Henri et son fils Pierre, fin aout 1914, au chateau de Presles

 

 

 

 

14-18, Souvenirs d’un gosse de Montcornet

Ecrit par Pierre Romagny

 

1 - L’entrée en guerre.

Août 14 : après la bataille de Charleroi, un fort détachement de l’armée belge a stationné sur la place de Montcornet. J’avais été frappé (à 4 ans ½) par les bonnets à poils des gradés cavaliers de l’armée belge.

Je ne me souviens pas de l’arrivée des Allemands, sans doute une avant-garde de uhlans (lanciers) qui étaient l’épouvantail des envahis. Mes parents m’ont raconté, qu’à leur arrivée, certains leur disaient « On va tout vous prendre, on ne vous laissera que vos yeux pour pleurer ! ».  Mais ils n’ont fait que passer : Nach Paris…ou la Marne.

Mon premier contact a été pacifique. La maison voisine de la notre (quincaillerie Romagny), abandonnée par les propriétaires, Mr Langlet, évacué volontaire, était occupée par des postiers – Feldpost - , vieux réservistes. L’un d’eux, peut être grand père aussi, m’a emmené d’office goûter les confitures de la voisine. Après, je ne me rappelle plus rien de précis.

Mon père étant mobilisé, mon grand père maternel, M. Alexandre Menu, professeur de dessin et travaux manuels à l’école normale de Laon, était venu épauler sa fille et garder le magasin. Je regretterai toujours la perte de ses mémoires écrits, détruits lors d’une perquisition en 1918 dont je parlerai plus tard.

2 – Kommandantur et occupation.

Montcornet, après la fixation du front, est devenu « zone d’étape », autrement dit, lieu de regroupement et de logistique pour l’arrière front du Chemin des Dames et lieu de repos des unités revenant du front.

D’après mon grand père, Montcornet fut d’un calme mort jusqu’au 11 septembre où s’installa, après la Marne, l’inspection de la 2e armée. Ce fut donc un centre important avec tous les éléments très méthodiquement organisés d’une implantation et d’un contrôle efficace.

Je ne sais plus où était logé la « Kommandantur », peut-être la mairie, mais il y a eu un moment un général dans la plus belle maison de la rue de Lislet. Il l’abandonna, dit-on, parce qu’il ne pouvait supporter la puanteur de la « carcannerie » installée dans nos bâtiments de la rue des fumiers (allant de la place de l’industrie à la route de Lislet), quand celle-ci, qui fabriquait de la « kadaver melt »,(farine de cadavre !), avec les chevaux et animaux morts, lâchait chaque midi sa vapeur.

Sur le plan civil, le contact officiel pour les civils était au bureau de tabac Raycondier, au milieu de la place, où l’on retirait les cartes de rationnement et tous les imprimés, ordres, affiches et autres « befeld » dont l’occupant était prodigue.

Je n’ai pas d’autres souvenirs directs assez précis sur les relations occupés-occupants, sauf que ceux-ci s’étaient installés en pays conquis. « Nous ne sommes pas chez vous, vous êtes chez nous ! ».

Les rues avaient été rebaptisées de noms allemands. De grandes inscriptions étaient peintes sur les murs : « God straf Englande » - Dieux punisse l’Angleterre, auquel s’ajouta en 1915 « Zenfel bracht die Italiener » - le diable emporte les Italiens ».

Les Allemands avaient  aussi une librairie assez bien montée pour leurs troupes, où mon grand-père avait acheté plusieurs livres d’art et des traductions de livres français : Mérimée etc…Ils avaient un Kino (cinéma), je crois dans la neuve rue. Dans cette même rue, une grange recelait leur butin de réquisitions, car les régions envahies étaient mises en coupe réglée qui allèrent s’accentuant dès 1916 jusqu’au dérisoire. Dans cette grange, je me souviens avoir vu un bric-à-brac allant des gouttières aux casques de pompiers, des bannières de sociétés aux sacs de laine (dont les matelas ont été vidés, remplacés par une sorte de bourre à base de tontes de chevaux ou autres animaux). La chasse aux moindres parcelles de métal a été poussée très loin, mais l’ingéniosité des habitants, l’aptitude des envahis à cacher leur ont souvent fait échec. A la quincaillerie, mon grand père à du livrer jusqu’au dernier parement de serrure et bouton de porte, mais a soustrait, au prix de bien des sueurs froides, tout ce qui était cuivre, bassines et autres casseroles…Même rafle dans les textiles, ce qui a fini par habiller curieusement la population vers la fin de la guerre…

