Extrait de L'Illustration n°3872

LA   PRISE   DE    LOIVRE

(récit d'un témoin militaire)

Un des plus beaux faits d'armes de l'offensive du 16 avril aura été la prise de Loivre.

Loivre est un petit bourg de 1.300 habitants environ, sur le bord du canal de l'Aisne à la Marne. Situé au Nord-Ouest de Brimont, il commande un des points de passage les plus importants de cet obstacle militaire qu'est le canal.

Deux régiments avaient été chargés de l'enlever, le ...e (les «Braves») et le ...e (les «  Lions »).

Les Braves devaient passer le canal un peu plus au Nord, puis, faisant un mouvement de conversion à droite, en occuper toute la rive Est jusques et y compris la voie ferrée. A la faveur de cette avancée, les Lions s'empareraient du village : un bataillon l'aborderait par le Nord, tandis qu'au Sud deux autres fixeraient l'ennemi et tenteraient de franchir le canal droit devant eux.

I. l'attaque des « braves ».

Le programme s'exécuta de point en point. A l'heure H — 6 heures — Braves et Lions sortent des parallèles de départ.

Sous le ciel gris, dans la brume froide qu'éclairé une lumière bien faible encore, les Braves enlèvent la première, puis la seconde tranchée boche. Malgré le tir de barrage qui, dans le jour blafard, allume la lueur fauve des éclatements, les voici au bord du canal. Le lieutenant A..., avec une compagnie de porteurs sans armes, mais chargés de sacs à paille et de passerelles, a suivi la première vague.

Le canal est franchi : il est 7 h. 10. Le premier bataillon des Braves fait face à droite, prêt à marcher sur les autres objectif s qui lui sont assignés, tandis que les deux autres bataillons achèvent de nettoyer la partie de rive occidentale qui leur est réservée et se disposent, eux aussi, à traverser.

II les « lions » progressent.

Cependant, les Lions font de leur côté bonne besogne et mettent à profit la manœuvre protectrice de leurs camarades, A droite, la marche des deux bataillons qui doivent s'avancer directement sur le canal (tandis que les camarades de gauche aborderont Loivre par le Nord) n'a pas été sans incidents. A 5 h. 58, deux minutes avant l'heure fixée, on a vu un avion boche survoler notre parallèle de départ. Angoisse chez tous : « II va régler le tir de barrage. » Mais soudain, du fond des nuages, est apparu un français. Il a piqué droit sur le boche. Trois salves ; tac tac tac ; tac tac tac ; tac tac tac. Le boche s'est abattu, tandis que le français s'enfonçait dans la brume opaque.

A 6 h. 30, malgré la vive fusillade boche, nous occupons leur première tranchée. Un sergent — le sergent Gauliard — s'empare de deux crapouillots à l'entrée d'une sape et les tourne contre les Boches qui, sortis par l'autre issue, tentent de résister à coups de grenades.

— Le caporal pointait, et moi, je tirais la ficelle, déclarait-il en rendant compte du fait.

Nous progressons. Le soleil se montre enfin, semblable à une nappe d'argent en fusion dardant ses rayons aigus entre les lourds nuages gris. L'avance se poursuit. A 8 heures, nous occupons la dernière tranchée boche avant d'arriver au canal.

Le capitaine mitrailleur P... vient s'y installer avec ses pièces. C'est un vétéran de toutes les attaques. Petit, sec, vif ; un Charentais qui sent déjà le Midi. Pour casque, un béret. Il a reçu une balle au-dessus de l'œil droit en juillet 1915 et a été trépané ! il ne peut pas supporter la « soupière ».

Soudain, il voit à l'écluse de ... une section de mitrailleuses boches qui vient se mettre en batterie.

— Sergent Dubois, prenez une pièce ! Venez avec moi.

Suivi du sergent portant sa pièce sur l'épaule, il s'installe dans un trou d'obus, en avant de la tranchée. Cinquante balles en tir rapide ! La section boche est fauchée avant même d'avoir pu mettre en batterie !

