus tard, pour la première communion de son garçon. Date qui correspondait à mon retour. Faut-il considérer comme providentiel cette situation qui allait  me permettre de répondre à l'invitation de la "petite sœur des tranchées" par l'intermédiaire d'une fidèle amie du Carmel.

 

 C'est ainsi que le 2 août j'embarquais pour Laigle, sans avoir eu le temps de prévenir la famille Girardot Dussart chez qui je restais jusqu'au mercredi 8 aout.

 

Lisieux jeudi 9 août.

 

Le matin la pluie tombe à torrent, l'orage gronde au loin. 14h le temps s'éclaircit, il va faire beau. le cimetière se remplit de monde. Les membres du tribunal arrivent au couvent. Le cortège se forme à l'entrée du cimetière. Monseigneur Lemonnier en tête, Monseigneur de Teil, un postulateur de la cause, plusieurs chanoines, un groupe de dames porteur de gerbes de roses et de lys se rendent en procession à la tombe.

 

En présence des autorités, le caveau renfermant le cercueil est descellé.  On ne peut approcher. Les barrières sont mises, gendarmes et agents assurent le service d'ordre.

 

Le cercueil trop large pour sortir par la porte de l'enclos de la communauté doit être dressé debout ce qui permet de mieux voir. Il est chargé dans le corbillard de la ville qui le conduit jusqu'à la porte du cimetière. Le cortège suit la voiture mortuaire.

 

Sur le parcours, les fidèles tentent en vain de toucher le cercueil, qu'ils prennent patience, car dans un moment les porteurs le prendront sur leurs épaules pour aller le déposer dans la chapelle (dépositoire) du cimetière. Alors il sera facile de l'aborder, de l'embrasser.

 

Devant cette chapelle trop petite pour contenir les membres du tribunal une tente est dressée. Deux grandes tables, des seaux à eau, quelques chaises la garnissent.

 

Le cercueil est placé dans la chapelle. Monseigneur Lemonnier, le commissaire et le commissaire de police de Lisieux posent les scellés sur la porte. Mais il faut à la petite sœur une garde d'honneur.

 

Par quelles suites de circonstances suis-je là?

 

Pourquoi ce bon Carmel m'a t-il accordé cette insigne faveur que beaucoup de fidèles jalouseront  sans doute.

 

Pour le moment, je suis avec le fils Macart et deux agents. Tout à l'heure vers 20h viendrons ce bon monsieur Pierre, le sacristain du Carmel monsieur Hacart père sacristain de Saint-Jacques, autrefois sacristain au Carmel pendant 27 ans. Monsieur Noël un bienfaiteur des Buissonnets et un soldat belge.

 

Les bonnes dames du Carmel pensent à tout. Et dans la maison du gardien un copieux ravitaillement nous attend. Maintenant tout est calme dans le champ des morts. Dans la tente qui nous est réservée, chacun prend sa place se faisant vis-à-vis. Je m'installe près de la table où j'écrirai. En cette nuit mémorable de veillée, mes pensées doivent aller de Sœur Thérèse à ceux que j'aime, parents et amis....

 

Mais vers 3h30 du matin, le sommeil me prends à mon tour. Il me faut sortir... et l'air frais du matin me réveille... dans la grande allée, au milieu des tombes dont les silhouettes des monuments se distinguent  à peine,  j'ai prié pour ceux et celles qui souffrent de l'exil et de la séparation.

 

Est-ce à dire que la veillée se soit passée dans le calme et le silence... non il a fallu que chacun raconte sa petite histoire. Monsieur Hacart contemporain de sœur Thérèse, nous charme par des récits sur l'ange du Carmel dont il nous retrace le charmant sourire. L'agent nous raconte quelques aventures  avec les Apaches (quel contraste). Le soldat belge et moi ...nos petites histoires du front. Pendant que tout près de nous, notre chère Protectrice des amis, des petits et des faibles doit sourire de nous entendre. Seriez vous scandalisé si je vous disais que nous avons grillé pas mal de cigarettes! Non n'est-ce pas. Il fallait tenir et l'on a tenu.