3 -  Un pays fermé.

Un élément important  était le cloisonnement serré du territoire. Hormis les rares possesseurs d’ausweis (laissez-passer) qui devaient en justifier l’usage, personne ne pouvait sortir des limites des pays. Des sentinelles en gardaient les abords. De nuit, cela pouvait signifier un coup de fusil.

Conséquence personnelle, j’ai quitté Montcornet en 1920 sans avoir pratiquement mis les pieds dans les villages voisins. Mais le plus grave, c’était sur le plan ravitaillement. Dés le début 1916, le ravitaillement officiel était devenu très serré. Dans la campagne, malgré les réquisitions et impositions (tant d’œufs à fournir par volaille recensée – les coqs même devaient pondre !), la population paysanne avait les vieux réflexes des temps de misère et s’en tirait à peu près sur ce plan. A Montcornet, bourgade coupée de son environnement, c’était plus difficile. Un œuf, un peu de pomme de terre …étaient objet de contrebande.

4 – Le ravitaillement.

Très vite, les distributions officielles se sont révélées insuffisantes. Cette distribution avait lieu dans une ferme derrière le chevet de l’église. Je me souviens des queues pour toucher un peu de lard d’Amérique ou de « julienne » (légumes hachés et séchés) qu’on soupçonnait les Allemands d’avoir substitué au riz de l’aide américaine. En 1917, après l’entrée des U S A dans la guerre, le relais avait été pris par le Comité Hispano-Néerlandais, mais le rationnement n’en était pas plus large.

Le pain « civil » était devenu progressivement le pain K.K., où il rentrait un peu de tout, sauf sans doute du bon blé ; franchement noir, collant et en quantité limitée. Néanmoins, quand le boulanger, Mr Godefroy, place de l’industrie, qui était un peu cousin, m’en glissait un morceau de rab, j’y mordais à belles dents. Quand on pouvait, rarement, se procurer un peu du pain de seigle du soldat allemand, c’était un régal, tartiné de saindoux.(je ne sais ce qu’en penserait nos homologues d’aujourd’hui, qui chipotent sur les glaces ou la qualité d’un chewing-gum !)

A Pâques 1916, nous avons touché…la moitié d’un coq américain pour toute la famille…assez extraordinaire pour que je m’en souvienne.

Il y avait les jardins. On avait distribué, sous pancarte protectrice du ravitaillement, des portions de terrain dans les champs d’épandage de la sucrerie, derrière le Hutaut.(rivière du village) Mais ils étaient facilement visités, par les Allemands, les prisonniers russes, les évacués…ou les habitants.

Mon grand père, érudit, avait lu que dans les farines d’autrefois, on avait mangé des racines de « tignono ». Il en avait planté toute une route, qui ne fut jamais touchée. Il fallait se munir d’un bon piochon, car la racine, analogue au salsifis, fait au moins 50 cm. Jeune, avec un morceau de veau, se serait très mangeable. Mais il n’y avait pas de veau, ni avec les jeunes orties, les pousses de houblon et autres légumes de guerre. Les Allemands avaient un dépôt de rutabagas dans nos bâtiments, qu’il fallait traverser pour aller à notre jardin. Mon grand-père, à chaque passage, en ramassait une paire pour corser l’ordinaire. Il avait monté une passoire au bout d’une perche et glanait au passage les pommes qui filaient sur le Huteau à l’époque de maturité.

