Chronique d’un temps de misère

 

La guerre de 1914-1918 dans la région de Guise

                                         Témoignage présenté par Pierre romagny

 

Les témoignages vécus, les souvenirs écrits ou parlés et recueillis sur les événements liés à la première guerre mondiale, leur répercussion sur la vie -ou plutôt la survie- des populations dans les zones proches des lieux de combat de la France occupée durant plus de quatre ans, retrouvent depuis quelques années une «présence» que l'éloignement dans le temps et la bousculade des mutations de toute nature que nous avons vécues avaient quelque peu émoussée.

 

Cela se voit lorsque l'occasion en est fournie par quelque exposition liée à de grands anniversaires, comme celles gui marquèrent en Thièrache le 60eanniversaire de l'armistice du 11 novembre 1918.

 

L'intérêt rencontré, non seulement auprès des anciens qui ont encore des souvenirs personnels ou directement entendus dans leur enfance, mais aussi auprès des scolaires, des jeunes, des générations d'adultes qui ont connu d'autres temps difficiles mais pas celui-là, prouve qu'il n'y a pas prescription.

LES SOURCES

 

Charles ghewy, né à Nieuport (Belgique) le 14 Mars 1881, décédé le 13 Février 1980, à 99 ans — 10 enfants, 44 petits-enfants et 62 arrière-petits-enfants.

Aîné des 11 enfants d'une famille paysanne flamande, citoyen belge, il vient en France en 1909. Ayant tiré un «bon numéro» il sera libre de service militaire actif et nommé caporal de la Garde civique non-active.

En novembre 1909 il reprend en association (pour 1/5') avec deux marchands de lin belges, les deux fermes de Louvry (511 ha) commune d'Audigny, près de Guise et en est le gérant.

Marié le 24 Mai 1910, père de trois enfants mais non mobilisable, il est pris dans la tourmente de la bataille de Guise le 27 août 1914, essaie de replier vers le sud personnel et cheptel, est rattrapé par les Allemands à Cerny-en Laonnois, revient sur le champ de bataille, dans la ferme dévastée, y partagera jusqu'au 5 novembre 1918 la vie précaire des envahis (Audigny est le dernier village de la région à avoir été délivré de vive force avant Haudroy).

 

Dès le début, Charles note sur des calepins, au jour le jour, tout ce qui se passe dans le cercle étroit où l'occupant enferme les habitants. Calepins où «l'événement» est mêlé de notes utilitaires sur le travail des champs, les comptes de la ferme...

 

Séparé de sa femme et de ses enfants réfugiés en Normandie, et qu'il ne peut atteindre, il commence à leur intention, début 1916, quatre petits cahiers écrits en flamand, où il reprend dès le début la mise en forme de ses notes quotidiennes, mêlées de considérations familiales et de pensées intimes, à la manière des « livres de raison ».

 

Après la première guerre, à la demande de plusieurs amis proches, il en entreprend plusieurs traductions. Mais c'est en 1951, qu'à la requête de sa fille aînée et de son gendre Pierre Romagny, il leur dédie, dans un cahier de plus de 160 pages d'une écriture moulée, le récit authentique et complet de ces événements.

 

En 1964, à l'occasion du cinquantenaire de la bataille de Guise, il répond à l'appel lancé à tous ceux qui auraient vécu ces moments dramatiques et envoie à M. Marc Blancpain un cahier résumé où cet épisode et quelques autres sont repris de ses souvenirs.

L'écrivain les utilisera dans divers articles sur «Les moissons de Bellone» et «La bataille de Guise». Frappé sans doute par l'impact de certaines scènes, il les insérera, avec la liberté du romancier, dans «Musique en tête», un des volumes de la «Saga des amants séparés». Des notes plus précises se retrouveront aussi dans son dernier livre: «Quand Guillaume II gouvernait de la Somme aux Vosges».

 

Durant l'été 1979, P. Romagny, correspondant vervinois de l'UNION, propose à ce quotidien régional, la publication de ces mémoires. Du 10 août au 13 septembre 1979 paraîtront ainsi 13 articles sous le titre «Chronique d'un temps de misères».

 

C'est le texte exact écrit par M. Charles Ghewy dans son cahier complet. Les années 1914 et 1918 sont intégralement relatées. Simplement, pour une lecture plus facile, des sous-titres y ont été insérés. Les épisodes des années 1915-16-17, qui s'entremêlent au fil des jours et des événements, ont été regroupés par rubriques. Les considérations familiales ou personnelles qui les émaillent, les redites trop lassantes (car rien n'est plus constant que les misères quotidiennes) ont été élaguées. Mais tout ce qui a valeur d'histoire et de témoignage pour la compréhension d'une époque et d'un pays est fidèlement présenté.

Pierre. Romagny.

(Pierre Romagny, fils de Henri Romagny, donc mon oncle, épousera le 27-02-1935 à Hauteville- Aisne- Maria Ghéwy, fille de Charles Ghéwy)

 

 

Souvenirs de Guerre

 

par Charles ghewy, gérant des fermes de Louvry à Audigny (canton deGuise). Août 1914-Décembre 1918.

(traduit du flamand)

audigny - 2 Août 1914 mobilisation générale

 

Ayant tiré un bon numéro au tirage au sort et fils aîné de onze enfants, je ne suis pas appelé et, caporal de la Garde Civique belge, celle-ci étant dissoute et licenciée, je me mets à la disposition du gouvernement français. Le préfet de l’Aisne, vu l'importance des fermes de Louvry, me donne l'ordre de rester sur place et d'attendre ses instructions ultérieures... A Louvry, la plupart des domestiques sont partis. Il reste les éclopés, les gamins et les vieux.

Réquisitions françaises à Guise. Dix-sept de nos meilleurs chevaux sont réquisitionnés pour l'armée. Mais la moisson est là et nous attelons aussitôt plusieurs poulains...

 

24 août — Depuis quelque temps, nous entendons les canons et le bruit rapproche. Cela nous surprend. Nous croyions les boches à Liège! D'autre part, des réfugiés passent sur toutes les routes et nous racontent les horreurs de l'invasion en Belgique.

 

25 août — Des réfugiés couchent à la ferme. Défilé incessant sur les routes. Des soldats anglais passent, abattus, fatigués. Un sous-officier nous certifie que l'ennemi occupe Le Cateau et qu'une grande bataille se prépare sur la vallée de l'Oise.

LA DÉROUTE

 

26 août — II n'y a plus à douter, c'est la déroute ! René rentre de Voulpaix et il a bien du mal à passer à travers les troupes en position de bataille... J'envoie Georges Prud'hommeaux à la gare d'Origny avec ma femme, les trois enfants et la servante. Ils ont réussi à prendre le dernier train en partance et arriver à Veulettes (Seine-Inférieure) où je tâcherai de les rejoindre, si c'est possible, avec nos attelages et le troupeau de moutons.

Au soir, les deux fermes sont bondées de fugitifs, avec des voitures, poussettes ou sac à dos, des régions d'Avesnes, La Capelle... Dans l'après-midi un monoplan atterrit à «la Seiglière». En quelques instants des centaines de personnes l'entourent et veulent tuer l'aviateur qui est descendu. J'appelle un sergent, le seul soldat présent, et lui demande de tranquilliser la foule vu que l'avion porte la cocarde tricolore. Il n'ose pas! Je m'adresse au pilote qui est en danger, et il montre ses papiers : «Adjudant Carus Eugène, du centre d'aviation de Reims», son diplôme de pilote et son ordre de mobilisation. Malgré tout il me semble suspect. Je ne suis pas soldat et prie le sergent de l'amener s'expliquer à Guise. Il n'ose pas et laisse partir l'avion. Le lendemain les boches suivent le chemin sur Monceau et Beaurain, de l'autre côté de l'Oise, d'où il venait de passer.

 

27 août — II a plu. J'envoie les attelages dans les champs, mais tout le monde a peur. Dès huit heures toute la plaine est sillonnée de dragons, carabine au poing, qui encerclent les chevaux, croyant que c'étaient des uhlans ! Je parle à un jeune gradé qui ne sait rien, mais croit que ça va chauffer aujourd'hui.

L'EXODE

 

27 août — La moitié des domestiques se sauvent et les fugitifs demandent à monter dans les chariots. J'envoie le personnel restant chercher les poulains «aux trente diables». Des soldats anglais tirent sur eux et il n'y a pas moyen de les ramener.

La route de Saint-Quentin déborde de soldats anglais. Je n'arrive plus à garder le personnel. Tous se sauvent.

A quatre heures, le garde apporte l'ordre de loger mille hommes et mille chevaux. Une heure après ils arrivent. Quelle cohue! Le colonel du 27e Dragons m'appelle : «la ferme est prise par l'autorité militaire. Votre maison et les écuries sont à notre disposition». Ils prennent possession de tout, pendant que les soldats pillent volailles et lapins. En vain, les officiers crient et rouspètent !

Pour le lendemain, ordre de quitter la ferme. Je demande à rester à mes risques et périls. Rien à faire !

Un officier anglais apporte un pli en moto, parle au colonel qui crie: «dans une demi-heure les civils doivent quitter la ferme!» C'est formel. Le commandant Lasies, député de Paris, insiste: «mon brave, partez de suite. Demain à cette heure-ci vos fermes seront rasées». Jugez de mon émoi !

Je sonne la cloche pour faire atteler les chariots mais la plupart des hommes sont partis. Pendant que nous ensachons quelques effets, A. Camus et les Belges attellent chariot par chariot. Je réussis à convaincre le berger de conduire le troupeau chez ma sœur, à Cerny-en-Laonnois. Le maréchal restera avec lui.

Pendant ce temps les officiers criaient et poussaient pour notre départ. Nous prenons quelques victuailles, vêtements et linge. Avec bien du mal je prends un matelas ! Enfin je trouve quelques domestiques : ils chargeaient le fût de 180 l d'eau de vie reçu quelques jours auparavant, au lieu d'aider à charger les affaires utiles!... 44 chevaux sont attelés à 7 chariots, un à la Victoria... Je quitte Louvry en sanglotant... Seule la route de Marle est encore libre. Je passe devant et donne l'ordre aux chariots de suivre la Victoria.

Quel tableau ! Partout dans la plaine, des soldats, des chevaux, des canons, des colonnes. Des milliers de fugitifs. Guise est évacuée depuis midi et les gendarmes font ce qu'ils peuvent pour parer au désordre. Halte près de Champcourt, tout attelé, parmi les dizeaux d'avoine. Le canon tonne, de plus en plus rapproché, pendant que le grand pont de Guise saute. Des incendies partout en direction de la vallée. On entend pleurer les enfants et se lamenter les mères.

Personne ne peut passer sur la route où les soldats ramènent sans arrêt des munitions et des vivres. Nuit froide et triste. Interdiction de bouger.

 

28 août — Passage ininterrompu de fourragères, camions, autos, canons, troupes. Enfin nous pouvons partir à 8 h. dans le bruit de la canonnade, par Marle, Dercy, Crécy, Barenton, où nous dételons pour laisser manger les chevaux. Nous ne trouvons pas de pain et nous avions donné le nôtre aux réfugiés. Je vais voir M. B... qui avait dîné chez nous peu avant et qui m'en donne... une tranche ! Honteux, je pars et le donne aux enfants. Et nous avions 60 personnes avec nous !

Nous rattelons à une heure et sommes devant Laon à trois heures. Là, arrêt complet pour laisser passer les ambulances. Des centaines de chariots et voitures attendent. A Laon, personne ne peut passer le pont et nous devons faire un détour de 10 km. Nous passons par Semilly, Bruyères, Monthenault... Ma jument n'en peut plus. Il est dix heures du soir. Je descends et la prends en bride, la laissant parfois brouter l'herbe. Enfin j'arrive à Cerny. Je frappe partout, personne ne connaît mon beau-frère... Enfin une porte s'ouvre, Louise et Camille sont là, avec des Belges de Chimay qui ne savaient pas l'ennemi si proche...

 

29 août — Nous installons nos 60 personnes et les équipages dans la ferme et les Creuttes de la Bovelle. Le plateau (Chemin des Dames) est très fertile, la récolte superbe, le hangar plein et la batteuse en place...

...Vers midi, arrivent mon frère René, Victor et Arthur. Leur aventure a failli mal tourner : les dragons les avaient traités en espions, parce que Flamands, et voulaient les fusiller. Après dîner deux cyclistes entrent en trombe: mon frère Julien et l'abbé D... frère d'Alice. Ils avaient été emprisonnés à Dercy comme Flamands. Heureusement, le téléphone de Vervins n'était pas coupé et un officier s'est excusé du malentendu.

Malgré l'accueil cordial, nous sommes inquiets. Le sommeil ne vient pas. Qu'est-ce qui nous attend?

 

30 août — A midi, le berger s'amène avec le troupeau. Le courageux vieillard les a sauvés, sauf les béliers oubliés dans la ferme. Ils vont à Bovelle.

 

31 août — Après-midi, grand mouvement de troupes. Ce sont des Belges échappés de Namur... Ils campent dans les champs, autour du village, les artilleurs placent leurs pièces. Il y a des gendarmes, chasseurs, artilleurs, troupes de ligne. Un jeune officier montre le drapeau de son régiment...

 

1er septembre — Les Belges s'en vont; beaucoup de chevaux, épuisés, n'en peuvent plus. Ils nous les... donnent, mais ils sont en triste état... M.P. propriétaire de Camille, vient nous demander de partir avec lui dans le midi. Nous décidons de rester (et nous l'avons regretté !)

Tous les chemins regorgent de troupes en retraite; autos, voitures, fantassins innombrables, déferlent de partout. Pas de doute, l'ennemi approche.

...Un officier de chasseurs nous raconte qu'il a pris part à la bataille de Guise, que Louvry est en feu et que la terre est couverte de morts autour de la ferme et de Bertaignemont.

...Après-midi, passage du personnel des Postes de Laon, cheminots, garde-barrières, qui se sauvent aussi. Un monoplan boche passe au-dessus de nous, les soldats tirent, le boche riposte.

 

2 septembre — A trois heures du matin vive fusillade, Nous sortons Alphonse et moi, et voyons tomber un jeune sergent français comme il sautait par-dessus la porte de la forge. Avec dix soldats il avait passé la nuit à Cerny; et une patrouille de uhlans qui s'enfuyaient, avait tiré sur eux. Deux autres sont tombés un peu plus loin. Les autres sont partis en direction de Fismes.

Le canon tonne, et le premier obus passant au-dessus de nous explose dans la sucrerie devant nous. D'autres suivent. Nous fuyons tout droit à la ferme, cachons quelques vivres, couvertures, vêtements et de l'eau dans les caves-carrières sous la maison. La canonnade est violente...

...Tout d'un coup, une voiture avec deux officiers à casques à pointe. Nous sommes tous sidérés. Ils sont polis et autoritaires. Il leur faut de tout et donnent l'ordre d'enterrer les morts et les chevaux. En un clin d'œil le pays est plein d'ennemis.

Refoulant notre haine impuissante, nous devons admirer leur discipline et leur force musculaire. Ils ont fait 60 km à pied et ne semblent pas fatigués : Fers de lance de l'armée, fiers de leur avance et de leur succès ! La tâche sera dure aux Alliés pour les vaincre.

A la Bovelle, les boches ont fait sortir tout le monde des carrières mains en l'air, et fouillant tout. Les femmes et les filles se serrant ensemble et les gosses hurlant de peur. Personne n'ose plus sortir et nous cachons les chevaux.

 

3 septembre — Je veux retourner à Louvry et préviens les hommes de se tenir prêts au départ, quand la femme du maire se précipite vers moi et m'implore de la secourir. Son mari enterre les morts avec les habitants, et une colonne de la Croix-Rouge exige de toutes sortes et personne ne les comprend. J'y vais. Ils réclament un cheval et une voiture à 6 places pour 4 blessés allemands et 2 français. Un cheval de Camille et la charrette d'un voisin leur conviennent et je les conduis au médecin-major. Je veux un bon. Il refuse mais nous force à accepter une auto Peugeot que nous poussons jusqu'à la ferme.