A un autre point de la position, Gauliard, qui a quitté ses crapouillots, avise un Boche qu'il vient de faire prisonnier.

— Tu dois savoir le français !

— Oui ! J'ai travaillé à Reims.

— Bon ! Eh bien ! Tiens ! Bois un coup de pinard !.., Et maintenant appelle tes camarades !

Le Boche se met debout sur la tranchée, et avec force gestes crie à ses compagnons de venir. Surgissent une centaine de Feldgrauen qui vont rejoindre les prisonniers déjà capturés.

Mais c'était à gauche que les Lions devaient faire le plus beau coup de filet.

III. les « lions » arrêtés a l'entrée de loivrf.

Pendant que les événements que nous venons de décrire se passaient à droite et en avant, le bataillon de gauche des Lions — le troisième — était sorti, lui aussi, à 6 heures. Suivant le mouvement des Braves dont il était solidaire, il avait, lui aussi, fait face à droite sitôt la première position enlevée.

Par sauts de puce, de trou d'obus en trou d'obus, les fusiliers-mitrailleurs arrosant de balles les Boches pour permettre aux grenadiers d'arriver à distance de lancement, il était parvenu aux abords de Loivre, à proximité du cimetière, dès 8 heures. Mais là, arrêt.

Sur la gauche, dans la butte de décombres couronnée de pommiers qui représente le moulin, subsistent des mitrailleuses. Il en subsiste encore dans le cimetière sur la droite, — car les Boches ont transformé en forteresse le champ sacré du repos. Son quadrilatère de murs en pierres sèches a été percé de créneaux et les deux angles Nord et Ouest abritent chacun une casemate bétonnée pour 77 ! Les Lions sont contraints de stopper.

Et, de l'autre côté ducanal, les Braves avancent ! A 8 h. 50, ils ont bouclé la boucle : dépassé le village et rejoint les autres Lions qui, à droite, ont franchi le canal et se sont établis solidement sur la rive Est ! On n'attend plus que le bataillon de gauche !

IV.— LOIVRE EST ENLEVÉ.

Le commandant P..., qui est à sa tête, s'avise d'une solution : opérer un léger recul et redemander son barrage roulant au 75.

On prend position un peu en arrière et on lance les fusées. Voici des obus qui explosent sur la ligne boche.

— C'est notre barrage roulant (1). En avant !

A gauche, le capitaine adjudant-major M..., qui a pris le commandement d'une compagnie dont le chef est tombé, tourne le cimetière. Une mitrailleuse claque obstinément. Il abat le lieutenant Neuhausen qui la sert, se penche dans l'abri qui est auprès :

Ergibt cuch ! (Rendez-vous !)

Un Boche se risque dehors en levant les bras ; il est suivi d'un autre, puis de deux, puis de trois... C'était un véritable nid de kameraden : il en sort 122 !

Still siehen (Garde à vous !) commande M... Unteroffizieren voran ! (Les sous-officiers en avant !) Aufmarschiren, Marsh ! (Pas accéléré, marche !)

Et les Boches sont partis en rang et au pas ! Parmi eux, il y avait un sous-lieutenant. M... le prend avec lui.

— Vous allez me faire visiter Loivre ; en avant ! Puis il se tourne vers son clairon.

— Sonne la charge !

Il est 10 h. 30. Le grand soleil tape sur les ruines blanches, sur les murs croulants ou étoiles de trous d'obus qui sont tout ce qui reste de Loivre. Les Lions se battent depuis le matin ; ils ont passé la nuit accroupis dans la boue de la parallèle de départ ; depuis seize heures ils n'ont pris qu'un quart de jus.

Mais quand les notes claires s'élèvent, ils se sentent frémir jusqu'aux entrailles. D'un seul bond, ils s'élancent. En avant !

La monteras-tu la côte ?

La monteras-tu la côte ?

Ces notes ! Il faut, au soir d'une journée exténuante, s'être rué à leur accent sur le Boche exécré pour comprendre leur puissance résurrectrice. En un clin d'œil, le village est traversé, les derniers défenseurs cloués à coups de baïonnette, assommés à coups de crosse, les abris vidés ! Loivre est à nous !