Les Allemands n’étaient guère plus au large en 1917-18. Cette pénurie totale imposée par le blocus, alors qu’ils avaient déjà vidé la zone restreinte qu’ils occupaient (à la différence de 1940-44) à certainement hâté la fin du conflit. S’il avait fallu passer l’hiver 18-19, une situation « bosniaque » se serait installée.

Les premiers atteints par la pénurie alimentaire ont été les vieux « rentiers » qui vivaient relativement bien du revenu de leurs rentes 3%. Quasi, sans ressource, sans métier, sans moyen de débrouillage personnel, on les a vu fondre à vue d’œil, et souvent disparaitre. Après, ce sont les enfants. Il y a eu une épidémie de dysenterie parmi eux. Huit de mes contemporains en sont morts. J’ai été touché aussi, et probablement sauvé par l’intervention de l’officier que nous logions et qui a décidé son collègue major de m’apporter des médicaments. Ce qui lui était strictement interdit. Pas de soins pour les civils. Cet aspect de sous-médication (la plupart des médecins étaient mobilisés) mériterait plus de recherche.

Un autre aussi, le modus vivendi instauré peu à peu avec une partie des occupants sédentaires de la zone des étapes. A peu d’exceptions prés, cette cohabitation imposée, complétée par la présence croissante de réfugiés des zones de front logés d’office, avait rempli les maisons au maximum du tolérable. Il fallait bien s’arranger par concessions réciproques en partageant la lumière, le chauffage, l’abri contre les bombardements…Pour notre part, nous avons eu longtemps un lieutenant saxon, marchand de linoléum, et son secrétaire, professeur de français, et mon grand-père avait décidé ce dernier à me donner des premiers cours d’allemand, à un âge où on apprend vite.

Nous avions aussi des réfugiés, de Menneville, puis d’Amigny-Rouy, deux « requis » bouchers de Wimy et de Fourmies, travaillant à la boucherie militaire. Et bien que les quartiers de viande soient numérotés et inspectés de près, ils arrivaient de temps en temps à carotter dans les abats (langue, museau de bœuf…) grâce à la complicité de leur supérieur, caporal alsacien, qui les avertissait à temps du passage de l’inspecteur prussien…Cela nous a bien aidé un bon bout de temps. De toute façon, la seule photo 1918 de ma mère et moi nous montre deux silhouettes bien séches, surtout ma mère qui ne s’en est jamais complètement remise.

5 – Les bombardements.

Dès 1916, Montcornet fut ville bombardée. Mais il ne faut pas penser aux tapis de bombes du dernier conflit. De temps en temps, surtout les nuits de clair de lune, un avion français survolait le pays, lâchant quelques projectiles, tandis que la mitrailleuse allemande placée dans le clocher et la Flak allemande (DCA, pièce de 77) se déchainaient. Je vois encore les phares de cette DCA qui balayaient le ciel. Des bombes sont tombées sur la place du village sans éclater.

Nous dévalions l’escalier conduisant à la cave, tandis que les éclats cliquetaient sur les toits. Mon grand-père refusait de quitter son lit. « Si la bombe (10 kilos) tombe sur la maison, nous y passerons tous, si elle tombe à coté, je ne risque rien ! ». Mais ma grand-mère maternelle a sans doute contracté dans ces dégringolades la pneumonie qui l’a emportée en 1918.

Le matin, les gosses se mettaient en chasse « après les éclats ». C’est à qui trouverait le plus gros, le plus déchiqueté autour des trous ou des démolitions. Car les objectifs utiles atteins furent rares…sauf une grange qui abritait un groupe de prisonniers russes, tués avec leur gardien. La sucrerie, qui abritait un parc auto important, ne fut jamais atteinte.

Après la délivrance de Laon, le 13 octobre 1918, le front se stabilisa un moment au niveau des marais de la Souche et ce furent des canons lourds français qui, depuis Sissonne, nous canardairent de façon plus précise et impressionnante. Je ne me souviens pas des objectifs atteints, mais il y eu des dégâts et la population se réfugia dans les caves.