Je lui demande un laissez-passer pour Guise, pour trois hommes et moi. Il me le donne. Nous préparons tout pour partir demain, avec Victor, Jules le vacher et Achille. J'enterre mille francs, avec les valeurs et bijoux de ma sœur Louise. Nous ne les avons jamais retrouvés.

LE RETOUR

 

4 septembre — En route à 4 h. du matin, avec deux voitures. A Chamouille des cadavres de chevaux, fourgons et matériels cassés. On enterre les soldats. Nous devons nous ranger à côté pendant une heure et demie pour laisser passer les troupes de toutes armes. Dans une voiture, je reconnais un de nos matelas et nos couvertures. C'était le 10e régiment d'infanterie allemande venant de Louvry (et de la bataille de Guise) où j'ai trouvé des morts de ce régiment. Figures bestiales, abruties et menaçantes.

Jusque Laon et Bois-les-Pargny, pas de traces de combat. Nous rencontrons de longues colonnes de Belges qui rentrent chez eux avec leurs voitures. J'adresse quelques paroles à une famille de cultivateurs de Namur, qui viennent d'enterrer au coin d'un champ leur fille de 20 ans, morte de frayeur. Après la guerre, disent-ils, ils la ramèneront chez eux pour la sépulture définitive.

A Bois-les-Pargny, des Allemands enterrent les morts. Un sous-officier roux nous barre le chemin. Il m'interpelle: «vous êtes un sous-officier de l'armée...» Je le nie et présente passeport et papiers. Il voit que je suis caporal de la Garde Civique, me fouille à fond, me fait garder pendant qu'il s'en va avec mes papiers et fait fouiller les voitures. Il revient une heure après, nous laissant partir à regret. Il n'a rien demandé à mes trois hommes.

La gare de Faucouzy est brûlée ainsi qu'une partie des fermes. Partout des cadavres d'hommes et de chevaux entourés de milliards de mouches. L'odeur est insupportable. Nous cherchons de l'eau : pas un habitant, pas une bête à voir. Le pays est abandonné.

A Landifay, c'est épouvantable... cinq ou six personnes sont rentrées. Mme L. me dit que Louvry a brûlé la première. Ici, sur Bertaignemont (où Pétain a couché le 29 août) et plus bas, la bataille a fait rage.

 

SUR LE CHAMP DE BATAILLE DE GUISE

 

Des tranchées pleines de cadavres, parfois trente, quarante ensemble. Ici un zouave, le bras arraché, là-bas des turcos, plus loin des lignards, dont le 110e de Dunkerque. Le 1er Corps a bien souffert ici... Plus loin, des corps déchiquetés, des bras, des jambes. La cabane du cantonnier est un mélange de béton et de cadavres décomposés. Il faut passer dans les champs: dans les dizeaux, dans les haies, dans les talus, de la chair humaine, des membres, des intestins, des corps mutilés. Un turco est coupé en trois morceaux déchiquetés. Les cadavres sont noirs, gonflés, et au-dessus de ce carnage, ce beau domaine hier, changé en un tas de ruines.

Et, toujours à travers champs, entre les cadavres décomposés, je me dresse dans la voiture et vois Louvry: une grange encore debout et la maison du général (Louvry comportait 2 fermes) bergeries et granges de l'aile droite sont incendiées, les meules de blé de semence brûlées, deux meules de lin aussi. Je pousse mon cheval et, arrivé à la pâture, je vois que notre maison brûle encore... des trous d'obus et des tranchées partout, cinq cadavres de chevaux devant la porte à cour, les cinq uhlans enterrés au jardin avec des croix et des noms.

Pas moyen d'entrer, le passage est obstrué. Nous entrons par la ferme du général dont la porte est ouverte ; je traverse les ruines de la cantine et... scène épouvantable que je n'oublierai jamais ! C'est cela Louvry ! La ferme entière brûlée, anéantie, meurtrières dans les murs encore debout, tranchées profondes. Une petite partie de l'aile droite est encore debout, les toits découverts. Lamentables, laines brûlées, brûlures saignantes, nos trois pauvres béliers, oubliés, courent après nous, bêlant de soif et s'obstinent à retourner aux ruines. Il est onze heures moins le quart, je cours vers la maison. La façade est à plat mais la cuisine brûle encore. Nous sortons la cuisinière, la et quelques objets. Il n'y a plus rien à sauver. Devant les fenêtres, mon chapeau haut-de-forme cabossé et sali, la fourrure de maman, habillements d'enfant arrachés... Avec quelle rage ces êtres inhumains ont-ils travaillé, cassé ce qui n'avait pas brûlé ! A travers les trous des fenêtres je contemple ce qui reste de notre maison, témoin de notre bonheur et d'un labeur opiniâtre, berceau de nos enfants. Plus rien : mes livres, notre mobilier, linge, provisions, literie, tout y a passé. Ah ! les monstres !

Et en-dessous de la cheminée, nos chats s'obstinent à se blottir dans les ruines.

RÉCUPÉRER LES RESTES...

Le 4 Septembre  Mais il faut agir ; il y a le bétail à rassembler, chercher les poulains et les porcs (s'il en reste) et enterrer les cadavres, ceci au-dessus de nos forces.

Les bêtes retrouvées sont placées dans la ferme du général, mais il n'y a plus une porte, toutes sont dans les tranchées. Il manque trois vaches laitières et tout le jeune bétail, les veaux et bêtes à graisser. Nous trayons les vaches, mais le lait est inutilisable. Les pis sont durs, depuis huit jours elles ne sont pas traites. Heureusement l'une a vêlé, son veau est dans un dizeau et nous avons du lait frais. Une rangée de porcherie a brûlé avec 34 porcs. M. Lesage, d'Audigny a rentré 7 porcs en divagation. Ce sont les nôtres. Au loin, je vois des poulains. Ce sont nos laiterons, deux sont pleins de sang. Un poulain (que maman avait élevé au biberon) a le cou et la gorge percés de balles. Il mourra dans la suite... Le 5 je retrouverai 17 de nos vaches et génisses entre Landifay et Courjumelles ; le 7, 13 de nos poulains de 18 mois dans les pâtures de Vadencourt. Ce même jour le berger rentre avec le troupeau. Il ne manque qu'une brebis prise par les Allemands. Le 9 je retrouve le gros taureau à la Bussière...

 

5 septembre — A chaque instant des Allemands viennent faire un tour dans les ruines des bâtiments, et leur attitude est menaçante... Le fils Vanpée dit que son père a vu quelques jours plus tôt onze cadavres au moulin à eau et sept près de la grange. Nous ne les trouvons pas, mais dans les cendres des trois meules de blé de semence nous trouvons des boutons, pièces de monnaie, couteaux de poche... Il les avait brûlés !

Dans les caves nous trouvons 40 casques. La terre est baignée de sang. Nous conduisons trois voitures d'armes, casques et engins de guerre à la mairie. Sur les routes les habitants commencent à rentrer. Tous sont revenus de Cerny.

A Guise, M. le doyen est resté. C'était le seul notable à faire face aux Allemands pendant la bataille de Guise. J'essaie de obtenir des passeports pour Robert et Alidore; ils n'en n'obtiennent pas et s'en vont sans. Je ne les ai plus revus.

 

Du 8 au 20 septembre — Nous rentrons les récoltes et retrouvons des morts dans les dizeaux... Le matériel de laiterie et la baratte étant brûlés, nous vendons le lait à Guise ainsi que des pommes de terre... Nous fauchons, charrions, ameulons le lin. Nous soignons les chevaux nuit et jour, l'ennemi les ramassant dans les champs...

 

 

 

APRÈS LA MARNE

 

25 septembre — Passage ininterrompu sur les routes : les boches reviennent de leur «Nach Paris» et sont inabordables. Il y a des soldats qui mènent 4-5 chevaux. Mélange de tous les régiments. Nous entendons le canon vers Reims. Ils doivent avoir reçu une fameuse raclée par là.

 

26-29 septembre — De durs combats se livrent tous les jours (sur le Chemin des Dames), la famille de Cerny est enfermée dans ses carrières. Décidément, cela ne va pas pour les boches. Ils ne sont pas fiers du tout... Procession continuelle sur les routes : hommes et chevaux sont épuisés. Des éclaireurs passent dans les champs les bordant. Partout ils volent des chevaux et maltraitent les habitants.

 

30 septembre — Les chevaux non enterrés empoisonnent toujours le pays. On essaye de les brûler au goudron mais cela ne réussit guère. Rien que sur le terroir de Louvry, il y en a 82 ! Et pour les enterrer, il faut faire des fosses à côté. Impossible d'y tenir par l'odeur pestilentielle.

On a beau soigner et éparpiller les chevaux, les boches font des battues en auto par les petits chemins et à travers champs. Je n'avais pas quitté les attelages depuis cinq minutes, qu'ils les ont encerclés et fait amener à la route de St-Quentin. Prévenu, j'accours et vais trouver le «rittmeister» qui ne veut rien savoir. L'étalon «Marquis», qui portait une muselière de cuir, mord le bras du boche qui la lui enlevait et le secoue vigoureusement. Je dis qu'il est méchant et on le rend à Potard qui l'embrasse en pleurant. Ils rendent encore le vieux Faraud et deux poulains mais gardent les 13 meilleurs! Je reviens avec mes hommes, fort abattus eux aussi. Tout y passera, l'un après l'autre...

 

octobre — Fortes canonnades du 2 au 6. Les ordres de réquisitions commencent à pleuvoir. Toujours des troupes qui descendent. Ils ont plutôt triste figure.

...Nous semons du seigle, battons du blé pour semer, mais n'arrivons pas à livrer toutes les réquisitions. Nous cachons ce que nous pouvons. Les gerbes sont pleines de mitraille et les batteuses cassent à tout instant. Nous passons du blé aux habitants, malgré les boches qui contrôlent tout le travail.

LA PRISE EN MAIN

 

26 octobre — Avant le jour tout le pays est encerclé par des soldats qui gardent chemins et issues. Personne ne peut sortir et M. Quérette, faisant fonction de maire, reçoit l'ordre de rassembler tous les hommes de 18 à 48 ans. Nous sommes pris dans une pièce de betteraves, route de Marie.

J'avais un revolver chargé sur moi et, faisant semblant de tomber, je m'en débarrasse vivement. Nous sommes 5 de Louvry. A l'entrée du village un poste en armes nous fait mettre les bras en l'air et nous fouille. Devant la mairie, un lieutenant et 50 soldats. Le maire donne la liste des hommes et l'officier la compare avec celle qu'il sortait de sa poche: il l'avait sur lui avant d'arriver au pays !

Toutes les femmes du pays nous entourent et pleurent bruyamment. Certaines avec leurs enfants, se cramponnent au mari, père ou frère, mais sont repoussées à coups de crosse. A l'appel des noms chacun se présente et nous sommes placés entre les soldats. Ernest L. 1er domestique est poussé dans les rangs, en hurlant tout ce qu'il peut, appelant sa femme et ses enfants. Le maire explique en français, le lieutenant en allemand, personne ne se comprend. Requis comme interprète, je demande ce qu'il va faire de nous. Il répond qu'il nous emmènera comme prisonniers civils. J'observe que la population est active et calme, que tous les hommes valides sont soldats et qu'il n'y a pas de main-d'œuvre pour les remplacer, que c'est le moment des semailles etc... Il s'étonne que je parle allemand. Réponse: Je suis Flamand et j'ai appris l'allemand au collège de Nieuport. Il me dit qu'ils occupent Nieuport et Dunkerque. Je n'en crois rien. Et voici l'interrogatoire, présentation du livret militaire et papiers... J'ai beau dire, il s'en fout, et plusieurs sont emmenés ! Je réussis à en faire libérer d'autres et les engage à se cacher un moment. — Alors c'est mon tour, je n'ai pas de livret militaire et il ne se décide pas à mon sujet. Il va examiner cela, dit-il.

Le triste cortège s'ébranle, comme un enterrement. Nous sommes neuf, entre les soldats baïonnette au canon, en route pour Guise. Les femmes sanglotent, les enfants crient en nous suivant. Tête haute, blêmes, nous marchons. Je n'ai pas d'argent, pas de bagages (d'autres ont pu s'en faire apporter). Étant seul, je suis bien résolu à me sauver en route de captivité, n'importe où.

Arrivé à la Désolation, je regarde Louvry, quand le lieutenant me crie : «Herr, sie sind frei ! » Je remercie d'un geste et file à Louvry, à travers champs.

 

27 octobre — Mme Lesage, toute éplorée, m'a prié d'intervenir pour son mari à la Kommandantur de Guise. Le risque est grand, mais elle me fait tant de peine que j'y vais avec le maire M. Quérette. Il y a là quatre hommes d'Audigny absents hier, et leurs familles. Mme Lesage y est avec tous ses enfants. Marie-Madeleine se cramponne à son père et ne veut pas le lâcher. Brutalement, des soldats les séparent et entraînent les hommes. Je rentre avec eux et le maire, qui dit à l'adjudant-major Kunkel (surnommé Choléra) qu'il m'a requis comme interprète. J'explique à Weachter, gouverneur, la situation de famille de chacun. Il réfléchit un instant. Lesage et Martigny seront libérés, les autres enlevés.

Je sors avec les premiers mais deux soldats m'empoignent et m'emmènent à «Caïffa», la prison bien connue de Guise. D'un coup sec, je me dégage et saute au bureau de «Choléra» pour réclamer un passeport pour retourner. Il me reconnaît, refuse le papier. Finalement, je suis relâché sous la responsabilité du maire qui, dit-il, sera fusillé si je me sauve. M. Quérette accepte et je le suis sur ses talons. Tout cela me semble un rêve, mais je suis libre...

...Maintenant, personne ne peut sortir sans laissez-passer.

 

 

LES RAFLES

 

27 novembre — Une colonne de boches s'amène dans la cour, s'empare d'un cheval, 7 vaches et 50 moutons. Le tout sans bon de réquisition.

 

2 décembre — Ce n'est pas tout: il faut livrer tous les poulains. J'en cache 2 et en mets un en attelée. Ce sont les produits de notre superbe étalon et de nos meilleures juments. (J'ai été dénoncé par une Française pour avoir caché ces 3 poulains. Mais comme j'avais arraché leurs dents de lait, ils n'ont pu trouver les preuves et la dénonciatrice a été punie par les boches!)

Il faut conduire les poulains à la gare de Guise avec un licol et deux longes. Je n'en fais rien et conduis les 17 poulains en bande à la gare. J'arrive sur le tard, les poulains bousculent même le gouverneur qui m'appelle avec le maire et nous condamne à 100 F. d'amende. Il crie comme un forcené et menace. Les poulains embarqués, je me présente à «Choléra» et lui dis : «J'ai 100 F. d'amende, pas d'argent, je suis à votre disposition». Il me pousse dans le bureau de Weachter qui me dit: «Alors, fous ne foulez bas bayer ?» — «Si, mais je n'ai pas d'argent» — «Grande verme et bas d'archent ! » — «Elle est belle, la ferme, tout est brûlé. Tout ce que je possède je l'ai sur le dos ». Il regarde la carte et doit convenir que je dis vrai. Alors : «Fous afez tes amis, fous drouferez ! » — « Monsieur, quand on n'a plus d'argent, on n'a plus d'amis ».

Il griffonne un papier, envoie un planton vers le maire d'Audigny. Il me laisse debout et — incroyable — me laisse partir. Je rencontre en route le boche qui me dit, triomphant : «Der burgmeister hatt bezahlt ! » Je reproche à M. Quérette ce paiement et il me répond: «Pour moi, je n'aurais pas payé, pour vous j'ai payé».

 

14 décembre — Encore mieux. Toute la ferme, jardin, verger, caves, est retournée, perquisitionnée. 150 soldats sont là avec des sentinelles pour faire ce beau travail. Ils prétendent qu'il y a des armes cachées, mais c'est du vin qu'ils veulent. Ils ramassent tout, douilles d'obus, shrapnels, éclats, boîtes de conserves vides, jusqu'aux paniers à avoine des chevaux.