 

Mais voici le jour... un peu d'eau sur les yeux, une bonne tasse de café, un coup de brosse et nous sommes prêts pour la journée. Dés 8h, le monde commence a venir... on apprend que deux Carmélites doivent venir.

 

 9h30 voici le cortège... en effet on distingue deux silhouettes que l'on n'a pas l'habitude de rencontrer sur les chemins... un voile épais masque leur visage... une indiscrétion nous permet de reconnaître sœur Geneviève (Céline) sœur de la petite Thérèse, et sœur Magdeleine l'infirmière qui a soigné sœur Thérèse...

 

Elles sont accompagnées de Mademoiselle de la Tour d'Auvergne et de mademoiselle Michael Castel...gardiennes des Buissonnets, sœur de Carmélites.

 

La foule est recueillie... les plus hardis, ceux qui savent, portent à leurs lèvres, les plis flottants de la robe de bure de ces saintes qui passe... et j'ai eu cette audace.

 

"Je parlerai plus tard de cette jeune fille du nom de Germaine, qui apercevant les deux Carmélites au cimetière, se senti irrésistiblement attirée vers elles et baisa le manteau de la chère Céline de Thérèse. Celle-ci touchée du geste, demanda intérieurement pour cette jeune fille inconnue, la grâce de la vocation religieuse. Elle fut exaucée".( voir lettre de sœur Germaine 10 septembre 1951) et biographie février 1953.

 

Le tribunal est entré dans la tente... aux allées et venues des ouvriers, on devine que les travaux sont commencés. Je vais déjeuner car avec le jeune  Hacard, nous devons reprendre la garde de 11h à 14h, c'est à dire pendant la suspension des travaux.

 

Profitons de cet instant de repos pour vous donner quelques détails sur ce qui se passe.

 

Il s'agit de reconstituer le corps de sœur Thérèse, de soumettre les ossements à une préparation chimique en vue de leur conservation.

 

Formons le veut de voir bientôt ces précieuses reliques sur nos autels ( nous prions pour cela).

 

 3 cercueils disposés dans la tente recevront tout à l'heure les restes de notre "cher petit Reine"

 

Le premier est en chêne massif, il mesure 1 m, sur le couvercle aux bordures finement ciselées, une grande croix demi ronde sculptée, coupée par son milieu par un cadre des plus fouillé, porte à son croisement une grande couronne d'épines.

 

Ce travail de patience est dû au couteau de Monsieur Hacart père. Dans le cadre, une peinture représentant la Sainte Face nous révèle le talent de l'artiste Céline. L'intérieur de ce cercueil (disons plutôt coffret) est capitonné de satin blanc, provenant de la robe de mariée de la dernière carmélite entrée au Carmel de Lisieux.

 

Le deuxième cercueil de zinc doit isoler cette superbe chasse que nous venons de voir.

 

Le troisième cercueil tout en palissandre à été offert par une maison de Paris. Tout à l'heure nous pourrons le voir à notre aise. Mais ce que je n'oublierai jamais, ce que j'aurais toujours présent à mes yeux... c'est le squelette de sœur Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face reconstitué par les trois docteurs sur la table d'opération.

 

Par la petite lucarne de la chapelle, j'ai pu contempler longuement les restes de l'humble servante le Dieu.

 

Quelle leçon que la mort...

 

Que de salutaires pensées devant ces quelques ossements d'une Sainte... aussi belle... que nous sommes peu de chose...

 

Oh petite sœur Thérèse, maintenant, je vous comprends mieux. Je sais pourquoi vous ne vouliez pas perdre votre temps à des bagatelles, pourquoi vous vouliez avoir une âme bien belle quand viendrait votre tour.

 

 Enseignez nous votre petite voix d'enfance spirituelle... apprenez nous à mieux aimer l'humilité... à mieux pratiquer la charité....

 

 A peine 13h30, et déjà bon nombre de personnes s'entassent près des barrières. Bientôt le même cortège du matin se forme de nouveau, les travaux se poursuivent.