Nous ne sommes guère sortis pendant une quinzaine de jours car les bombardements étaient réguliers, au moins durant le jour.

6 – Les prisonniers.

Il y eu un certain nombre de prisonniers russes, et nous les voyions peu. Mais ils étaient très mal traités, considérés comme des sous-hommes et fort mal nourris. Il y avait parmi eux un officier distingué, d’origine polonaise, mais la plupart étaient employés à des travaux pénibles de terrassement ou sur les voies. Certains avaient un talent exceptionnel pour tailler au couteau des animaux, des oiseaux de bois, dont des paons faisant la roue, qu’ils essayaient de vendre pour améliorer un peu leur pauvre ordinaire. Mais je ne saurai dire combien de temps ils sont restés.

En 1917, je me rappelle de l’année, de nombreux prisonniers de guerre français, lors de l’offensive du général Nivelle au Chemin de Dames, le 16 avril. Les allemands les rassemblèrent route de Montloué, dans une terre où ils installèrent des baraquements. Ils creusèrent un puits qui existe toujours sur une de mes terres.

7 – Main d’œuvre civile

En 1917, les Allemands installèrent un gros dépôt de munitions, dans une pâture derrière le village, à Lislet, route de Montloué. Ce dépôt leur servait pour ravitailler le front du Chemin des Dames. En 1918, des civils français furent réquisitionnés pour travailler dans ce dépôt, des femmes et des jeunes filles notamment. Elles furent employées à faire des fusées, grosses cartouches qui servaient à régler les tirs d’artillerie. Le 14 mai 1918, à 15 h, une violente explosion éclatait soudain, embrasant la baraque. Des femmes sortaient, brulant comme des torches. Je les ai encore dans les yeux, c’était effrayant. Les malheureuses se sauvaient en direction de la rivière. Les soldats allemands les attrapaient et les roulaient dans l’herbe avec leur capote. Elles étaient atrocement brulées. Celles qui n’avaient pu se sauver furent complètement brulées. On retrouva le squelette de notre voisine grasse à son alliance, le corps réduit à la taille d’une poupée. Une quinzaine de femmes et jeunes filles (les plus jeunes 14 ans) de Lislet et Montcornet. Leur nom est gravé au monument au morts et sur la plaque des victimes de la guerre 14-18 à l’église. Je me rappelle spécialement de cet événement, car j’étais parti regarder ces femmes  travailler. C’est l’une d’elle qui travaillait prés de la porte qui m’a projeté dehors en se sauvant. Je lui dois la vie. Je suis revenu chez moi, les cheveux et les sourcils tout roussis.

Presque tous les hommes valides et jeunes de plus de 16 ans étaient envoyés en « Kolonne » pour des travaux divers, pas tous conformes à la Convention de Genève. Sur place, à un certain moment, il y avait réquisition de main d’œuvre, même féminine. Ma mère a été 2 jours « aux betteraves », mais, de santé fragile, son rendement n’était sans doute pas suffisant et on l’a renvoyée à son magasin.

Les enfants même étaient réquisitionnés. A l’école, sous la garde du maitre, on a ramassé des pommes à cidre, cueilli des « pas d’âne » dont je n’ai jamais compris l’usage, des haies de sureau pour la marmelade. Les plus grands ont arraché des orties.

8 – Les cloches.

En mars 1917, toutes les cloches de Thiérache ont été enlevées (plusieurs clochers, dont ceux de Vervins et de Jeantes montrent encore le trou très visible d’où elles ont été jetées) Celles de Montcornet ont été balancées du haut sur le terre-plein Est de l’église. L’une d’elle était brisée. Il n’en fallait pas plus pour que tous les gosses veuillent s’en approprier des morceaux souvenirs. J’en étais et tentais avec un dérisoire petit marteau, d’en retirer des éclats.