Je n'arrive pas assez vite pour ouvrir les portes, ils les enfoncent, cassent les portes vitrées et les placards ! L'officier me fait passer devant lui et, sournoisement, me saute dessus en criant : «Votre cave à vins et tout de suite ! » Je lui réponds : «Où voulez-vous que j'ai du vin, vos collègues ont tout bu il y a quatre mois ? En plus, je me plaindrai de vous à la Kommandantur». Il devenait furieux et menace de me frapper. Adrien, le gamin de Béatrice, a une pelle de soldat, sa mère est menacée d'enlèvement. Jules le vacher avait une timbale de soldat, ils l'aplatissent sur sa tête... Après deux heures de recherches ils s'en vont et viennent le soir charger leur butin. Il n'y en avait pas pour vingt francs !

Dans la petite cave de la maison brûlée, dont nous avons camouflé l'entrée, étaient toutes nos pommes de terre. Ils ont couru dessus sans se douter qu'il y avait une deuxième cave.

 

15 décembre — Autre nouvelle: à 8 h. du matin tous les chiens doivent être devant la mairie. J'y vais avec les nôtres, le berger avait caché les siens. Deux boches s'amènent dans une voiture fermée. Le sous-officier dit qu'il leur en faut 5, des bergers. J'engage les amis à se sauver tandis que je leur remets le jeune Médor, bâtard authentique, comme le meilleur du pays... et il n'était bon à rien !

26 décembre — L'année s'achève bien tristement, sans nouvelles des miens... Toujours des pertes dans le bétail, les vieux chevaux ne résistent pas au régime, les vaches ont des «corps étrangers», éclats et mitraille dans le foin...

Il fait froid, l'eau ruisselle sur les murs... Nous nous éclairons avec de la graisse fondue et une mèche dans une boîte à cirage. J'ai pu tout de même acheter à Guise un petit poêle, ça calmera mes rhumatismes...

LA VIE DIFFICILE D'UNE FERME OCCUPÉE

 

janvier 1915 (*) — Je vends clandestinement par nuit, du blé, des pommes de terre, pour payer le personnel et les betteraviers. Chaque mois ils touchent une quantité fixée de blé qu'ils écrasent à la main. C'est «verboten», mais nous ne sommes ni pris ni dénoncés...

 

12 et 13 — Deux vaches meurent. Nous n'avons que des sucrières à leur donner pour les nourrir. C'est trop échauffant et, de plus, il y a les «corps étrangers» (éclats, verres cassés, ferrailles... c'est très dangereux).

 

3 et 26 — Deux juments meurent. Ça n'en finit plus. La seconde, du tétanos. Partout dans les champs, des tessons de bouteilles. Tous les morts en étaient entourés après les combats.

 

16 au 20 janvier — Les boches enlèvent 3 charrues Fondeur avec leurs volées à 3 chevaux, puis 2 autres dont une neuve. Je cours réclamer à la Kommandantur où ils me mettent à la porte : «Heraus ! Die pfluge kom-men zurilck ! » Ils enlèvent aussi la presse à paille et 2 volées.

 

28 janvier et suivants — Les boches nous font enlever les sucrières que nous avions mises en silos le long des chemins. Ils ont réquisitionné les cultivateurs d'Audigny, Villers et Monceau pour les conduire en pays herbager. Il y a déjà 180 chariots d'enlevés...

 

16 février — Encore un cheval mort. Les vieux chevaux ne peuvent digérer l'avoine entière et le moteur Salmson a été saboté. En outre il n'y a pas d'essence...

 

23 février — Les boches amènent une batteuse Lanz à grand travail en plus de la nôtre. Il faut battre pour eux... mais c'est nous qui payons les salaires...

 

11 mars — Toujours plein de troupes. Les hussards logés à Audigny viennent manœuvrer tous les jours sur nos terres et cela ne nous réjouit pas. Guise a le dépôt de recrutement de l'armée bavaroise. Ils ont mis des cibles-silhouettes sur les «bois» et tirent dessus du matin au soir. Personne ne peut plus passer. Des sentinelles partout...

Nous sommes sévèrement rationnés et le pain est gluant et noir. Nous achetons des tourtières et ustensiles à M. H. de Guise qui les fabrique en cachette, et moulons ce que nous pouvons à la main. Et ce n'est pas pour rire.

(*) Le journal se continuant au jour le jour mêle naturellement les incidents quotidiens du travail, les réquisitions, les drames parfois dont la région est le théâtre. Pour la facilité de la lecture, nous regrouperons, avec leurs dates, les faits essentiels selon leur nature.

 

LES RÉQUISITIONS

 

26 mars — Ordre de présenter 5 chevaux à Guise aux Allemands. Nous trions les moins bons et une jument est prise. Ils nous donnent à la place une jument fourbue et un petit bidet alezan...

 

28-30 mai — Ordre de tondre les moutons et de livrer la laine à la Kommandantur. Le travail sera fait sous le contrôle d'un gradé du Feldlazaret...

 

9 juin — Le lin est confisqué aussi. Je prends l'adresse des wagons qui s'en vont à Berlin.

 

13 juin — Ordre de présenter tous les chevaux à Guise, place Lesur. Ils sont tous marqués et numérotés.

 

16 juin — Ordre de livrer chaque semaine 12 kg de beurre. Je vais réclamer à la Kommandantur et nous en sortons avec 8 kg.

 

12 juillet — Toute la 1ere coupe de foins est confisquée, et nous devons en conduire plus de 50 T. en gare de Guise.

 

3 août — Nous battons l'orge et le blé directement dans les champs. Les boches ont amené une puissante batteuse Wolff avec sa presse. On bat même quand il pleut. Un jour on a fait 286 qx !...

 

13 septembre — La belle jument belge Flora doit être livrée et nous devons mettre un homme pour la soigner deux jours. Elle part au château d'un officier supérieur !

 

22 novembre — Réquisition de 13 moutons et du gros taureau de 700 kg.

 

30 novembre — Ordre de conduire 50 brebis triées à la gare de Guise, probablement pour un hobereau allemand.

 

1er décembre — Ordre de battre tout le restant de la récolte et de livrer le grain, sauf 50 qx d'avoine pour semence et nourriture...

1916...Ça continue:

15 janvier — Ordre de couper les crinières et queues des chevaux et de trier le tout avant de le livrer. Les cornes de pieds doivent être aussi ramassées à la forge !

25 janvier — Ordre de livrer les 3 derniers poulains de 2 ans, cachés jusqu'ici dans l'attelée. 500 poulains de 1 à 4 ans sont embarqués à Guise. Les Kommandantur voisines doivent livrer de 1100 à 1500 vaches...

26 janvier — A midi, le gouverneur de Guise entre dans la cour en auto. Suffoquant de rage, il m'appelle et crie comme un forcené, m'enlève en auto jusqu'à la bascule où nous avions battu. Il me reproche que les ballots de paille pourrissent tandis que leurs chevaux au front sont dans la boue. Il me menace de prison, d'enlèvement, de coups de cravache..! Quand il a fini de brailler, j'arrive à lui prouver que les pailles étaient réquisitionnées sur place, que les colonnes les chargeaient sans prévenir, qu'aucun ballot cassé n'était ramassé même pour nous... J'ai jusqu'à demain soir pour enlever et nettoyer le gâchis, avec ordre écrit et surveillance du « Wachtmeister». Il y faudra 2 jours... mais je ne suis pas en prison.

28 janvier — Ordre d'abattre le gros noyer et de le livrer en gare.

29 janvier — Tous les étalons de la région doivent être présentés à Guise. La ville et les environs sont bourrés de troupes, les maisons et les fermes sont occupées et les soldats pillent en cachette. Les portes des poulaillers sont fracturées. En tout, une vingtaine de volailles et cinq gros lapins ont disparu.

Les chevaux n'ont plus droit qu'à 1 kg d'avoine, 1,5 kg de foin et 3 kg de paille (même pas 1/3 de la ration normale). Tout le bétail est rationné. Chaque jour il y a du nouveau... Le filet se resserre et les perquisitions sont fréquentes.

 

8 mars — Encore perquisition ! Ils ont trouvé nos 3 bicyclettes que j'avais cachées, enlevé toutes les courroies, les cuirs, 30 peaux de moutons, neuf grands sacs de laine triée et lavée et un tas d'autres affaires. Heureusement, on avait encore deux jours de délai et je m'en tire sans prison ni amende.

 

13 mars — M. F. a 300 marks d'amende pour n'avoir pas déclaré un veau et vendu du beurre. La commune doit livrer chaque semaine 1700 œufs et l'imposition de beurre est doublée. Rien ne doit plus être vendu, surtout aux soldats. On fouille les gens - rares - qui passent sur les routes.

 

19 mars — Pour le 1er Mai, tout doit être labouré et semé (bien qu'ils nous aient encore enlevé du matériel le 15, 200 marks d'amende par hectare non empouillé. Tout le monde, dans les champs, doit avoir des laissez-passer, même les gosses de 6 ans ! Impossible de nourrir encore le personnel, sauf les 3 Belges, le berger et le vacher...

Six de nos ouvriers sont en prison pour 3 jours pour être sortis après 9 h. du soir. 6 habitants du village ont 3 jours de prison pour avoir rentré leurs chevaux lors d'une tempête de neige !...

 

mai — ...La presse à paille fonctionne partout, même chez les petits particuliers. On ramasse les sous-traits et les déchets sous le contrôle des soldats... Ils ne nous laissent rien.

 

Le 3 mai, le gouverneur passe avec des officiers et fait enlever tout le matériel qui n'est pas en activité. Je constate une fois de plus qu'ils prendront tout... La tyrannie de l'ennemi s'accentue chaque jour: vexations, perquisitions, emprisonnement pour insuffisance de travail ou de livraison de beurre ou d'œufs.

 

Le 15 Mai — Ordre de tondre les moutons sous la surveillance d'un caporal, qui fait numéroter les bêtes et peser la laine. Celle-ci est enlevée aussitôt... Le maire M. Q. a fauché une verge de seigle vert pour lier les toisons de laine; il est condamné à 150 marks d'amende. Les boches, sans façon, fauchent nos sainfoins.

 

Le 31 mai — à quatre heures du matin heure allemande, nous devons nous trouver avec tous les chevaux et poulains numérotés. Menaces de condamnations sévères pour les chevaux mal étrillés et les retardataires. 27 sont pris, il en reste 4... Autant qu'ils les prennent tous...

Etc... Etc... le rythme des ramassages de toutes sortes se poursuivra au long de l'année... Passe pour la livraison des cobayes ou cochons d'Inde, mais les moyens de travail, la nourriture.

 

Tout est inscrit et contrôlé jusque dans les casseroles ; les moyens de couchage. Je cache mon matelas et dors sur le sommier ; l'arrivée de bétail «allemand» replié du Vermandois, qui amène la fièvre aphteuse... la rafle totale des pommes de terre à l'arrachage, le vol des derniers animaux : moutons, porcs ou volailles disparaissent chaque jour dans la région. Nos oies et 36 poules, têtes coupées. Nous avons suivi les traces de sang jusqu'à la route de St-Quentin. Comme tout était déclaré, ça va chauffer à la Kommandantur.

1917 EN 1917, après un hiver très rude et très froid, la pénurie deviendra disette. La région de Guise devient «Opération Gebiet» - ligne de front, le 15 Mars 1917.

1er avril — C'est le coup de grâce ! Tout est confisqué. Nous n'avons plus droit à rien.

TRAVAIL FORCE ET «BOUCHES INUTILES»

 

A 5 h. du matin (4 h. soleil) appel de tous les habitants entre 14 et 60 ans pour se voir indiquer le travail forcé. Depuis plus de 2 ans et demi j'ai lutté, défendu chaque morceau pour aboutir à cela !.. Tout le monde est inscrit et numéroté pour être «Zivil Arbeiter». Appel chaque matin pour les habitants, avec les ordres de travail sous la surveillance des soldats. Très délicat pour les femmes et jeunes filles.

 

16 mai — Plus d'exception. Toutes les filles, les femmes ayant moins de 4 enfants, les cultivateurs et leurs femmes, jusqu'à Camus, le vieux sabotier et Folmer, de plus de 70 ans, doivent se rendre à l'appel aussi.

C'est du vice de l'occupant pour se débarrasser de tout ce qui ne travaille pas. Dans toute la région, les vieux, les malades et infirmes (les «bouches inutiles») sont prévenus. 92 personnes reçoivent l'ordre de départ... Le 20 Mai à la gare de la Ferté-Chevresis, une série de trains est organisée, paraît-il pour la Belgique : 64 personnes amenées par des chariots boches, escortés de gendarmes et de soldats. Beaucoup de personnes pleuraient. Notre vieux curé, tête nue, lançait des anathèmes aux barbares...

 

LES DRAMES

 

13 avril 1915 — Onze Anglais étaient cachés à Iron, au Moulin Griselin. Dénoncés, ils sont fusillés au fort de Guise ainsi que le père Chalandre qui les ravitaillait. Nous entendons des salves puis des coups secs. Les malheureux, garrottés, ont été portés dans un chariot pour les mener au poteau. Affiches partout du sanguinaire Weachter annonçant qu'il a «approuvé le jugement du Conseil de guerre».

Je ne suis pas rassuré pour «notre Anglais» qui, ces jours-ci caché dans les ballots, a vu et entendu deux gendarmes allemands qui cherchaient comme d'habitude. Leurs chevaux étaient attachés devant l'écurie et tandis qu'ils allaient remonter, mon Anglais, un genou en terre, se préparait à les abattre. Effrayé, je me suis jeté devant lui en faisant signe de se cacher. Heureusement ils ne l'ont pas vu et tous les domestiques étaient cachés dans la grande cheminée ! C'était leur refuge habituel quand un boche était signalé. Pendant midi, il y avait toujours un homme qui surveillait les environs.

 

14 avril — M. Quérette, maire, a commis le crime de moudre du blé pour les habitants. Dénoncé par Jules P. il est mis en prison à Caïffa et condamné à 1000 marks-or d'amende. Il comptait être envoyé en Allemagne. A son insu, la somme est rassemblée et il en sort avec l'amende.

 

15 avril — Deux soldats français cachés sont fusillés à Lemé. Ces malheureux ont dû creuser leur tombe et M. le Doyen de Guise les a assistés. Et le comble c'est qu'ils ont attendu deux heures, les yeux bandés, avant d'être exécutés. Les barbares ! Tout le monde est consterné.

 

22 juillet — Un avion descend dans les champs près de moi. Deux occupants descendent, travaillent au moteur et s'envolent comme une auto s'amène, puis des motos, des boches à cheval ou en vélo. Ces gaillards se jettent sur moi, me fouillent et me demandent ce qu'ils ont dit et ce qu'ils ont fait. Après des cris et menaces et vérification de mes papiers, ils me laissent partir, mais dès le lendemain on annonce qu'il est défendu, sous peine de mort, de s'approcher à moins de 200 m d'un avion abattu ou en panne.

 

14 janvier 1916 — Tous les hommes doivent porter le brassard rouge depuis l'occupation. Tous les lundis, tous doivent être présents à l'appel nominal. J'ai déjà dû passer au Conseil de guerre avec Camille pour examen de nos papiers.

 

5 mars — Cinq otages sont désignés : les quatre conseillers présents et, bien sûr, ils m'ont trouvé aussi.

 

13 mars — A Puisieux, enterrement de Mme Lorge, cultivatrice belge, condamnée à un an de prison en Allemagne pour avoir battu un boche trop entreprenant. Malade, elle a été renvoyée chez elle mais 4 jours après elle était morte. Triste enterrement...

 

22 avril — M. Lesage, ayant communiqué par signes avec un prisonnier, est depuis 8 jours en prison au pain et à l'eau. Il est profondément abattu et craint d'être déporté, alors que sa femme attend une naissance... Mais il sera remis en liberté provisoire.