 

A diverses reprises on montrera aux fidèles le scapulaire qui recouvrait les ossements de sœur Thérèse pendant quelques temps. Chacun veut lui faire toucher des objets. Tous voudraient voir aussi de près et toucher le précieux couvercle du coffret qui va recevoir les restes de la petite sœur. Je me prête volontiers à ce désir en le prenant à mon tour (car il est lourd) et le présente à la foule. On l'admire, on l'embrasse (comment résister à la demande de tous les fidèles tant pis pour la consigne) Ce bon monsieur Pierre vient nous prévenir que nous pouvons ramasser les objets à faire toucher aux ossements de sœur Thérèse. Pendant deux grandes heures, sans cesser un seul instant, c'est une navette de la barrière à la chapelle. Nous étions un moment cinq à assurer ce service. C'est incroyable ce qui nous est passé d'objets dans les mains.

 

Les travaux tirent à leurs fin. Pendant que les ouvriers prennent les dispositions pour la sortie, Monseigneur de Teil, le vice postulateur de la cause s'approche de moi.  Il a quelque chose à me dire...

 

L'objet de notre entretien! La présentation du cadre de Sainte-Thérése que j'avais fabriqué sur le front de Soissons pour le Saint-Père, et qu'il a porté lui même à Rome en même temps que le précieux document pour la cause de notre "Petite Reine" (document secret).

 

 C'est le récit amusé de sa  petite aventure à la douane italienne quand le brave fonctionnaire ouvrit lui même le colis qu'il tenait sous le bras (il faut se rappeler que nous étions en guerre) geste qui ennuie fortement monseigneur de Teil à cause des secrets. Surprise stupéfaction de ce brave homme qui voulait savoir en ouvrant le colis, de voir ce cadre souvenir de guerre, avec le portrait de la petite sœur des tranchées. Profondément ému, il remit sans même reficeler le colis, le cadre à Monseigneur de Teil c'est encore  le récit de son entretien avec le Saint-Père, l'accueil bienveillant du Père des fidèles, la bonté de sa sainteté Benoît XV pour le" brave soldat" à qui il voulait donner quelque chose, un souvenir...ce souvenir que Monseigneur de Teil m'a rapporté. Ce magnifique crucifix, que sa sainteté a bénit, enrichi de toutes les indulgences possibles y compris celle de la bonne mort, mais que ce soit le plus tard possible, a-t-il ajouté.

 

Puis Monseigneur de Teil me présente à Monseigneur Lemonnier. Le vénéré prélat me demandant d'où je suis... et lui parle de ma famille restée au pays envahi... je lui parle aussi de la vénération des poilus envers leur cher protectrice.

 

Après avoir baisé respectueusement son anneau, je me retire.

 

Trois jours après j'étais sur la brèche, à l'observatoire d'où je puis voir le village de Prouvais, ou  du moins qu'il en restait... un pan de mur.

 

Le Cadre

 

Le cadre à été travaillé avec les débris d'engins de guerre dans l'observatoire d'artillerie du mont de Belleu (près de Soissons).

 

 Expédié au Carmel de Lisieux 7 janvier 1917 avec une supplique au saint Père pour activer la béatification de la "petit sœur des tranchées", la protectrice des combattants qui l'aimaient.

 

Cadre et supplique furent remis à sa sainteté le pape Benoît XV au cours d'une audience privée par Monseigneur de Teil, vice postulateur de la cause de sœur Thérèse de l'enfant Jésus le 18 juin 1917.

 

" C'est avec un visible plaisir (dit Monseigneur de Teil) que le souverain pontife examina les détails du cadre, et avec une vive émotion qu'il fit à haute voix la lecture de la supplique qui lui était adressée."

 

A la fin de cet entretien le Saint-Père remit à Monseigneur de Teil le crucifix indulgence de sa main, destiné au soldat R.

 

Sept  semaines après cette entrevue, le 9 aout 1917 eut lieu "la deuxième exhumation" des restes de la servante de Dieu.

 

On trouvera le détails de cet événement dans une petite brochure portant ce titre

 

Détails complémentaires au sujet du cadre

 

 Du fait que j'avais déjà fabriqué un cadre (triptyque) en matériaux du front pour le Carmel de Lisieux, et deux autres pour les  aimables gardiennes des Buissonnets (sœurs de Carmélites) qui m'avaient si bien reçu lors d'une permission précédente du front dans la maison bénie  de sœur Thérèse.