Cela devait énerver le vieux landstirem (territorial) qui les gardait. Il a balancé mon marteau sur la route. Je suis revenu à l’assaut. Il l’a jeté sur le toit de la petite tourelle d’angle. Désespoir ! Grand père a du le récupérer avec une échelle !

9 – L’école de guerre.

L’instituteur, le directeur et plusieurs profs du collège privé Durand étaient mobilisés. Mr Leroy, en retraite, avait repris du service et faisait remarcher l’école communale. Le fils Durand (18-19 ans) et sa sœur Nelly 15 ans accueillaient une quinzaine de garçons en une classe unique, de 7 à 14 ans. C’est Nelly qui m’a appris à lire. J’étais le plus jeune avec un Delemme de Chaourse et Panier de Lislet. Je crois me souvenir qu’il y avait une école de filles à l’école de Mlle Hervieu. Les deux locaux avaient été immédiatement transformés en lazaret et j’ai souvenir de l’odeur de chlore qui régnait dans ce quartier, au fond de la rue du collège.

Nous avons changé plusieurs fois de maison au gré des réquisitions. C’était vraiment la petite école XIXe siècle, et pour compléter le tableau, l’hiver 17, nous amenions quelques buchettes et bouts de chandelle pour chauffer et éclairer la classe. Il faut croire pourtant que ce n’était pas si médiocre, puisqu’avec quelques leçons complémentaires du grand-père, je suis rentré sans problème en 6e au lycée de Laon en septembre 1920.

Globalement, ce problème de l’instruction élémentaire en zone envahie a poussé loin ses conséquences. Quand j’ai fait mon service militaire en 1930, un gros contingent des appelés du Nord, même sous-off engagés (le chômage frappant déjà les mineurs) étaient quasi illettrés.

10 – L’argent.

A la mobilisation, la monnaie d’or qui était d’usage consacré avait été patriotiquement versée au gouvernement français…ou précipitamment enfouie à l’approche des Allemands qui se livrent aussitôt à une chasse au trésor, parfois fructueuse.

Les augures financiers de l’époque affirmaient que les dépenses de guerre seraient telles qu’aucun belligérant ne tiendrait plus de 6 mois – d’aucun disaient 3 – sans que les états soient en faillite, et que la guerre cesserait. Néanmoins, toute l’économie des régions envahies était par terre. Prise en main par une autorité allemande qui avait de longue date préparée son coup, elle ne laissait guère aux civils que leurs yeux pour pleurer.

Comment a-t-on continué sur la lancée, remis en marche quelque économie parallèle, je n’en sais rien, ce n’était pas de mon âge. A coups de bons communaux ou de chambres de commerce, de bons de réquisitions basés sur la comête « la France paiera », de troc et de système D, il a bien fallu continuer à vivre.

Tout ce que je sais, c’est qu’à un moment donné que je ne puis préciser, on a vraiment fait argent de tout. Tout ce qui était rond et métallique est ressorti. On a eu au magasin des décimes de 1789, des pièces du moyen âge, voir romaines, et j’en avais quelques spécimens intéressants (que les Allemands, toujours eux, m’ont raflé en 1940). Le magasin de quincaillerie quasiment vide, mon grand père, qui était ingénieux et habile, se servait de ses capacités pour répondre aux demandes les plus pressantes. C’est ainsi qu’il avait fabriqué des « lampes à carbure », celui-ci étant le moyen d’éclairage le mieux alimenté, dont le bec était fait d’une balle allemande dont l’intérieur de plomb était fondu et la calotte de cuivre percée.

L’éclairage en effet posait problème. Logeant un officier, nous avions eu droit à une unique ampoule électrique, sinon le pétrole était rare, l’alcool aussi, et un peu d’essence pour les lampes Pigeon. En cave, une seule lumière digne des premiers siècles : une mèche et un peu de graisse dans une boite à cirage. Et ça ne s’éteignait pas au souffle des explosions voisines.

11 – La communication.