23 mai — M. et Mme Bunot sont en prison, dénoncés par une femme pour avoir jeté des armes dans une citerne pendant la bataille de Guise. Ils passeront devant le Conseil de guerre.

 

28 mai — Le Conseil de guerre a condamné M. Bunot à 5 ans de prison et 4000 marks d'amende, Madame à 2000 marks sans prison. Ces armes provenaient d'une panoplie et la dénonciatrice était avec eux dans la cave!

 

29 mai — L'instituteur doit aller travailler dans les champs avec tous les enfants, garçons et filles.

 

4 novembre — Quinze hommes sont désignés pour être enlevés, dont 3 de la ferme. L'un d'eux refuse et se sauve. Quels pleurs et larmes au pays !... Le 6, je suis encore ému de voir enlever 400 civils, encadrés de gendarmes et soldats et conduits à la gare. Tout Guise est en deuil. Cortège lamentable d'hommes abattus, suivis de leurs familles en pleurs, les enfants cherchant à approcher les leurs et repoussés à coups de crosse. Et combien d'amis, le chimiste de la sucrerie, le chef de gare, l'horloger et cent autres ! Les boches eux-mêmes en étaient honteux, certains même avouent qu'ils sont barbares.

 

21 mars 1917 — Ce matin à 6 h. 30, nous entendons une explosion sèche au Mont de Louvry. C'était Félix M. qui, passant avec ses chevaux avait trouvé une grenade à manche et tiré le cordon sans savoir le danger. Il est mal arrangé. Un infirmier l'a soigné aussitôt et nous l'avons mis sur son tombereau... Le maire l'a fait conduire d'urgence à l'hôpital de Guise. Il est décédé le 22, le crâne fracturé à deux places, épuisé par la perte de sang...

 

9 avril — .C'était à prévoir ! Les soldats, installés dans l'immense grenier (70m), avaient construit deux poêles en briques sur le plancher sec. Le feu avait pris entre le grenier et le plafond. Quel tableau! Avec des haches et des pioches, ils enlevaient les planches, versaient de l'eau et cassaient tout. Le feldwebel braillard mais énergique fait démolir les poêles et à 5 h. le feu était maîtrisé. Le grenier est beau !

 

28 avril — J'obtiens un passeport pour Guise et j'y ai vu le Familistère en feu. Le bâtiment servait de caserne et était plein de troupes. Par suite d'explosions le feu s'étendit vite. Quelques boches tués ou blessés ; et le bâtiment est inutilisable.

 

24 mai — Les mois qui viendront promettent d'être mémorables, pour nous et l'histoire. Comme otages nous avons déjà été enfermés : 1) pour coupure d'un fil téléphonique. 2) représailles pour Alsaciens-Lorrains. 3) passage personnel devant Conseil de guerre pour avoir favorisé la fuite de 5 Belges prisonniers cachés par nous dans un hangar et passés par V. dans un chariot de fumier.

 

5 septembre — Par nuit, deux prisonniers russes (qui travaillent au montage de hangars) se sont enfuis. Les autres sont enfermés dans un carré de barbelés près de la cantine. Un autre Russe, passé à moitié corps de l'œil-de-bœuf, a reçu 17 coups de baïonnette par un sergent landsturm (alsacien s'il vous plaît !) et on a eu bien du mal à la dégager. Je n'ai pu approcher le blessé qui se plaignait lamentablement et a été enlevé dans un petit chariot boche. — Le 14, autre tentative d'évasion de 6 Russes. Ils ont été dénoncés par un juif arménien qui servait d'interprète. Ils ont eu de la «schlague». Le lendemain on a remplacé les Russes par des pionniers du génie.

 

17 septembre — Les boches, méfiants, ont remplacé leurs soldats par des civils belges dans leurs dépôts de Vadencourt. Les avions ont jeté des bombes dessus et il y a eu des tués et blessés.

15 novembre — Des étudiants des facultés de Lille et leurs professeurs font un remblai de chemin de fer entre Robbé et la gare. Il y a plusieurs décès et les autres sont bien lamentables; ceux qui sont trop malades sont renvoyés chez eux pour mourir.

 

16 décembre — Le froid est rigoureux, la neige a plus d'un mètre d'épaisseur par endroits et gèle tout en allant avec le vent du Nord. Nos pauvres soldats !... La misère est extrême au pays. Peu de nourriture, peu de boisson, pas de linge, pas de vêtements ni chauffage... Ici, la ferme pullule de soldats et, vu le froid, les soldats brûlent tout, portes, contrevents, écalages des chariots, brancards etc...

 

1er janvier 1918 — ...Encore une année écoulée, année de déceptions, de misère, de mort et de privations. L'avenir s'annonce lugubre...

 

1er avril — Hier à Guise, sous une grande affluence, on a enterré le jeune Dagnicourt, 18 ans, qui a été tué à bout portant à 5 h. du soir, par un soldat boche le 29 mars. Ce garçon tendait un morceau de pain aux prisonniers qui passaient. Le barbare, littéralement enragé, l'a abattu d'une balle dans la tête pendant qu'à genoux il demandait grâce, les bras levés ! Il demandait grâce, mais... les assistants consternés se sont enfuis et le boche a été enfermé aussitôt. Seulement il ne sera pas inquiété : «Befehl ! C'est l'ordre», alors ce n'est plus un crime pour eux. Défense, les jours suivants, de parler de l'assassinat de Guise, mais les boches sont gênés malgré leur effronterie. Ils nous laissent plus tranquilles ... mais ne donnent plus de passeports pour le moment.

 

14 mai — Dans la nuit, à Guise, les boches ont renversé et enlevé les statues de Camille Desmoulins et J.B. Godin (...II y a longtemps qu'ils ont raflé tous les métaux, gouttières, aluminium, zinc, plomb et cuivreries même insignifiantes). Ordre, le 24 Août, de livrer toutes les grilles et portes de fer. Ils démolissent à l'Étang tout ce qui peut être emmené.

 

18 juillet — La fièvre typhoïde règne dans la région et plusieurs personnes sont déjà décédées. La faim, les privations, ainsi que les eaux contaminées ne peuvent qu'étendre ce fléau...

Les drames de guerre sont multiples et permanents: séparations, absences de nouvelles, menaces constantes sur la liberté des personnes, misères physiques et morales... sans parler des opérations militaires proches et de leurs répercussions directes sur tes populations. Avant d'y revenir détachons comme caractéristique l'histoire cruelle de Julien, frère du narrateur.

DÉNONCIATION — DÉPORTATION

 

10 décembre 1916 — ...Nouvelles alarmantes de mon frère Julien en prison à Sains pour avoir caché des prisonniers évadés (Julien, jeune non mobilisable, tient à Voulpaix la ferme du Val Fleury, où son frère Auguste, soldat belge, s'était installé au printemps de 1914). La ferme a été totalement pillée, la servante belge est enfermée aussi. Refus net d'un laissez-passer pour y aller.

 

15 janvier 1917 — ...J'apprends que Julien a 5 ans de prison. Il a été trahi par un faux-prisonnier qui s'est présenté pour avoir un gîte. Le pauvre frère qui en cachait quatre et l'avait mis avec eux a été dénoncé de suite. Le «mouton» prétextait aller chercher sa musette au village mais c'était pour le trahir. Julien a été enlevé, sans argent, ni vêtements, ni provisions, et la bonne avec lui. Celle-ci aurait tout avoué et été libérée aussitôt.

13 juillet — Pour la première fois je reçois des nouvelles de Julien, qui écrit qu'il est incorporé dans un bataillon de «strafgefangenenarbeiter» ou travailleurs en punition. Il se dit en bonne santé mais prévient qu'il ne peut recevoir de colis. J'ai envoyé 10 marks et fais aussitôt des démarches pour l'avoir avec moi, mais ils me laissent entendre qu'il y a peu d'espoir.

 

15 novembre — Jamais de réponse à mes lettres ni de nouvelles de mon frère Julien. Je m'inquiète...

 

21 novembre — A midi je reçois la nouvelle du décès — survenu le 9 septembre — du pauvre Julien. Je pleure des larmes brûlantes. Mourir en captivité, de faim et de mauvais traitements, c'est terrible. Pas un parent ou un ami autour de lui pour assister à l'agonie de ce martyr. Chaque semaine, je lui ai écrit, j'ai fait tous les efforts pour arriver jusqu'à lui ou avoir de ses nouvelles, mais en vain...

 

25 novembre — Mes cartes écrites à Julien reviennent avec la mention «gestorben» — décédé — Ils m'ont laissé écrire pendant des mois, privant ce malheureux de nouvelles et de secours...

 

12 décembre — Je suis appelé à la Kommandantur pour la réponse à mes demandes pour Julien : il est mort «d'hydropie générale, faiblesse du cœur, diarrhée et inflammation des reins », enterré au cimetière St-Charles de Sedan. Pour l'entretien de la tombe et pose d'une croix, demander à la mairie de Sedan, ce que je fais aussitôt.

Ils m'ont remis des bons de ville, un sachet noir et un porte-monnaie trouvé sur lui avec 25 F. 60 de monnaie, que j'ai mis de côté avec soin. Je fais l'impossible pour aller au Val Fleury, mais ils refusent net.

 

17 février 1918 — Après 14 mois, je reçois enfin des nouvelles précises de Julien par M. Flaba. Il a été incarcéré le 3 Décembre 1916 pour avoir hospitalisé un soi-disant évadé, qui l'a trahi aussitôt. Tout l'argent, 1500 marks, et les bons ont été confisqués. Quand la bonne a été libérée, Julien était enfermé dans une cave à Sains-Richaumont, interrogé fréquemment et tellement maltraité qu'on entendait ses cris autour de la prison... A la ferme, tout était pillé, les gros meubles jetés sur la route ou menés dans des fermes voisines. Il y avait encore quelques bêtes. Elles seront prises par la colonne. Impossible d'y aller.

NOTE : Nous avons su, dans la suite, par M. Lefèvre, Pont de Pierre à Vervins, que Julien a été assommé au cours d'une tentative d'évasion. Le fil barbelé étant électrisé, il n'a pu le traverser. Il était au « bataillon de la mort », aux crachoirs des hauts-fourneaux, avec ce monsieur qui ajoutait que les boches l'ont fait travailler jusqu'à la fin. Alors que ses pieds gonflés ne pouvaient plus entrer dans ses chaussures, ils lui ont fait mettre des pantoufles et il marchait quand même

 

La guerre m'aura aussi enlevé mon frère et filleul Joseph, soldat de l'armée belge, plusieurs fois décoré, mais gazé et mourant des suites, après l'armistice, à l'hôpital militaire de Bruges le 3 Décembre 1918.

RETOUR SUR LA BATAILLE DE GUISE – 1914

 

3 juin 1916 — ...Après-midi, une vingtaine d'officiers et sous-officiers du 74e régiment d'infanterie allemande qui se sont battus ici (nos voleurs de matelas, etc...) viennent voir le champ de bataille et prendre des photos. Ils confirment que la bataille a été meurtrière et que 48 Allemands sont tombés dans la ferme. L'un d'eux porte une profonde cicatrice à la cuisse. Les blessés étaient soignés dans la cave de la petite cour ; les obus pleuvaient et mettaient le feu. Dès le samedi tout brûlait et la maison prit feu le dimanche.

Ils montraient leurs positions de bataille, où ils avaient pris de l'eau et du linge pour les blessés (et les autres). Le samedi 29 août les Français ont repris Audigny et Louvry, mais ont dû se replier le dimanche 30 et le lundi 31 août.

Ils sont étonnés de voir encore des bâtiments debout. Jamais, disent-ils ils n'ont vu un incendie aussi violent : il faisait très chaud, et les bâtiments et hourdis bourrés de vivres (foin) en un clin d'œil étaient en feu sur toute leur longueur. Les flammes montaient à une hauteur vertigineuse. Les 3 grosses meules de blé de semence et une meule de lin flambaient en même temps. Si j'était resté, sans aucun doute, j'aurais été fusillé comme espion !

 

10 septembre — Après-midi, le colonel et l'état-major du 164e R.I. viennent voir les fermes et le champ de bataille. Ils expliquent comment ils ont pris et défendu Louvry, ce qui a brûlé en premier, et le colonel prétend que la maison a été incendiée par représailles parce qu'ils y ont trouvé 20 soldats français après la bataille.

VISITES «PRINCIERES»

 

19 février 1917 — Grand branle-bas chez les boches: le Kronprinz Rupprecht de Bavière vient inspecter l'école de tir de l'armée bavaroise. Tous sont au garde-à-vous. La cour a été nettoyée. Le monsieur réclame «ein centener Kartoffeln» (50 kg de p. de terre) que sa suite enlève et oublie de payer. Le casque de son Altesse porte une pointe de grande longueur et sa morgue est trop visible. Sinistre oiseau !

 

9 octobre — A Guise, le prince Oscar, fils de Guillaume II, logé dans la maison du notaire Lefèvre a fait un appel aux troupes landsturm (territoriaux) passées en revue devant le Familistère, pour des engagements volontaires au front. Seul un vieux boche s'est avancé. Le prince, furieux, les a insultés et traités de lâches ! L'enthousiasme diminue, le ravitaillement aussi. Voilà qu'ils font de la marmelade avec les carottes de Louvry et de la saccharine !

LE CIMETIÈRE DE «LA DÉSOLATION»

 

8 février 1916 — On apprend que se prépare un immense cimetière à la «Désolation». On déterre et déterrera tous les corps de soldats. 4000 cercueils sont préparés aussi.

 

14 décembre — Les boches font l'inauguration du Cimetière à la «Désolation». Y ont parlé : le pasteur protestant, l'aumônier catholique et M. le Doyen Vincent, de Guise, qui a fait un discours impressionnant, le gouverneur commandant et le maire de Guise. Tous les maires étaient invités et pas un mot blessant n'a été prononcé. Il y avait deux généraux et l'un d'eux a fait enlever une couronne aux couleurs allemandes pendant la cérémonie, visiblement pour ne pas vexer la population. Grande affluence des environs. Pour l'occasion il ne fallait pas de passeport.

RENSEIGNEMENT ET EMOTIONS

 

Le journal fait discrètement allusion à la collecte par quelques civils, aidés parfois d'Allemands imprudents ou "contestataires "de renseignements militaires, unités, installations, mouvements de troupes... La radio n'existant pas comme en la 2e guerre, ce sont les pigeons voyageurs déposés à l'arrière par des avions ou des messagers audacieux qui les acheminaient à travers les lignes. Cela n'allait pas sans danger ni émotions.

 

15 octobre 1917 — Nous recevons deux paniers de pigeons voyageurs, deux jours de suite, avec les journaux "le Matin" et "le Miroir" attachés dessus. Il nous faut agir avec prudence car le berger, froussard, met le nez partout. Seulement il a trouvé un panier aussi et notre H... bête comme il est, a lâché les deux pigeons, ayant marqué sur les télégrammes "tombés à Audigny". Je suis allé le trouver et l'ai adjuré de se taire, sans cela il serait fusillé comme nous. En attendant, Victor s'occupe des pigeons logés avec les poules.

 

16 octobre — Ayant rédigé mes télégrammes avec soin et mis les tubes aluminium à leurs pattes, nous ne pouvons les lâcher au matin par suite du brouillard épais. Et voilà que les boches font perquisition et je suis gardé à vue par un sergent du génie. Vers midi, Victor et Emile Bray, ayant chacun un pigeon dans une poche de culotte, sont arrêtés à la porte du jardin par les soldats à leurs trousses. Hilaire explique qu'ils vont mettre des collets pour améliorer leur ordinaire, mais nos deux gars, effrayés, n'ont pas osé aller plus loin et ont lâché les deux pigeons derrière les bâtiments du verger. L'un est parti tout droit vers l'Ouest, l'autre vient se poser sur le poulailler où il avait été enfermé. Grand émoi pour les boches... et pour moi donc ! J'ai invoqué la Sainte-Vierge quand j'ai vu le caporal de culture prendre son mousqueton pour le tuer. Heureusement, le sergent qui me gardait a crié de ne pas tirer. D'après les ordres, il fallait prendre le pigeon vivant !