A 500 hommes, le troisième bataillon des Lions y avait fait 825 prisonniers !

capitaine X...

(1) Or, il s'agissait (on l'a su depuis) d'obus de 77, dont les Boches marmitaient le cimetière qu'ils croyaient déjà occupé par nous.

 

Pont sur le canal en face de Loivre
Pont sur le canal en face de Loivre

Il est constitué par une péniche coulée que les Allemands avaient recouverte de béton

Abris allemands détruits par notre artillerie dans le talus du chemin de fer de Reims à Laon
Abris allemands détruits par notre artillerie dans le talus du chemin de fer de Reims à Laon
Prisonniers faits à la Verrerie de Loivre
Prisonniers faits à la Verrerie de Loivre

Photos du Chemin des Dames, en mai 1917

Fantassins attendant de pied ferme la contre-attaque allemande dans un boyau de craie, le 6 mai, et rechargeant leurs fusils.
Fantassins attendant de pied ferme la contre-attaque allemande dans un boyau de craie, le 6 mai, et rechargeant leurs fusils.
Tranchée et fils de fer allemands après le pilonnage français des 13,14,15, et la bataille du 16.
Tranchée et fils de fer allemands après le pilonnage français des 13,14,15, et la bataille du 16.
Sur le versant Nord du plateau, un observateur cherche à repérer la nouvelle première ligne allemande.
Sur le versant Nord du plateau, un observateur cherche à repérer la nouvelle première ligne allemande.
Préparation d'attaque, le 4 mai, sur la crête suivie par le Chemin des Dames; à droite, derrière les arbres, le ferme de Froidmont.
Préparation d'attaque, le 4 mai, sur la crête suivie par le Chemin des Dames; à droite, derrière les arbres, le ferme de Froidmont.
L'attaque du 5 mai : au premier plan, un avant-train abandonné par l'artillerie ennemie.
L'attaque du 5 mai : au premier plan, un avant-train abandonné par l'artillerie ennemie.
La liaison, en lignes d'escouades par un, progresse derrière le commandant de compagnie.
La liaison, en lignes d'escouades par un, progresse derrière le commandant de compagnie.
Au fond, la première vague atteint la tranchèe allemande du Chemin des Dames.
Au fond, la première vague atteint la tranchèe allemande du Chemin des Dames.
Les premiers éléments, par petits groupes,sortent des tranchées creusées en terrain conquis depuis l'offensive d'avril.
Les premiers éléments, par petits groupes,sortent des tranchées creusées en terrain conquis depuis l'offensive d'avril.
La progression sur le plateau, derrière le barrage mobile établi pae l'artillerie, en direction de l'arête qui domine la vallée de l'Ailette.
La progression sur le plateau, derrière le barrage mobile établi pae l'artillerie, en direction de l'arête qui domine la vallée de l'Ailette.
Une silhouette "voquant celle d'un "rhinocéros" dans la forêt.
Une silhouette "voquant celle d'un "rhinocéros" dans la forêt.
Le commandant Bossut, chef de groupe d'artillerie d'assaut, devant le char cuirassé à bord duquel il dirigea, en direction de Juvincourt, l'attaque du 16 avril, pendant laquelle il tomba glorieusement en pleine action.
Le commandant Bossut, chef de groupe d'artillerie d'assaut, devant le char cuirassé à bord duquel il dirigea, en direction de Juvincourt, l'attaque du 16 avril, pendant laquelle il tomba glorieusement en pleine action.
Un groupe d'artillerie d'assaut - Chars alignés pour une inspection avant l'offensive de l'Aisne.
Un groupe d'artillerie d'assaut - Chars alignés pour une inspection avant l'offensive de l'Aisne.

1 Valable pour les livraisons dans le pays suivant : France. Plus d'infos sur les délais de livraison dans d'autres pays ici : Conditions de livraison et de paiement
2 En vertu du paragraphe § 19 de la loi sur les petites entreprises, nous ne prélevons pas et n'affichons pas la TVA.