 

Sœur Marie de la Trinité (novice de notre chère Sainte) me suggéra d'offrir au Saint-Père un cadre avec le portrait de sœur Thérèse qu'elle m'enverrait.

 

 Une idée (lettre du 18 novembre 1916), encadrer cette photo, y jeter une branche de roses tombant sur les armes du Saint-Père.

 

Idée géniale que je m'empressai d'étendre sur le Carmel en général, le tiers ordre de Saint François, sur la France au Sacré-Cœur, sur nos armes et sur l'église tout entière.

 

En route pour l'exécution. Un de mes cher poilu, dévot de la petite sœur, Nestor François, ouvrier tôlier de Lille,  compose artistement la branche de rose et les pétales avec des douilles de cartouches françaises.

 

Je fais le reste (voir lettres et portrait de famille, souvenirs de guerre)

 

Le bloc d'aluminium prend l'aspect des pierres taillées dans le roc de notre refuge (champignonnière de Belleu)

 

Le 7 janvier 1917, il est expédié au Carmel, avec une supplique au Saint-Père pour activer la béatification de la "petite sœur des tranchées" tant aimée par les combattants.

 

 Le 21 janvier, jour de la fête de la révérende mère Agnès (la petite mère de sœur Thérèse) celle-ci m'écrit : " ne sais comment  remercier l'ami de notre petit sainte pour ce magnifique cadre destinée au Pape et la lettre au Saint-Père."

 

 "Oserai-je demander encore quelques lignes pour offrir le cadeau, c'est très pressé."

 

Quelques jours après : lettre de sœur Marie de la Trinité de la part de la petite mère (c'est ainsi qu'on l'appelle au Carmel). Très vifs remerciements à Monsieur R. pour sa carte d'offrande au Saint-Père. Elle arrive à temps car notre évêque doit partir aux premiers jours de février".

 

Il n'en a rien été... nous sommes en guerre... les frontières sont fermées. Néanmoins le cadre parviendra au Saint-Père par l'intermédiaire du vice postulateur de la cause monseigneur de Teil beaucoup plus tard.

 

Nous sommes toujours en guerre.. janvier, février.. (sœur Marie de la Trinité m'écrit : "tout le Carmel de Lisieux prie beaucoup pour le sympathique monsieur R... nous avons fait des prières pour le repos de son âme, tellement son long silence de 15 jours nous avait inquiété"

 

Passons au mois de juin 1917, lettre de Monseigneur de Teil au Carmel .

 

Rome 18 juin 1917. Je rentre du Vatican où le Saint-Père m'a fait un accueil charmant, vous auriez été heureux de lui voir devancer toute forme de salutations de ma part pour me dire : " et bien, comment va le procès de la sœur Thérèse de l'Enfant Jésus! il dirigeait lui-même l'entretien , je lui ai aussitôt offert le cadre du soldat R. C'est avec un visible plaisir qu'il examine les détails ajoutant avec bienveillance : je voudrais offrir quelque chose à ce militaire. Il a été chercher un crucifix qui sera reçu avec affection j'en suis sûr.

 

Puis il a répété plusieurs fois de bien faire dire à ce militaire combien il le remerciait et le bénissait   particulièrement lui et les siens.

 

Sœur Marie de la Trinité parlant du cadre me dit : " le cadre a déjà voyagé, à la visitation de Caen, à l'évêché de Bayeux où il a été admiré."

 

Et  voici un petit souvenir de la deuxième exhumation.