Aussitôt des soldats grimpent sur le toit bas et cherchent à s'en emparer, tandis que l'oiseau reculait un peu à la fois. Finalement il s'envola sur la cantine et, comme on plaçait des grandes échelles, effrayé, il partit sur la grange. Nos gars frappaient sur du fer, faisaient claquer les couvercles des tonneaux à eau... Les boches les empêchaient et plaçaient déjà les échelles sur le toit de la grange, quand le pigeon, majestueux, après un cercle en l'air, prit la direction de nos lignes.

Dieu merci ! nous étions sauvés, mais les boches nous surveillaient de plus en plus...

 

19 octobre — Pendant que je préparais mon déjeuner, deux "civils" sautent de leurs vélos, m'empoignent et, m'accusant d'espionnage, me donnent l'ordre de me présenter au Conseil de Guerre à deux heures à Guise. Pendant ce temps, avec des soldats, ils ont cherché partout au grand pigeonnier, ils frappaient du marteau sur les traites et les murs... Qu'allait-il m'advenir ?

La veille, le nouveau commandant, major Winter, était venu à la ferme et avait réclamé du tabac que nous avions récolté et qui séchait au mur de jardin. Je lui en avais préparé un paquet car, eux, fumaient des "ersatz"…

Heureuse coïncidence : je cours à la mairie-Kommandantur porter le tabac et demande "Herr Major". Il était couché, coiffé d'un long bonnet de nuit et m'a fait entrer par son ordonnance. Alors, payant d'audace, je lui dis que deux policiers m'avaient maltraité parce que j'avais refusé d'aller à Guise sans ordre du Commandant local. C'était inexact, mais je jouais ma peau !

Aussitôt, il s'est levé, a bondi au téléphone et réclamé à Guise l'envoi immédiat des deux policiers devant lui. Une demi-heure après, ils étaient là. Pas trop rassuré, j'ai fait semblant d'avoir peur d'eux et me suis placé derrière le fauteuil du major. Celui-ci leur a vivement reproché d'être venus à Louvry sans s'être d'abord présentés à lui et, s'emportant et se frappant la poitrine: "Moi, ancien officier de 70, avec mes décorations et mérites, vous n'avez pas voulu me connaître !..." Au garde-à-vous ils courbaient la tête et ne disaient rien. Le major leur reprochant de m'avoir dit que cela ne le regardait pas, ils se dressèrent en criant ensemble : "Dass is nicht wachr" — "Ce n'est pas vrai" — En effet, mais le commandant était lancé. "Sic sind affe" — "Vous êtes des singes !", vous voyez des espions partout pour justifier votre présence en arrière des lignes, votre place est au front. Je connais ce cultivateur et il est sous ma protection." Ils étaient blêmes et me jetaient des regards furieux. Ils sont partis en vélo, et l'officier Nôtzel, du jardinage, m'assura que le lendemain ils étaient partis au front avec armes et bagages. Je n'en ai plus entendu parler.

 

26 octobre — Les boches font une enquête, suite au bavardage de quelques femmes lavant pour la colonne. L. Mennecart, voyant la porte entr'ouverte de l’auto-postale boche à la côte du Mont-Marlot s'est jeté dedans, espérant y trouver à manger. Il a passé à travers champs pour m'apporter tout un sac de journaux, lettres et colis. Heureusement, le caporal et ses hommes étaient à l'appel. J'ai trié et gardé quelques lettres et journaux, en conseillant à Mennecart de faire l'innocent et de les porter à la Kommandantur comme les ayant trouvés sur la route. Ce qu'il a fait. Le plus beau, c'est qu'il a reçu 20 marks et qu'ils ont publié que tous ceux qui apporteraient des affaires auraient une récompense.

D'autre part, on avait jasé sur l'affaire des pigeons. Les gradés de la colonne, qui se graissent depuis près d'un an au pays, ont eu peur d'être blâmés ou punis pour surveillance insuffisante et ont étouffé l'affaire entre eux.

VIVRE AVEC L'OCCUPANT... ET MALGRÉ LUI

 

28 mai 1915 — Pour surveiller la tonte des moutons je vois arriver un gradé du feld-lazaret... et reconnais le caporal-clairon que j'avais jeté en bas de l'escalier du grenier en janvier dernier... Ce gaillard qui contrôlait les battages voulait m'empêcher de prendre de l'avoine pour les chevaux et me menaçait de sa cravache ! Le lendemain il s'amène en armes et me promet "des vacances en Allemagne".

Je vais trouver le lieutenant de culture et obtiens de garder l'avoine de semence nécessaire. Rentré, je montre mon bon au clairon qui suffoquait de rage.

L'après-midi je le joins dans les chambrettes du grenier en compagnie de 3 ou 4 femmes évacuées du Soissonnais qu'il "récompensait" avec du blé. Ces dames sont descendues en vitesse, et mon clairon se jette sur moi. Je ne lui ai donné qu'une gifle, mais elle devait être bonne ! Il est tombé dans l'escalier, un cran dans le nez, saignant comme un porc ! J'ai appelé mes Belges qui portaient les sacs et qui affirmaient qu'étant saoul, il était tombé de lui-même. Le clairon, tout ensanglanté, est allé faire son rapport au château de Puisieux, siège de la colonne. Le lieutenant étant absent, il devait s'y représenter le soir. Mon boche n'a trouvé rien de mieux que de s'enivrer et rouler sous la table, en triste état. Comme il n'était plus en mesure de marcher, deux soldats l'ont jeté dans un chariot et mené au trot jusqu'au bureau. Comme il ne pouvait se tenir debout, ils ont essayé de le traîner, et le lendemain le clairon partait au front !

Donc, je n'étais pas trop rassuré de le voir revenir mais mon caporal, souriant, me dit: "Monsieur, on s'arrangera très bien, j'y ai goûté, pas bon au front ! " Nous avons pu tuer des moutons pour le personnel, cacher des toisons pour nous et des amis... Ça c'est très bien passé.

 

30 septembre 1916 — Le gouverneur-comte Berg und Trips - part demain et vient faire ses adieux. Je n'ai jamais été intime avec lui mais, depuis qu'il m'avait tant maltraité pour une affaire de paille, il était plus courtois. Alsacien et catholique, il a soutenu la population dans les circonstances où c'était possible. Je me suis adressé deux fois à lui directement : pour M. Quérette, maire, sur le point d'être déporté et pour le non-paiement de livraisons, qu'il a fait régler malgré la violente opposition des bureaux. Le nouveau gouverneur, Major Schmidt, annonce, d'entrée, des mesures impitoyables !

 

3 octobre — Ordre d'arracher les pommes de terre. «Tout» doit être livré. Le Docteur Devillers a organisé un hôpital près du Pont de Fer. Il lui faut 10.000 kg de pommes de terre. Je fais charger 3 chariots, 11.000 kg et m'en vais avec eux, carrément, les conduire.

Au Mont Marlot, les sentinelles demandent : «Magazine ?» Je réponds «la, la !» Et nous passons. Les gendarmes boches nous saluent en passant. Personne ne nous a rien demandé ! Et le Père Lécuyer qui est en prison pour 3-4 kg dans sa musette !

 

14 mai 1917 — Le major Von Hollen, commandant local, fait enlever notre garde-marger pour en faire un clapier. Et il lui faut de la rhubarbe, l'oseille du jardin etc... etc...

La compagnie reçoit un lieutenant-commandant de 18 ans à peine. C'est le fils d'un pasteur protestant haut gradé. Il a une voix d'enfant et n'est pas plus haut que ma botte ! Avec cela, il a un cheval très grand et n'en est que plus ridicule. Le feldwebel (adjudant-chef) qui commandait par intérim, allemand fanatique mais intelligent, se sent humilié. Comme il vient causer devant la porte, le soir, j'arrive à le faire enrager. Je lui dis que, lui, s'il avait été dans l'armée française, il serait chef de bataillon, et je citais les noms de plusieurs officiers de la région sortant des classes moyennes et ouvrières. Tout en allant il a réfléchi et, pour comble, au cours de manœuvres avec minerwerfer (lance-mines) et grenades à main, commandées par lui, un soldat a laissé tomber une grenade amorcée, en tuant un et blessant trois autres : Colère et insultes du petit lieutenant ! L'autre, au garde-à-vous, n'a pas bronché, mais, la rage au cœur, il est venu me dire qu'il ne partirait pas au front demain.

 

15 mai — Manœuvres de grenades à main, de bonne heure, dans la cour, le Feldwebel, plein de zèle... tombe et se casse le bras. On l'enlève au lazaret et il vient me dire au-revoir en ces termes : «J'avais bien dit que je ne partirais pas ! »

Un bataillon complet était réuni dans la cour : distribution de croix de fer, quelques nominations et départ le soir pour Theneiles... et le front de la Somme.

 

18 mai — Le major Von Hollen, installé chez M. Quérette, n'avait laissé que deux pièces à celui-ci et sa belle-mère souffrante. Maintenant il doit quitter sa maison et veut emmener quelques meubles pour s'installer chez M. Lesage. Alors qu'il sortait un guéridon, le major a sauté sur lui, prétendant qu'il devait le laisser. M. Quérette, indigné, a levé le guéridon et l'a cassé devant le boche qui, furieux, l'a fait mettre en prison pour la cinquième fois ! (Envoyé le 20 en Belgique, il a été mis à Gulleghem, dans un camp de représailles).

 

15 juin — Sous prétexte de chercher des journaux, que me remettait l'officier Nôtzel, Polonais très tolérant avec les civils, la gouvernante de M. Quiard me ramenait tous les deux jours, un petit bidon boche d'un demi-litre de lait que je cachais dans ma poche. Ayant été dénoncé, le lieutenant de la colonne, embusqué, m'est sauté dessus alors que je recevais le lait entre deux journaux. Il l'a saisi, me traitant de voleur pris en flagrant délit, criant comme un putois en me menaçant de conseil de guerre et d'enlèvement. La moutarde m'est montée au nez, et malgré le danger, j'ai répliqué que nous étions volés et non voleurs, que je demandais moi-même à comparaître pour révéler le trafic de la colonne, qui faisait du pain blanc au lait, tuait chaque semaine un de nos porcs pris sans bon, faisait des libéralités à certaines personnes trop serviables... Le Wachtmeister Wolff, embusqué lui aussi, est sorti à ce moment et, au lieu de me voir confondu a senti le danger. Il a dit au lieutenant : «Attention ! Je connais l'oiseau, il est bien dans le cas de le faire ! ».

Faisant machine arrière, le lieutenant voulait me faire reprendre le bidon, avec promesse d'en avoir tous les jours. Je refusais, alléguant qu'un jour ou l'autre il partirait, que je serais alors surpris par un autre gradé... Se méfiant de moi, il décida de m'en faire apporter un demi-litre chaque jour, par le caporal de la ferme venant aux ordres. Cette fois j'ai accepté et ils ne m'ont plus inquiété.

 

22 juin — J'avais pu cacher pour les civils environ 400 kg de blé et orge. Ces messieurs sont tombés dessus et les font enlever. Pour moi, c'est le passage devant un tribunal, composé du major Von Hollen, d'un lieutenant et un sous-lieutenant. Un sergent, avocat à Cologne est désigné comme défenseur, un autre sous-officier doit soutenir l'accusation. Tous deux n'ont dit que des bêtises, mais l'accusateur avait cité ma fiche personnelle : «Suspect et fanatique». Rien que ça.

Le Wachtmeister Wolff, craignant que je dise que ce grain était caché par la colonne est venu dire que j'avais fait la déclaration en temps utile, qu'un secrétaire partant en permission l'avait oubliée... Il mentait, mais comme il y avait doute, ils m'ont laissé partir.

 

31 juillet — Quatre jeunes gens ont «volé» des fruits dans un jardin.

Ils ont cinq jours de prison et la commune doit payer 200 F or pour demain midi. On vole beaucoup et pour cause. Un de nos Belges, Arthur D. est un des plus audacieux pour «récupérer» grain, pommes de terre, fruits, volailles, lapins, qu'il revend aux civils au prix fort. Je l'ai pris sur le fait hier, mais il ne s'en retourne guère, il sait que je ne le dénoncerai pas.

 

1er Aout 1917 — La dernière levée de contributions était de 29000 F or et voilà que nous sommes à nouveau imposés pour 37032 F... Ayant décidé de ne pas payer, le nouveau maire, M. Rénaux est enfermé, et moi aussi comme otages. Grande émotion au village. Personne ne veut que nous soyons enlevés. Chacun apporte ce qu'il peut, jusqu'aux prisonniers civils qui apportent chacun cent sous-papier. Émus, nous regardons tous ces braves gens, à la fenêtre de la mairie et ils nous font signe qu'il faut payer. M. Rénaux, qui avait pourtant une partie des fonds demandés en argent, obtient d'aller, escorté d'un gradé, chercher le manquant chez son beau-frère à Englancourt. Il rapporte plusieurs centaines de francs en monnaie de bronze, pièces de un et deux sous, dans un sac ! Ils en faisaient une tête, les boches ! J'ai avancé le reste en bons de ville et quand nous sommes sortis de la mairie, tous nous exprimaient leur sympathie.

 

12 août — Mme Monaque, qui avait ramassé quelques prunes dans son propre clos, est condamnée à vingt marks d'amende. La petite fille de Georgina, 3 ans, a été vue avec une poire dans chaque main : 3 marks... !

 

13 août — Toute la commune est privée de passeports pour un mois, parce que le commis du maréchal dont les parents restent à Landifay, y est allé sans passeport. Il venait de finir cinq jours de prison, pour avoir ramassé des prunes. Cette fois il est enfermé pour dix jours !

 

19 août — Les soldats volent tout : quelques volailles pourtant bien enfermées, les pommes de terre, légumes, fruits, tout leur plaît. Chez M. Lesage ils ont forcé les placards et armoires, volé le reste de linge et les vêtements de sa famille. Dans chaque maison, même la plus petite, il y a de la troupe. D'ailleurs l'intendance rafle ce qui a échappé aux pillards...

 

23 août — Depuis plusieurs jours Saint-Quentin brûle et les environs aussi. Les soldats qui reviennent de là-bas traînent des affaires pillées dans la ville abandonnée. Ribemont, Origny et environs sont sous le feu...

 

24 avril 1918 — ... A côté de nous loge le commandant de colonne Herr Rittmeister Hartmann, très conscient de son importance. Pillard de lere classe, il ouvre caisses et sacs de linge, les trie et envoie tous les jours chez lui trois colis : un en gare de Macquigny, un en gare de Guise, un en gare de Flavigny. Aujourd'hui, il a mis une chemise de femme, volée autour de Ham et essaie devant la glace une capote d'officier anglais, sur laquelle il a mis ses insignes de capitaine. Je rentre à l'improviste et, pas gêné, il me demande "s'il est bien". Je hausse les épaules et m'en vais. Il me rappelle et insiste. Réponse : "Si je dis ce que je pense, vous allez vous fâcher. " II assure que non et je lui lance : "Croyez-vous que, de l'autre côté, les officiers anglais s'habillent avec les défroques des officiers allemands ?" Il n'a pas insisté.

Mais ce monsieur a ce qu'il faut : Deux vaches que son "burschen" (ordonnance) trait deux fois par jour pour lui seul, deux cochons gras, dont on en tuera un demain. Ses provisions sont importantes, rangées dans la petite pièce à côté de la salle à manger : Je vois une douzaine de maroilles, une boule de Hollande, deux pains K.K., des caisses, des boîtes et un sac de 50 kg de sucre canadien, avec du cacao, chocolat et divers.

Au soir, Herr Rittmeister explique qu'il est bien considéré en haut lieu, qu'il est propriétaire de briqueteries et les a hypothéquées pour souscrire aux emprunts de guerre, qu'il jouit d'une grande influence dans son pays... J'ajoute que tout le porc, demain, sera mis en saucisses et ...qu'il ne touche pas assez de beurre.