Ce fût sûrement la grande souffrance des adultes. Avec le front stabilisé, un véritable rideau de fer avait coupé la « France Libre » de ce que certains appelaient « les Boches du Nord »…Pas de radio, pas de « ici Paris, les Français parlent aux Français »…Les Allemands affichaient leurs communiqués, toujours victorieux, célébraient bruyamment leurs gros succès (les cloches ont sonné pour la prise de Varsovie)…Il parait que des avions français balançaient parfois des tracts ou des journaux parisiens. Je ne l’ai jamais vu et il n’aurait pas fait bon d’être pris.

Au bout d’un moment, les Allemands ont décidé quelques « kollabos » (ils furent plus rares qu’en 40-44) à éditer à Charleville, un torchon adroitement rédigé qui s’appelait « la gazette des Ardennes ». Pas de succès jusqu’au jour où, astucieusement, ils publièrent de longues pages avec la liste et les adresses des prisonniers français. Jouant sur l’angoisse de la coupure totale des familles des mobilisés, ils eurent un certain succès, d’ailleurs relatif, certains se dévouant pour relever les noms intéressant leur pays.

Je ne crois pas qu’il existait alors de cartes « interzones » de la Croix Rouge permettant une liaison quelconque entre les deux Frances. Quand, je crois en 1917, les Allemands, dans un but « humanitaire », permirent le renvoi des « bouches inutiles » par la Belgique et la Suisse vers la France non-envahie, il était tentant de passer par ces « réfugiés » des messages clandestins. C’était dangereux. Pour avoir été convaincue d’avoir envoyé vers mon père, sur l’étoffe de la doublure d’une personne évacuée, une simple lettre, ma mère a fait 4 semaines de prison (dans une maison prés du pont du moulin, qui a sauté avec lui). J’allais lui porter une gamelle avec ma grand-mère, car les familles devaient nourrir les prisonniers. Et elle a du payer 300 marks d’amende qu’il fallut emprunté. (À propos de mark, la parité était de 1 F quand on leur payait, et 1F25 quand ils payaient, il n’y a pas de petits profits). Par contre, je n’ai jamais compris comment une liaison existait au profit des banques.

Mon père était le seul héritier d’une vieille tante, assez aisée, qui lui avait remis à la mobilisation une procuration pour retirer quelqu’argent sur son compte à Paris. Lorsqu’elle mourut chez nous en 1916, mon père l’apprit à une permission, où il se vit refuser tout versement… « La personne étant décédée ».

12 – La libération.

Enfin ! Elle ne vint pas tout seul. En mai 1918, le dernier coup de boutoir de l’ennemi sur le Chemin des Dames fut en partie télécommandé de Montcornet. C’est à cette époque que le rez-de-chaussée de l’hôtel de ville, alors halle ouverte, fut fermé de blindage et qu’y fut installée une imprimerie de cartes, plans en relief…de toute la portion de front qui en dépendait. Curieusement, ce qui aurait dû être « top secret », s’étalait sur la place publique, séchant au soleil ou jeté à la poubelle.

Un jour, passant devant, mon grand-père voit, sur un bout de carte jeté au rebut le nom de son pays « Prouvais », canton de Neutchatel. Sans méfiance, il le ramasse, mais c’était un piège. A peine était-il à la maison que 2 feld-gendarme (les colliers de chien) lui mirent la main au collet : « espionnage ». Perquisition en règle dans toute la maison. C’est alors que ma grand-mère détruisit ses  « mémoires », écrites au jour le jour, sans se cacher (il travaillait au magasin en manipulant son livre de compte). Il en eu pour 6 semaines de prison, en même temps que ma mère, mais s’en tira bien. Un matin, le gardien lui dit : « Monsieur, retour »…et le libéra. A temps pour voir passer l’auto de Guillaume II, entouré de uhlans, et déclarant à ses soldats : « Demain Reims sera pris », ce qui ne fût pas.