 

A la sortie du tribunal ecclésiastique et des docteurs chargés de la reconnaissance des précieux restes de sœur Thérèse, pendant que dans le dépositoire les ouvriers achevaient leur besogne, Monseigneur de Teil s'approche de moi pour me faire le récit de son voyage à Rome (que vous savez maintenant)

 

Puis il me présente à Monseigneur Lemonnier. On parle assez longuement de la guerre, du moral des troupes, de nos espoirs, et naturellement de la petite sœur Thérèse tant aimée des combattants. Je dois vous dire aussi qu'auparavant, pendant que les docteurs procédaient au nettoyage des ossements et leur embaumement pour la conservation, trois demoiselles (mademoiselle Castel, mademoiselle de La Tour d'Auvergne et une jeune fille Germaine) que nous retrouverons plus tard, et moi faisions la navette, de la foule massée derrière les barrières à l'entrée du dépositoire, pour remettre entre les mains du dévoué sacristain des milliers d'objets les plus divers à faire toucher aux précieuses reliques de l'humble servante du Carmel.

 

Mon crucifix bien entendu fut posé quelques secondes sur le front de notre chère protectrice.

 

Voir pour plus de détails la maquette. (deuxième exhumation)

 

8 et 9 juillet 1917

 

Deux lettres. Sœur Marie la Trinité et de sa sœur mademoiselle Castel, l'une des gardiennes des Buisssonnets.

 

Sœur Marie de la Trinité m'a raconté en détail l'entrevue de Monseigneur de Teil avec sa Sainteté. D'abord je vous dirai que ces dames avaient fait confectionner pour votre cadre un carton à double fond dans lequel elles avaient mis des pièces importantes concernant le procès de sœur Thérèse, puis quelques suppliques de soldat. La vôtre se trouvait recouvrir le cadre.

 

Quand Monseigneur passa à la douane, pour la visite , le douanier de service à d'abord brusquement saisi et ouvert le précieux carton. Ce qui ennuyait fort monseigneur à cause des pièces dont je vous ai parlé. Mais voilà qu'à la vue du cadre le Douanier se trouble, et reconnaissant sœur Thérèse, il recule, ne veut plus rien réquisitionner. Il était dans l'admiration du cadre, et Monseigneur de Teil lui en explique tous les détails. Ce brave homme était tellement impressionné qu'il a laissé Monseigneur refaire  lui-même le précieux colis.

 

Le Saint-Père à été bien touché de votre cadre et a voulu lire tout haut votre lettre devant Monseigneur de Teil.  Il était paraît-il tellement saisi qu'il s'est levé pour aller vous offrir un souvenir, quelque chose de portatif, dit-il afin que vous ne le quittiez jamais. (c'est ce crucifix que vous avez vu). Il a lui-même enrichi ce crucifix de toutes les indulgences possibles, puis celle de la bonne mort en vous souhaitant de tout cœur que ce soit le plus tard possible.

 

Supplique du Maréchal des Logis Romagny

 

D'une grotte, sur le front, Janvier 1917.

 

Très saint Père,

 

Touchés des marques de sympathie que Votre Sainteté ne cesse de manifester à l'égard de Notre Mère Patrie, nous venons, ô Père très vénéré, en fidèles enfants de la Ste Eglise, la France chrétienne, malgré certaines apparences contraires, n'a pas cessé de l'être par le cœur des petits et des humbles qui, en ces jours de deuil, tournent leurs regards vers leur Pontife bien-aimé.

 

Nous savons, Très Saint Père, que votre cœur saigne à la vue de nos églises dévastées ; de nos tabernacles fracturés et souillés, de nos villes martyres et de nos villages en ruines, de nos champs de bataille où chaque jour par milliers, des hommes faits pour s'aimer s'entretuent, tombent et meurent.

 

Nous comprenons aussi combien grande est votre douleur à la vue de tant d'autres églises, vivantes celles-là, âmes créées par Dieu et pour Dieu, qu'un ennemi redoutable et puissant a dévastées ; de ces tabernacles vivants, faits pour recevoir Jésus-Eucharistie, que les suppôts de Satan ont fracturés et souillés par leurs théories malsaines et corrompues.

 

De toutes ces douleurs, Très Saint Père, nous essayerons de vous consoler dans l'avenir, par la fidélité à tous nos devoirs, car l'épreuve qui est venue nous visiter nous a rappelés à la vérité.

 

D'ailleurs, pour nous secourir au milieu de nos détresses, le bon Dieu "qui aime les Francs" n'a-t-il pas suscité, dans notre cher pays, une humble carmélite, venue ainsi qu'elle l'avait promis, pour nous "sourire" et "enseigner sa petite voie aux âmes" ?