Deux fois par jour il crie à son ordonnance : "Kuhstock ...les nouvelles de la radio !" et il nous claironne les victoires boches sur le front de Flandres et nous énerve d'autant plus que nous ne pouvons nous sauver.

 

25 avril — Notre angoisse dépasse notre rage : Les boches affichent leurs bulletins à côté de notre porte, et c'est une affluence ininterrompue pour lire leurs victoires... Rittmeister annonce triomphalement ces avances, et nous sortons pour pleurer.

 

26 avril — Nous ruminons une petite vengeance, avec la complicité des soldats de la colonne qui envient "Kuhstock" l'ordonnance, gras et arrogant.

Les deux vaches "personnelles" du capitaine sont dans la grange près des chevaux. Le rossard vole pour elle le peu de nourriture des attelages et ne lâche jamais une goutte de lait aux conducteurs. Nous montons le coup avec ceux-ci et, ce matin, avant que "Kuhstock" s'amène, les vaches étaient traites par deux soldats cultivateurs. Avec eux et les copains, nous avons bu le lait au seau ! Vient alors le bonhomme qui se place sous une vache, tire, tire, rien ne sort ! Il braille : "Die Schweine... " Ces cochons ont trait les vaches ! Protestations des soldats qui soutiennent qu'il les a brutalisées et qu'elles ont répandu le lait ! L'autre, furieux, court chercher Rittmeister pas encore levé et qui réclamait son café au lait. A moitié habillé le Monsieur accourt. Tous les soldats qui pansaient innocemment leurs chevaux se mettent au garde-à-vous. Personne ne sait rien, n'a rien vu, mais tous prétendent avoir entendu "Kuhstock" qui triquait les vaches. A distance nous suivons la scène qui se termine par une volée de coups de cravache sur le dos du "coupable" et, son service fini, par un stage à la porcherie-prison.

 

27 avril Rittmeister, qui avait prédit l'occupation de Calais pour aujourd'hui, cache son dépit en faisant l'inspection de "son" porc changé en saucisses et en y prenant de sérieux acomptes. Il fait des marques sur les pièces entamées et même "Kuhstock", revenu à de meilleurs sentiments, n'arrive pas à goûter ces « délikatesses »\ bien gardées.

 

30 avril — Deux colonnes sont parties... Rittmeister nous cherche pour dire au revoir. Nous ne nous sommes pas montrés à ce goujat. Mais quel soulagement ! Et aussi, quel tableau dans la cour !... L'aspect de la ferme est désolant. Partout où restait un bout de bois, à une porte, ou une machine, c'est brûlé ou enlevé, le restant est cassé.

 

3 mai — Nous n'arrivons plus à dormir. Tout le temps, les officiers font la nouba au "Kasino" (la salle de billard à deux balcons) en compagnie des aviateurs. A minuit, les officiers venus d'ailleurs sont arrivés et tous ont bu, sauté, dansé, crié, joué du piano... à tel point que nous croyions que le plafond allait s'effondrer. Ce jeu a duré plus de deux heures. Alors, ces messieurs qui avaient vidé, debout, une pièce de bière de Munich amenée la veille, avec le cérémonial et les "prosit" d'usage, n'en pouvant plus, sont partis ou endormis sur place.

Le lendemain matin, nous en avons trouvé dans les couloirs et jusqu'à côté de nous. J'ai ramassé un pot à bière près d'un de ces messieurs, qui ne l'a jamais retrouvé... Je l'ai encore.

 

7 mai — Nous recevons l'ordre de travailler en groupe et de nous présenter matin et midi à l'appel, sur la place d'Audigny. Hilaire doit aller avec les hommes et jeunes gens qui échardonnent (ils écoperont amendes et jours de prison pour avoir été surpris "arrêtés et assis" par le commandant d'étape). Moi, je dois couper, avec les femmes et les enfants, toutes les branchettes et pousses d'un an sur les arbres et les haies (comme fourrage). Le soir, tout doit être porté à la mairie. Seulement, la récolte n'est pas lourde, chacun 3 ou 4 branches. Nous cherchons seulement à n'être pas trouvés, les enfants montant la garde pour nous prévenir de l'arrivée, éventuelle des boches.

 

2 juin — Guise et les communes voisines doivent livrer trente jeunes femmes pour le travail... ou autre chose. D'Audigny deux sont parties volontairement; elles étaient connues pour leurs intimités avec "eux".

 

11 juin — La population est en détresse, le peu de pommes de terre laissées l'an dernier (30 kg en tout) est épuisé. Les troupes de passage ont pillé les provisions cachées et ceux qui n'ont aucune réserve meurent de faim. Ce n'est pas une façon de parler : un réfugié d'Attichy est mort de privation ces jours-ci... Beaucoup d'enfants et de vieillards souffrent de dysenterie. Misère...!

Pour le moment nous faisons des sortes de gaufres de maïs et d'orge moulus, ces grains étant la nourriture des chevaux... avec un peu de cette cassonade canadienne (prise au ravitaillement international) que les soldats donnent à leurs montures...

 

13 juin — De Guise et environs un grand nombre de femmes et jeunes filles ont été déportées. Personne ne sait où et les familles sont dans l'inquiétude.

Passage sur la route de Marle de convois d'hommes de Le Herie et environs, déportés vers Guise. Ils ne savent pas où on les conduit.

 

16 juin — Tous les habitants sans exceptions doivent livrer deux kilos d'orties séchées, sans feuilles, de 0,80 m minimum de longueur (pour le textile - sacs, paillasses...)

 

27 juin — Depuis le début de la guerre nous avions ravitaillé les Sœurs de l'orphelinat et de l'hôpital. L'officier polonais Nôtzel leur faisait même amener quelques légumes par des soldats. Mais cette fois-ci, elles sont dans la plus profonde détresse et viennent souvent avec leurs filles "en promenade" jusqu'à la ferme où nous pouvions leur remettre quelques produits de notre jardin ou du jardinage boche voisin.

Il y a plusieurs hectares de pois tout près de la ferme, objet de convoitise pour soldats et civils. Des sentinelles sont postées autour, mais nous arrivons, Hilaire et moi, par nuit, avec une échelle comme brancard, à arracher des pois et les porter à la cantine actuellement vide.

La nuit dernière, les soldats ont tiré des coups de fusil sur des hommes et femmes de Guise, qui venaient aux pois, carottes et choux, et les ont poursuivis. Pendant qu'ils couraient nous avons fait plusieurs voyages aux pois et un beau tas est prêt à la cantine.

Fureur des boches revenus bredouilles et qui n'ont pas pensé que les sœurs et les filles de l'ouvroir cueillaient les cosses presque à côté d'eux et les transportaient dans des poches préparées dans leurs sous-jupes, ainsi que dans celles des Sœurs. Et Sœur Gabrielle, en les remplissant, de s'écrier : "C'est la guerre... Allez-y !"

("C'est la guerre !" Ce slogan par lequel l'occupant justifiait même l'injustifiable, les civils, opprimés à un degré et avec une continuité insoutenables, avaient dû l'adopter pour survivre.

Nous arrêtons sur cet aspect optimiste d'une lutte pour la vie aux mille épisodes ce chapitre. "Vivre avec l'occupant et malgré lui". Nombreux, très nombreux encore sont dans nos régions ceux qui, enfants alors ou à travers les récits de leurs parents ont des souvenirs concrets, vivants, des tourments vécus et des ruses, des ingéniosités multiples déployées pour durer. Ils pourront en ajouter pour l'instruction des adultes et des jeunes d'aujourd'hui.

Et si, à des degrés divers, mais selon les mêmes méthodes, cette atmosphère de prison sur place et d'extrême pénurie a régné durant 4 ans sur la zone occupée, dans tout "l'arrière-front", de Meuse, Champagne, Aisne ou Picardie, s'y est ajoutée la menace directe de la bataille. Zone de regroupement des unités, avant ou après les offensives, zone d'appui des premières lignes et le feu des canons ou des bombes lors des grandes batailles de la Somme et du Vermandois, la région guisarde a connu ces risques et vécu ces douleurs à plusieurs reprises.

Nous revivons seulement les points cruciaux de cette année 1918, bien mal commencée mais qui devait voir, enfin, sur le tard et à quel prix, la fin du cauchemar, mais pas encore la fin des "temps de misère").

LES OFFENSIVES DU KAISER

 

1er janvier 1918 — ...Encore une année d'écoulée, année de déception, de misères et de mort. L'avenir s'annonce lugubre.

Tous ces mouvements et préparatifs autour de nous annoncent une offensive formidable. Surtout l'aviation et l'artillerie accumulée nous effraient.

Débarrassés du front russe (par la révolution bolchéviste et le traité honteux de Brest-Litovsk), l'ennemi cherchera une solution par le fer et le feu, et ses troupes sont entraînées sans repos.

 

2 janvier — Visite d'avions par nuit et bombes sur la région. Un civil est tué à Flavigny. A Guise une bombe est tombée à l'ouvroir mais sans exploser.

 

5 janvier — A Origny-Sainte-Benoîte, nos avions ont fait des prouesses. Un général, Von Auer, et plusieurs officiers tués, ainsi que plus de cent soldats qui allaient chercher leur soupe. Après, les avions sont passés entre les hangars des avions allemands, prouesse sportive, et pas un boche n'a tiré tellement ils étaient terrorisés. Les officiers logés ici sont plutôt lugubres mais les aviateurs admirent l'audace de leurs opposants alliés.

Durant tout le mois de janvier le mouvement des troupes est intense. Des centaines de civils âgés ou malades se préparent au départ.

 

Le 29 Janvier, revue des troupes devant les écuries. Distribution de croix de fer, en musique. Les artilleurs partent pour Joncourt et la musique pour Beaurevoir.

 

6 février — Quel changement dans les champs ! Emplacements d'artillerie, cibles, tranchées couvertes de branches, trous d'obus... Les baillages coupés, piquets enlevés. Sur les bois de Couvron, des prisonniers font des tranchées, direction Nord-Ouest, Sud-Est. Pas un attelage au travail. Deux compagnies d'infanterie arrivent de Saint-Algis.

18 février et jours suivants — Arrivée de quantité de troupes, manœuvres combinées d'artillerie et d'infanterie, passage d'avions jour et nuit... Combat d'avions le 19, un français tombe en feu à Proix, un boche est descendu aussi. Le 20, au-dessus du champ d'aviation de Villers nos avions ont jeté des tracts et 8 bombes, tuant ou blessant 40 boches. Par la Flak (D.C.A.) et les mitrailleuses quatre avions alliés et un ennemi ont été détruits. Défense d'en parler.

 

1er mars — On voit que l'offensive est proche et qu'elle sera violente. Guise et les environs sont bondés de troupes et les grandes routes sont pleines. Avions en quantité. Encore une batterie d'artillerie bavaroise. Il y a 450 chevaux dans la cour et tous les bâtiments sont bourrés de soldats.

 

7 mars — Depuis une semaine, plus de passeports. De huit heures du soir à six heures du matin, personne ne peut sortir. Partout des postes de garde sur les routes... Bombes sur l'usine Godin. Beaucoup de soldats tués ou blessés...

 

10 mars — Encore une batterie d'arrivée, cela fait quatre en tout... Les boches sont radieux : "Ils vont à Paris". Ceux qui partent vers Origny chantent "Gloria ! Victoria !"

 

15 mars — Le Conseil municipal de Guise siège en permanence pour, en cas de besoin, faire évacuer la ville une heure après réception de l'ordre.

A midi, les avions ont jeté deux bombes tout près de la ferme. Il fallait voir les boches courir pour s'abriter. Même les D.C.A. abandonnaient leurs pièces pour se sauver. J'ai ramassé des éclats devant la maison.

 

16 mars — L'offensive boche est commencée. La grosse artillerie tonne sans arrêt.

 

18 mars — Arrivée de la 18e Prov. Kol. prussienne et un bataillon du 47e R.I. Plus de 1100 en tout. La ferme est une fourmilière ! Si un avion..

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22 mars et jours suivants — Hélas ! Les nôtres sont enfoncés. Guise devient à nouveau "Etapen Gebiet". Nous voyons passer des prisonniers anglais, on amène beaucoup de blessés. Il paraît que les gaz ont fait des ravages terribles.

Nous avons chaque jour la "Kôlnische Zeitung" qui, en gros caractères, annonce des victoires et avances foudroyantes. C'est certain qu'ils avancent, car nous n'avons plus de D.C.A. ni de ballons captifs aux alentours.

 

27 mars — Passage continuel de prisonniers anglais et français. A Guise ils mettent les Anglais chez Godin où vient de brûler un gros dépôt de "benzin ".,.

 

31 mars — Pâques bien tristes. Pas de messe et, coup sur coup, les mauvaises nouvelles du front et les hurlements de joie de l'ennemi, malgré leurs pertes sévères. Les hôpitaux sont bondés, et, chose surprenante, les blessés ont l'air abattu : leurs journaux racontaient que les Alliés n'avaient plus rien et, eux, ils ont vu qu'ils ne manquaient de rien, ni vin, ni chocolat, ni tabac... etc...

 

avril — ...Le canon tonne sans arrêt, hélas plus éloigné, vers Laon notamment qui aurait été endommagé... Mauvaises nouvelles aussi, d'Armentières et de la Lys, ce qui n'est pas pour remonter le moral des habitants... Il a plu sans arrêt au début du mois. Nous ne nous en soucions pas, nous n'avons plus grand chose à perdre et souffrons beaucoup moralement...

(Et les mois vont passer, dans une pénurie presque sans faille, des vexations tellement constantes qu'on ne peut presque plus réagir).

31 juillet — Un passeport pour Guise, une rareté ! La ville est triste, morne, les magasins vides, les amis et commis, morts ou partis. Partout chagrin, maladie, misère. Les maisons sont vides ou occupées par des soldats ou des évacués. Les rares passants sont ces "repliés" oudes prisonniers civils.

 

1er août 1918...Quatrième anniversaire de la guerre. Mais, cette fois, nous croyons que c'est la fin qui s'approche.

Passage ininterrompu de troupes, même sur les petits chemins, la plupart de l'artillerie. Leur attitude sent la défaite...

 

août — Le 7 : Le canon approche et des troupes descendent en permanence de la direction de Laon et de Saint-Quentin, presque toutes bavaroises ; les hommes sont en loques mais les chevaux encore en bon état.

 

Le 10 : l'aviation alliée est active, et, cette fois, a la maîtrise de l'air. Violent feu d'artillerie, direction Ouest.

 

Le 13 : Comme le tonnerre, résonnent les canons, direction de la Somme. Bombes sur Origny-Sainte-Benoîte où la scierie a brûlé, sur Guise et la ferme de Courcelles... Il faut pourtant rentrer la moisson, archi-mauvaise. En deux jours tout sera débarrassé. Jamais je n'ai vu si pauvre récolte. Ça n'empêche pas les amendes : Audigny doit payer 300 marks pour insuffisante livraison, 1 000 œufs manquants, à 30 pfennigs l'œuf alors qu'il est payé 20 pfennigs... et deux soldats arrivent avec une charrue-tracteur pour labourer ! Ils se demandent ce qu'ils viennent faire ici.

Les soldats du jardinage, partis pour Ham au printemps, reculant toujours, reviennent pas fiers du tout. Le sergent-major, déjà âgé, commente : "Nous voici revenus de notre aventure". L'officier polonais Nôtzel ne se montre pas, craignant nos sarcasmes... Et l'institutrice, Melle Boitte, doit aller avec tous les enfants de 7 à 12 ans cueillir des baies de sureau... C'est bien le moment...

 

septembre — Le 18 : La bataille fait rage, quelque part derrière Laon et surtout vers Saint-Quentin. Les avions alliés sont d'une activité débordante. Les 24 personnes inscrites pour partir en "France libre", vieillards, infirmes et enfants de Noyales, Proix et Macquigny sont évacuées. Les prisonniers français sont privés de tout.