Après la 2e Marne et le travail de reconquête, Laon fut délivré le 13 octobre 1918. La reconquête marqua une pause au niveau de Sissonne, mais les préparatifs de départ s’amorcèrent aussitôt. Montcornet risqua d’être évacué. La population fut passée en revue sur la place. Ma mère m’avait fait avec une taie d’oreiller, un sac à dos pour emporter du linge. Mais les choses allaient trop vite, on ne partit pas. Les ponts de la Serre, du Hutaut, de la Malaquise sautèrent, ainsi que la voie ferrée du petit train de Renneville. Mais ils avaient établis, pour la retraite prévue, quelques passerelles de madriers. Il y en avait un prés du déversoir, sur le Hutaut.

Début novembre 18, nous allions connaître une autre tragédie. Le dépôt de munitions allait exploser pendant plusieurs jours, suite à des bombardements je crois. Réfugiés dans la cave de Mr Crochet, nous allions revivre des moments inoubliables. C’était effrayant, des explosions formidables, la cave tremblait, on entendait les meubles se renverser, les toits qui s’écroulaient. A travers le soupirail, on apercevait le ciel rouge comme du sang. Lors d’une accalmie nous sortons de la cave, marchant sur les toits écroulés. Nous nous sommes réfugiés dans les casemates que les Allemands avaient creusées dans les talus. Nous vivions alors dans les caves, car les canons nous atteignaient et grand-père avait dressé devant l’entrée, madriers et meules de grés contre des tirs éventuels. Dans l’autre cave sur la même cour, était un groupe d’Allemands. Un jour, je crois le 5 novembre, l’un d’eux – un Lorrain – dit à grand-père : « Si vous entendez du bruit cette nuit, ne bougez pas, c’est nous qui partons ». Au petit matin du 6, grand-père sortit. Tout était vide. Il rencontra un autre habitant aussi surpris que lui. Et nous avons vu arriver, dans le brouillard, 2 files de poilus, l’arme à la bretelle, qui remontaient la petite ruelle joignant la place à la rue des Fumiers. La passerelle avait bien sauté, mais des madriers sur pilotis se remplacent vite. Nous sommes sortis et les valides se sont proposés pour refaire un passage pour les mulets de ravitaillement qui suivaient.

Il n’y eu pas de combat. Peut-être quelques coups de feu sur la côte de Rozoy. Je me souviens d’un vieux réserviste allemand, sans doute heureux d’en finir, qui s’était laissé prendre au gite et qui menait une brouette de terre dans le trou du pont sous les quolibets des « libérés ».

Pour moi, la libération de Montcornet est un souvenir de soupe aux choux. Les Allemands avaient abandonné une cuisine à coté de chez nous, avec un fond de choux vite récupéré. Et quand nous sommes allés à la roulante française, on nous a donné une gamelle…de soupe aux choux.

3 jours après, c’était l’Armistice, salué je crois par un feu d’artifice de fusées éclairantes et de « chenilles », qui nous a semblé bien beau.

On pourrait en rester là, mais les séquelles militaires ont duré plusieurs mois, jusqu’au traité de Versailles en juin 1919… Des troupes en tous  genres ont stationné ou passé, fantassins, chasseurs, Italiens (la zone italienne du front commençait à Lislet vers les Ardennes), Américains – où mon ignorance s’étonnait de voir tant de noirs, travailleurs annamites (qui firent à la gare un théâtre « chinois » assez étonnant)…Les Poilus rentrèrent lentement (mon père, en mars 19 que je ne reconnus pas et saluai d’un timide « bonjour monsieur ».

Il y eu aussi la fête d’un régiment de travailleurs, qui fut sensationnelle : défilé de chars, Guillaume dans une cage, le 75 équilibrant la grosse Bertha, Bacchus pinard plus vrai que nature…Et la « couvée 1919 » : sur un camion, un nid avec un petit poilu (Podevin), un petit tirailleur (c’était moi), une petite Alsacienne, une petite Lorraine, etc…

La guerre 14-18…la « der des ders » était finie…Pas ses conséquences !.

 


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