 

Nous ne voulions plus connaître la souffrance, les privations, les peines, et Sr Thérèse de l'Enfant Jésus, en venant à notre secours, nous enseigne que, "pour une souffrance supportée avec joie nous aimerons davantage le bon Dieu toujours". Par Elle, nous avons appris à aimer la souffrance comme elle l'aimait, et les 28 mois de front supportés avec résignation, presqu'avec joie, malgré la séparation de ceux que nous aimons, de nos femmes et de nos enfants restés en pays envahis, malgré les jours quelquefois pénibles, parfois périlleux, en sont une preuve.

 

"J'aime la France, ma Patrie, je veux lui conserver la foi" avait dit notre "Petite Sœur". Elle a fait plus, car je pourrais citer de mes amis qui lui doivent le retour à la foi après plusieurs années d'erreurs.

 

"Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre", avait dit cet ange du Carmel et il ne se passe pas de jours sans que des faits extraordinaires s'accomplissent dans nos rangs.

 

 "Le bon Dieu m'a chargée de grâces pour moi et pour bien d'autres", avait-elle dit encore, et il semble qu'à ce point de vue les soldats sont particulièrement privilégiés, si j'en crois les nombreuses lettres que m'adressent mes frères d'armes. J'en sais quelque chose pour ma part et je suis heureux d'exprimer ici, hautement, toute la reconnaissance que je dois à Sr Thérèse de l'Enfant Jésus.

 

Aussi, Très Saint Père, serait-ce trop de vous demander pour elle une grande faveur en remerciement de tant de bienfaits ?

 

Oh ! vous qui avez entendu l'appel de nos envahis et leur avez porté secours, Vous qui avez écouté les plaintes de nos frères prisonniers et avez fait améliorer leur sort; Vous qui avez entendu les gémissements de nos grands blessés et les avez fait rendre à la Mère Patrie, Daignez écouter aujourd'hui les supplications de ceux qui souffrent, luttent et meurent.

 

Accordez-nous de trouver au retour dans nos foyers, dans nos églises abandonnées, l'image de notre Protectrice ! Que, placée sur nos autels, nous puissions la vénérer, la prier. Que, par Elle, nous apprenions à aimer Dieu davantage, "comme elle l'aimait.", et la faire aimer à notre tour. Qu'à sa suite nous marchions dans sa "voie d'enfance spirituelle" pour mériter le ciel dont elle nous aura tracé la route. Enfants de l'Eglise, rendus à nos œuvres, à la vie dans le monde, nous aurons une double raison d'aimer notre chère "Sainte". N'a-t-elle pas promis de laisser "tomber sur l'Eglise militante une pluie embaumée afin de lui donner la victoire" ? Alors combien grande sera notre confiance en la 'Petite Reine'? qui nous aura aidés, secourus, aux heures les plus tragiques que les peuples aient jamais connues.

 

Soumis par avance à votre sage décision, Très Saint Père, c'est avec confiance que nous attendons le verdict du Procès de Béatification en cours de Sr Thérèse de l'Enfant Jésus, et c'est dans ce ferme espoir, qu'à genoux, humblement prosterné, j'implore votre Paternelle bénédiction pour tous les miens, particulièrement pour ma femme et mon fils restés en pays envahis, et pour moi-même.

 

De Votre Sainteté, le très humble serviteur et fils.

 

H. Romagny, Maréchal des Logis, observateur

 

19e Bat., 3e d'Artillerie à pied - secteur 19.

 

 

http://www.archives-carmel-lisieux.fr/carmel/index.php/apres-1897/la-1ere-guerre/suppliques-des-soldats-de-la-grande-guerre-au-pape

 

 

Autres cadres ex-voto fabriqués

 


1 Valable pour les livraisons dans le pays suivant : France. Plus d'infos sur les délais de livraison dans d'autres pays ici : Conditions de livraison et de paiement
2 En vertu du paragraphe § 19 de la loi sur les petites entreprises, nous ne prélevons pas et n'affichons pas la TVA.