 

Le 21 Septembre, 349 soldats "Eisenbahntruppen " et 8 officiers arrivent pour construire un chemin de fer à travers champs, en direction de Macquigny.

 

LE COMMENCEMENT DE LA FIN

 

22 septembre — Grande dispute entre les officiers autrichiens et les autres. Deux surtout, provenant de Fiume et Zara-Agram sont particulièrement violents et reprochent aux Allemands le mépris qu'ils témoignent aux Slaves d'Autriche. Un d'eux, ingénieur au port de Fiume, crie qu'il n'a jamais été en ligne ni possédé même une baïonnette, toujours mélangé aux Prussiens qui se méfient d'eux. «Regardez mes mains, criait-il, elles sont nettes, il n'y a pas de sang dessus, et vous nous traitez comme des chiens ! Mais un jour nous serons libres et ce jour est proche ! ». J'avais peur pour eux, et il est sûr qu'au début de la guerre, ils auraient été fusillés, ou battus, attachés à une roue de canon comme je l'ai vu faire.

 

23 septembre — Toute la maison, tous les quartiers sont combles. Dans la cuisine où logent des officiers, debout, il n'y a presque plus moyen de passer pour aller au jardin ou à la cave. Et tout ce monde se dispute et ne fait rien de bien.

Personne ne peut plus circuler et, à part quelques piquets et jalons, on ne travaille pas au chemin de fer projeté. Je distribue ce que je peux aux prisonniers pour que ça ne tombe pas aux mains des boches.

 

25 septembre — Arrivée de quatre gendarmes à la ferme, pour maintenir l'ordre et protéger le hangar et la grange, où on vole le blé en gerbes par chariots. Plusieurs chevaux, à Bertaignemont, étant crevés de congestion pour avoir mangé du blé, on place des postes autour, mais on vole quand même.

Les troupes du chemin de fer s'en vont sur Marly, chargées des malédictions de tous. De vrais bandits, rebuts de toutes les nations. Ils ont même emporté le matériel de cuisine des autres formations. Une colonne de munitions -140 hommes et 90 chevaux les remplacent.

 

28 septembre — Violents feux d'artillerie, surtout entre Saint-Quentin et Cambrai. Toute la maison tremble et la pression d'air est forte. Il y a des canons à longue portée dans le voisinage.

Des deux côtés les avions sont actifs, les canons crachent des tirs de barrage autour de Saint-Quentin. Même en pleine bataille de Guise en 1914, c'était moins violent. On amène un ballon captif au sud de la ferme. Il ne monte pas haut, vite repéré par les avions, que pourchasse la D.C.A. Les éclats volent partout autour de nous.

 

1er octobre — La Bulgarie demande un armistice, imposé par la pression des armées de Franchet d'Esperëy. L'édifice craque et chancelle.

Jour et nuit tonnent nos canons et passent nos avions. Des tracts sont répandus, annonçant aux soldats allemands qu'ils se battent pour des chimères et qu'ils sont f...outus ! Ceux qui seront surpris avec ces tracts seront fusillés aussitôt, est-il annoncé.

 

4 octobre — Depuis plusieurs jours nous voyons Saint-Quentin en feu. Les boches chuchotent entre eux qu'ils ont abandonné Saint-Quentin et qu'aujourd'hui Origny sera complètement évacuée.

La Bulgarie s'est rendue, la Turquie suivra, la victoire s'annonce enfin.

Je reçois un passeport pour Guise, où les rues sont sillonnées de chariots de réfugiés se dirigeant vers l'Est. Ribemont, Courjumelles, Bernot, Montigny et communes voisines sont évacuées à fond jusqu'à la rivière d'Oise. Le mouvement en ville et sur tous les chemins est intense. Chacun est prêt au départ et ramasse ce qu'il possède encore de "précieux".

 

5 octobre et jours suivants — La ville de Guise est prévenue d'être prête à partir au premier ordre. Les nôtres tiennent la ligne de l'Oise et Guise peut être bombardée de deux côtés, étant sur le front immédiat.

Depuis plusieurs jours, tous les travaux des champs sont suspendus, tous les outils et instruments, brabants, herses et autres rassemblés pour être enlevés en camion... Trois batteuses sont arrivées pour battre tout ce qui est récolté... Appel de tous ceux qui sont en état de travailler pour faire des équipes ininterrompues. Tout le bétail d'Audigny est enlevé à La Capelle.

Monceau-le-Neuf et Le Hérie sont évacués. La misère, écrite sur tous les visages, n'empêche pas ces malheureux évacués de nous crier tous leurs espoirs.

Le soir du 8, des centaines d'hommes, entre 15 et 60 ans, venant de Macquigny, passent, se rendant à Puisieux. Ils sont de la région de Sains-du-Nord et sont en triste état. Beaucoup sont malades, l'un d'eux a 40° de fièvre et doit marcher quand même. Je leur passe des œufs et pommes de terre.

Étant chargé de peser le grain à une des trois batteuses installées entre Audigny et Clanlieu, j'ai réussi à glisser dans les graisseurs des clous à tête plate. Les coussinets ont chauffé et on n'a guère battu. L'ortskom-mandant, furieux, rage et tempête, mais la meule n'a pas été terminée et il a fallu la laisser en panne car on est bombardé.

 

9 octobre — Bohain est en feu, occupé par les nôtres. Nous voyons des combats continuels dans l'air et des tracts tournoient dans tous les sens. Changement de troupes ici, où tout est représenté maintenant, avec un général et 38 officiers. Le central du téléphone est dans la cave. On a amené de gros tas de munitions de chaque côté de la route. Des blessés passent, venant d'Origny et Landifay, mais aussi des prisonniers. Bertaignemont est continuellement sous le feu.

 

10-11-12 octobre — Origny en feu est bombardé par nuit, Guise aussi. Il y aurait des civils tués. De longues files d'évacués passent, de Guise, Flavigny et environs. Origny serait en partie aux mains des nôtres qui sont à Frémont. Le canon ne diminue pas, ni les passages de troupes. Il est probable que le passage de l'Oise retardera un peu l'avance des Alliés.

 

14 octobre — Louvry est une fourmilière et, par nuit, le mouvement est intense comme en plein jour. Vers minuit, alerte. A travers le bruit des canons j'entends des ordres. En un clin d'œil tout était empaqueté et les troupes prêtes au départ. Est-ce la délivrance ? De la cave où je suis réfugié avec le berger et les siens, de l'eau, de la paille et quelques outils en cas d'éboulement, je suis anxieusement l'évolution de la situation.

Hélas, vers le matin c'était plus calme et tous étaient à leurs quartiers. Il paraît que les nôtres avaient fait une avance sérieuse, partie d'Origny, mais auraient été repoussés par une contre-attaque. Mon Lorrain, pourtant, me dit que la fin est proche.

 

16 octobre — Le Lorrain m'apprend que Laon est délivré, que le front serait Sissonne-Liesse. Des boches, logés à la ferme, auraient été faits prisonniers à Origny. On amène continuellement des blessés et, à l'instant, 3 morts.

 

17 octobre — Toujours le feu serré de l'artillerie. Les ballons captifs sont partis, pour de bon j'espère. Ce n'était pas un voisinage rassurant : Toujours nos avions étaient dessus et la D.C.A. crachant autour. Bertaignemont est toujours sous le feu, ainsi que le bois. Sept tirailleurs algériens prisonniers passent devant la ferme. J'attends fiévreusement les nôtres, mais cela tarde bien, à mon idée. Et toujours autos et chariots amènent des munitions dans la cour et des deux côtés de la route.

 

18 octobre — Tout d'un coup, c'est plus calme. On ne trouve plus de journaux, les soldats n'en reçoivent plus et c'est difficile et dangereux d'aller à Audigny. Partout il y a des postes et des gendarmes. Ceux-ci ramènent des déserteurs qui cherchaient à se sauver.

Après-midi, le ciel s'est éclairci, les avions sont actifs. Les ballons captifs alliés sont presque devant nous, l'un à côté de l'autre. On commence à tirer aux alentours de la ferme, occupés par des troupes venues de Courjumelles et Bertaignemont où ils ont perdu bien du monde. Quelques hommes seulement y sont restés dans les caves. La route de Saint-Quentin à Guise est sous un feu permanent.

Ici, on plante des piquets dans les champs et commence des tranchées autour de la ferme et longeant le chemin de terroir. Cela devient intenable. "7/5" brûlent le buffet de cuisine et même mes sabots, enlèvent mes dernières volailles cachées. Deux soldats ont tué un de mes derniers lapins et le dépouillent devant moi. Comme je veux le reprendre, ils me tapent dessus avec le lapin dont les intestins m'éclatent dans la figure et dans le cou. Rien a faire, il faut plier !

 

19 octobre — Nuit épouvantable, on tire sur la ferme et Audigny. Tout le temps ils accumulent des munitions par ici. S'il tombe un pétard là-dedans, il n'y a plus de Louvry ! Le long de la ferme, au jardin, dans les champs ils construisent de profondes tranchées en zig-zag... Le Lorrain me raconte que, sur les autres cuisines roulantes de la ferme, trois ont été démolies, les cuistots tués. Il n'y a plus de volontaires pour les cuisines, malgré le ravitaillement insuffisant. Il ajoute qu'une compagnie est rentrée, commandée par un sous-lieutenant, les autres officiers tués ou blessés par des balles allemandes.

Devant la porte principale, un colonel ayant observé à un soldat qu'il ne pouvait pas placer là son chariot, celui-ci a sauté sur le colonel, le menaçant de la lourde volée qu'il tenait en mains. L'officier est rentré, me disant : "C'est un malheureux !" Le type n'a pas été puni. En 1914, il aurait été fusillé.

 

20 octobre — On ne dort plus. C'est effrayant. On tire sur la ferme où quatre soldats sont tués. Un soldat retient ses intestins qui sortent par une large blessure, un autre a une jambe arrachée. Je n'ai pas de sympathie pour ces gens qui tuent les nôtres, mais je suis saisi d'horreur.

D'autres blessés se pressent dans la cave et la petite cour pour être soignés, tandis que dans le verger, campement d'une colonne, des chevaux sont tués ou blessés. Une colonne de munitions est bombardée par les avions entre la ferme et la bascule. Les conducteurs se sauvent et se jettent par terre plus loin dans les champs.

Du haut de la terrasse du jardin, je contemple ces attaques. Je suis seul. Tous se sont mis à l'abri. A l'accalmie, le lieutenant commandant la ferme, me demande ce que je fais là et me fait rentrer, surveillé en permanence par un soldat. Le berger et sa famille, épouvantés, prennent la fuite vers Audigny avec une carriole à bras.

Plusieurs chariots rentrent dans la cour et les soldats coupent des branches aux deux cyprès du jardin pour les couvrir... On y voit des soldats morts, entassés les uns sur les autres et rangés sur du seigle non battu. C'est lugubre au plus haut point.'

A Audigny, le berger est allé voir l'ortskommandantur. Le major Hochdanz téléphone vers quatre heures au commandant de la ferme de m'évacuer de suite. Je m'y attendais et le Lorrain avait transporté la veille ma malle et des caisses chez M. Rénaux maire. C'est encore le Lorrain et un autre qui m'encadrent, baïonnette au canon, la chienne de Mme Dieu sur les talons, pour me reconduire.

On sciait les ormes et les peupliers, fendus aussitôt en piquets pour les fils barbelés, devant les tranchées où travaillaient des centaines de soldats. Dans les fossés de la route de Marle, côté ouest, des tranchées avec des mitrailleuses. La route est sous le feu. Les deux soldats courent quelques mètres et se jettent à terre. Je fais comme eux. Au croisement de la route de Marle, les marmites tombent plus dru. Nous courons tant que nous pouvons jusqu'au petit chemin, moins bombardé.

Au Mont de Louvry, je jette un regard éploré derrière moi, un adieu à la ferme, berceau de mes enfants, d'où s'élève une haute colonne de fumée blanche. J'ai défendu Louvry jusqu'au bout. Maintenant c'est fini. Au soir Le Hérie brûle.

 

21 octobre — Nuit mouvementée. Feu de barrage ininterrompu pour tous les calibres. A neuf heures du matin, tous les hommes de 17 à 50 ans doivent être devant la Kommandantur. J'étais en piteux état, n'ayant pas dormi depuis longtemps ; ils me laissent. Je conseille à plusieurs de se cacher. Certains le font, d'autres, résignés se laissent faire, chargent quelques hardes sur une brouette, poussette ou autre véhicule. Le triste cortège s'ébranle : 34 prisonniers de guerre, gens du pays, prisonniers civils ou réfugiés, escortés de soldats en armes. Toutes les autres personnes sont dans les caves.

 

22 et 23 octobre — Le téléphone est au-dessus de notre cave et j'entends les communications. Nous sommes en lere ligne.

Des avions alliés nous survolent. Nous faisons des signes avec nos mouchoirs mais ils jettent quand même leurs bombes. Guise, la gare de Flavigny, la ligne de chemin de fer, sont sous le feu des pièces lourdes.

14 octobre — Feu d'artillerie toujours plus intense. La bataille est en cours, de la Serre à l'Oise. Je dois traduire un manifeste à la population (ce qu'il en reste !) pour l'exhorter au calme "même en cas de l'arrivée des troupes françaises". Radieux, je préviens les habitants réfugiés dans les caves.

 

25 octobre "La Désolation" est évacuée. Louvry, Audigny, Flavigny et la voie sont sous un feu continu. Sans cesse les obus explosent autour de nous. Une batterie allemande, en bas des pâtures, à 300 m, crache avec fureur sans arrêt.

LES JOURS LES PLUS LONGS

 

26 octobre — Journée mémorable ! Par nuit, la maison de Louvry a reçu deux gros obus qui l'ont coupée en deux. D'épais nuages de fumée s'en élèvent. Une colonne, passant par le mont de Louvry est repérée et reçoit une douche sanglante, laissant des morts et beaucoup de blessés. Ceux-ci sont amenés à l'église ; on en amène encore d'autres, continuellement. 60 prisonniers français passent. La Kommandantur s'en va, ainsi que la plupart des troupes, direction Est et Nord. Ce soir il ne reste plus un soldat dans le village. Par nuit, arrivée de "troupes d'assaut" qui occupent les caves. Ils ont un aspect farouche, inquiétant.

 

27 octobre — Nuit fort agitée. Le matin, plus un coup de feu. Le calme avant l'orage. A dix heures trente le jeu recommence. La ligne paraît être Louvry-Clanlieu la route de Marle. Vers cinq heures trente du soir le feu est le plus intense, les obus éclatent l'un après l'autre. Des soldats se sauvent et un chariot attelé est prêt à partir devant la maison pour les officiers et les papiers.

La population va toucher du pain K.K. pour trois jours. Faisant fonction de greffier, nous le distribuons dans la cour, entre deux rafales.

Partout, les troupes d'assaut sont abominables, pillent les provisions, le peu de linge, tout, fouillent armoires et malles et cassent ce qu'ils ne peuvent enlever. Les femmes effrayées se mettent à plusieurs familles ensemble pour se rassurer.

 

28 octobre — Quelle nuit ! Le roulement est tellement intense qu'on a peine à distinguer les gros calibres des pièces de campagne.

L'état-major du 267e R.I. qui logeait ici est parti. Ces messieurs si distingués ont fouillé tous les meubles, éventré les matelas pour y chercher "des valeurs"(\). Ils ont placé 3 mitrailleuses dans le clocher. A midi, feu d'artillerie intense sur la ligne Clanlieu-Louvry-Guise. A une heure le "Bucquoy" est en feu.

Nous nettoyons l'église, qui paraissait un fumier, pour les futurs blessés. A cinq heures, en plein bombardement, un sergent-major vient chercher "l'homme qui parle allemand" pour avertir les habitants de la rue de Guise d'évacuer leurs maisons. Il me dit qu'il est Danois du Schleswig-Holstein et je le supplie de ne pas faire sauter les mines comme il en avait l'ordre. Il ne répond pas, mais cligne des yeux en signe d'assentiment.

 

29 octobre — Et, sans pitié, nous sommes bombardés, jour et nuit. La batterie à tir rapide, en bas du verger, tire sans arrêt au-dessus de nous. Au matin, combat de grenades à main, qui atteignent le point culminant vers midi. De trois heures à six heures et demie, Audigny reçoit une avalanche d'obus qui fouillent tous les environs. Beaucoup sont de fort calibre. Partout mitraille et nuages de poussière. Pourtant, pas de victimes civiles.

 

30 octobre — Le bombardement est violent toute la nuit, mais de cinq à huit heures du matin, c'est terrifiant, une vraie pluie de feu ! Plusieurs maisons brûlent. A huit heures les obus tombent moins mais mitrailleuses, fusils et grenades sont actifs autour de nous. Voici bien des jours que nous ne nous sommes déshabillés, nos nerfs sont mis à rude épreuve mais nous somme confiants. De midi à une heure, accalmie, le temps de déjeuner, sans doute ! A une heure, répétition pour tous les calibres. L'un shrapnelle après l'autre, dans la cour et sur les bâtiments. Pas âme qui vive dans les rues. Vers trois heures, le bombardement est terrifiant. Les soldats fuient les tranchées et veulent s'installer à côté de nous dans les caves. Nous refusons d'ouvrir et entendons les ordres des officiers au-dessus de nous. Chacun se terre. A sept heures et demie le feu diminue, des avions alliés nous survolent, sans doute pour voir l'effet des bombardements.

 

31 octobre — La nuit est moins agitée, mais à cinq heures trente le sabbat recommence. Nous allons chercher de l'eau... Beaucoup de maisons sont à plat, écroulées ou fort endommagées. Nous sortons Alexis et Aurillien de la cave de la mairie obstruée, où ils étaient blessés. Louis Leduc m'accompagne courageusement pour les visites dans les caves et la distribution d'eau et de quelques vivres.

La journée est plus calme, à part quelques douzaines d'obus ou grenades, mais à quatre heures le feu reprend violemment...

 

1er novembre — Toussaint ! La cinquième avec l'ennemi et certainement la plus dure ! Quelle nuit nous avons passée ! Des milliers d'obus sur et autour de notre infortuné pays. Heureusement, pas de civils tués. La cour de M. Rénaux est couverte de décombres et criblée de mitraille. Vers six heures du matin ça diminue d'intensité, nous pouvons sortir : dévastation partout. Les habitants se groupent et se terrent, serrés ensemble. Vers midi c'est presque tranquille, mais à deux heures et demie le diable est déchaîné ! Jusqu'à quand ?

A quatre heures et demie je suis convoqué d'urgence, avec M. Rénaux maire, au poste de commandement, dans la cave de René Berteaux. C'est pour nous entendre accuser d'être en communication avec les Alliés ! Malheureusement, pour le moment il n'en était rien. Mais le commandant local insistait, menaçant de nous faire enlever à La Capelle. Nous avons tenu bon, réclamant des accusations précises qu'il ne pouvait naturellement donner. Profitant de notre avantage, nous avons alors demandé du ravitaillement pour la population, appuyant sur le fait que les troupes consommaient le ravitaillement américain par elles pillé à Guise. Lui-même avait sur sa table, devant nous du saindoux, des salaisons, flocons de maïs et lard qui en venaient ! Il a "promis" plus que nous ne demandions et nous a laissé partir sous le bombardement. Bras dessus, bras dessous, nous jetant par terre quand ça sifflait trop, nous sommes revenus sains et saufs.

 

2 novembre — Jour des Morts ! Et à chaque instant nous sommes en pressant danger. Le bombardement continue. A un moment nous avons des gaz et déployons une couverture mouillée devant l'entrée de la cave... Vers minuit deux gros obus explosent en plein dans la cour. L'un d'eux écrase un bâtiment où le chien de Voisin était enfermé. Nous déblayons ses ruines, et le chien est intact ! Autour de la ferme, dans les toits et les murs, les trous se rejoignent, gravats et éclats partout.

Nous courons voir l'église, fort abîmée, toit et plafond crevés, plus de vitraux sauf un, statues brisées dont nous ramassons des morceaux. Après une pause, vers dix heures, le feu de barrage est à son comble. C'est terrifiant. Madame M. s'inquiète du sort de sa fille, Mme F. terrée à l'autre bout, rue de Bohain et me supplie d'y aller. Malgré le danger et les remontrances du maire, je saute dehors... Pas un soldat ni un civil à voir. Resté debout un moment le long d'un pan de mur, je peux enfin sauter dans la cave où tous étaient réunis, attendant le coup fatal : Tous, même les "durs" répondant au chapelet récité par une personne pieuse. Vraiment, le jour des morts. Pourtant, nous sommes rentrés intacts, Leduc et moi, de cette expédition.

 

3 novembre — La nuit est relativement calme. Vers minuit un "feldwebel" vient nous réveiller pour chercher le ravitaillement à Puisieux où le chauffeur du camion, bloqué par les tirs, refuse obstinément d'aller plus loin. Nous refusons d'exposer la population pour l'amener avec brouettes ou carrioles à bras. Finalement il "promet" de l'envoyer quand même. Mais...

A neuf heures, le feu reprend de plus en plus. L'église encaisse encore et plusieurs maisons sont éventrées à fond. Après-midi quantité de gros calibres. Certes, Audigny est vouée à la destruction.

Au soir aussi, le nouveau commandant local vient nous voir et nous "promet" du pain pour demain matin.

 

4 novembre — La nuit est terrifiante. Jamais nous n'avons vécu des heures semblables. Vers le matin le feu d'artillerie était au maximum et, tremblant malgré l'habitude du bombardement, nous attendons notre fin en priant. Vers huit heures, feu moins intense. Nous pouvons distinguer les coups, les mitrailleuses et les grenades à main. Le village a encore bien souffert.

Après-midi, nous risquons un coup d'œil dans la rue de Guise et sommes saisis de voir pareil tableau : Deux ou trois maisons seulement sont encore debout. Le côté de Puisieux est encore plus mal arrangé, la rue de Bohain aussi. Le côté nord a un peu moins souffert. Chez Camus le sabotier, un coup plein a percé jusqu'à la cave, tuant les huit Allemands qui s'y abritaient.

Les boches confirment que la ferme de Louvry est occupée par les nôtres depuis plusieurs jours. La ligne serait la route de Marle. Les autres tranchées nord-sud déjà profondes seraient en deuxième ligne. Les boches sont fort occupés à empaqueter et piller ce qu'ils trouvent. C'est leur dernier acte.

 

DÉLIVRANCE

 

5 novembre 1918 — Par nuit, le bruit du canon s'éloigne et cela nous semble plutôt drôle. Nous surveillons les gestes des boches qui préparent tout en silence et décampent, sans tambour ni trompette, entre neuf et onze heures du soir.

La batterie à tir rapide, au bas du verger, ne tire plus depuis que les servants voulaient à tout prix entrer dans notre cave. Trois canons sur quatre sont détruits. Ils enlèvent l'intact mais laissent leurs tués.

Avant l'aube, je cours à l'église : Plus un soldat. Les mitrailleuses du clocher, parties ! Je réveille T. un cultivateur évacué, et nous allons jusqu'à la rue de Guise. Plus de boches !

Avec M. Rénaux, nous cherchons le commandant d'hier soir. Parti aussi, avec les autres. Revenus devant l'église, quelques gamins poussent devant eux un soldat allemand trouvé endormi dans une petite cave et lui donnent des coups de pied au derrière ! Ils crient : "C'est le Sénégalais", surnom donné à un soldat des batteuses qui en avait assez et s'était caché ! N'importe. Nous mettons le drapeau sur le clocher et les trois couleurs, si longtemps absentes, flottent au vent.

Maintenant, il faut prévenir les Français. Pas facile ! Nous suivons la route de Guise et, à hauteur de la ferme Lesage, nous voyons ramper deux silhouettes: Nous crions fort : "France ! Les boches sont partis !" Aussitôt, une fusée part et, avant que nous puissions aborder ces deux braves, d'autres patrouilles, d'abord rampant puis courant, viennent vers nous. Nous les embrassons, voulons parler. Mais il faut qu'ils renseignent d'abord leurs chefs, par signaux d'abord, puis par l'envoi de l'un d'eux en mission.

En un rien de temps, ils sont assez nombreux et, arrivés devant l'église, se voient entourés par la population. On les embrasse, leur offre du café vrai (oui, oui), cacao, gaufres, tout ce qu'on a. Les civils sont ivres de joie, les hommes sont rasés, les femmes ont "fait toilette" (!) et chaque gosse est accroché à un soldat. M. Rénaux, Mme Leduc, Vaillant, conseillers et otages avec moi, les notables, les réfugiés, tous nous félicitons et congratulons nos libérateurs qui ont les larmes aux yeux. Nous étions les premiers civils rencontrés depuis Moreuil dans la Somme, et ils ignoraient qu'il en restait à Audigny. Pas étonnant qu'ils nous aient envoyé ont de marmites !

Un jeune officier s'amène, un ordre bref, les soldats français sont au garde-à-vous, présentent les armes au drapeau du clocher. La "Marseillaise" est entonnée, pas trop juste mais de tout cœur par civils et soldats. Comme par enchantement toutes les maisons pavoisent. On se demande d'où viennent tous ces drapeaux, confectionnés en cachette et gardés si longtemps au fond d'une armoire ou d'une musette.

Les premiers soldats, chasseurs alpins du 70e bataillon et fantassins du 16e Infanterie sont choyés, entraînés puis débordés par de nouveaux arrivants, accompagnés d'artillerie et d'équipages. Ils sont détournés par les chemins de l'église, en attendant qu'on enlève les mines, placées dans le fond de la cave à Ch. Venet. J'ai accompagné les artificiers, qui ont eu du mal à les avoir, elles étaient dans un trou creusé jusqu'au milieu de la route. Si elles avaient explosé les dégâts auraient été élevés...

Enfin nous sommes libres, après cinquante mois de peine et de misères en tous genres.

LIBRES... DANS LES RUINES

 

5 novembre (suite) — Je vais à Louvry. Le tableau est effrayant. Des tanks démolis devant les positions. Des chasseurs alpins sont enterrés sous les marronniers, face aux ruines. Ils ont été tués dans la cave où les boches avaient le central du téléphone. Dans la remise à voitures où étaient logés les aérostiers de la "saucisse" boche, ils avaient mis en évidence une montre sur une chaise, avec un fil attaché à une mine. Un soldat français a été tué en la ramassant. Ils ont vraiment fait tout le mal qu'ils ont pu en partant.

 

6novembre — Des prisonniers boches arrivent et sont enfermés derrière les barbelés, là où il y a quelques jours les nôtres étaient parqués. Ils arrachent les pattes d'épaules des officiers qui sont parqués avec eux, crachent dessus et les maltraitent. Cela nous répugne, mais le capitaine du 2e bureau m'appelle pour traduire les réponses des prisonniers, interrogés sur leurs unités, leurs forces, leurs directions et les noms des officiers supérieurs. Les soldats répondent carrément, les gradés hésitants, les officiers mal.

Nous obtenons du ravitaillement pour les habitants. Comme ration :500 g de pain, 300 g de viande congelée, 80 g de riz, 30 g de café, 20 g de lard, 20 g de sucre, 400 cl de vin... On est gâtés, un vrai régal !

Je continue les fonctions de greffier et les vivres sont distribués dans la cour du maire.

 

7 novembre — Les chasseurs alpins s'en vont, toujours à la poursuite des boches. Et toujours des troupes affluent, surtout de l'artillerie. M. Rénaux me présente, en termes trop flatteurs, au général Berdoulat qui me fait des compliments pour le service de renseignements et la désignation des mines. Il nous invite à sa table, ce que nous agréons avec reconnaissance.

Le général est simple, fils d'un instituteur du Centre, boursier. Sans les trois étoiles de son calot on ne le distinguerait guère de ses soldats. Son chef d'état-major, commandant de Bourbon-Busset (celui qui, quelques jours plus tard, accueillera les plénipotentiaires allemands à La Capelle), plus court, trapu, correct mais moins abordable, taciturne, évite tout contact, soldat avant tout.

Le ravitaillement arrive régulièrement et nous le distribuons au mieux. Des boches arrivent continuellement, prisonniers cette fois-ci. Ils n'ont pas l'attitude hautaine des vainqueurs de 1914. Les soldats ont souvent l'air satisfaits ; les gradés, surtout les feldwebels, ragent visiblement. Pourtant, ils sont en vie.

 

8 novembre — Des nouvelles alarmantes parviennent de civils tués dans leurs caves. A la Bertaigne, route de Marle, notre voisin, sa femme et ses enfants sont trouvés morts, assassinés paraît-il. A Le Hérie, Beaurain et ailleurs, beaucoup de morts sont signalés. A Louvry, dans la grande cave, quatorze corps de soldats ont été retrouvés. Si je n'avais pas évacué, il n'y a pas de doute, j'aurais partagé leur sort.

 

9 novembre — L'état-major du XXe corps met un chariot attelé à notre disposition pour chercher des affaires à Louvry, décidément inhabitable. Ce n'est pas sans danger. En voulant dégager un sommier, un pan de mur s'écroule et nous en sortons à grand'peine... Le mobilier est totalement détruit, les bidons, caisses et sacs de linge traînés jusqu'au Chemin des Dames en 1914, cachés et sauvés à grand'peine de l'occupant sont perdus à fond... L'après-midi, je vais avec huit hommes traînant un petit chariot boche, chercher à Guise le ravitaillement avec la liste des habitants et le poids total des rations à toucher. Pour la viande, on s'arrange à peu près, mais les soldats de l'Intendance, à l'usine Godin cherchent à nous frustrer sur le vin et les autres denrées. Je vois qu'il y a du coulage. Nous protestons et menaçons de nous plaindre directement au général Berdoulat. Alors seulement, et de mauvais gré ils s'exécutent. Tout est pesé bien juste et nous n'arrivons pas à distribuer sa ration à chacun. Heureusement, un mulet rétif est abattu pour distribuer aux civils. Cela va améliorer l'ordinaire.

 

10 novembre — Les soldats nous aident à préparer l'église, meurtrie et trouée. Du papier huilé remplace les vitraux. Des faisceaux de drapeaux français et alliés, quelques fauteuils ou chaises récupérés, dans le chœur pour les généraux et officiers supérieurs. A 9 h. 30, il y a un service d'action de grâces pour la libération d'Audigny et aussi la mémoire de tous nos morts.

Tous les hommes, maire en tête, les femmes et les enfants groupés, attendent les généraux Berdoulat et Guillaumat. Le petit Moïse Demur, dont le père est mort pour la France, lit une adresse que nous avons rédigée pour remercier nos libérateurs. Durant l'office, que solennisent un sergent-soliste et deux violonistes-soldats, l'aumônier militaire fait un sermon émouvant et rappelle que les vaincus que nous avons été ont droit à la gratitude du Pays, pour leur attitude devant l'ennemi et leur fidélité éprouvée envers la Patrie.

A la sortie, nous apprenons que le Kaiser et le Kronprinz se sont enfuis... Les derniers prisonniers civils sont rentrés de La Capelle. Mais une femme et deux enfants réfugiés sont gravement blessés par l'explosion d'une grenade et, après pansement sur place, conduits à l'hôpital de Guise.

 

ET CE FUT LE 11 NOVEMBRE 1918

 

11 novembre — Toute la nuit, beaucoup de mouvement. Le chef d'état-major, commandant de Bourbon-Busset, parti en auto hier soir, rentre dans la cour vers 8 h. du matin. Le général l'attendait devant la porte. De grandes choses se préparent, les soldats s'attroupent et le commandant de Bourbon est presque aimable. Peu après, le général vient nous voir et nous invite à lui rendre visite pour dix heures, pour entendre une communication historique. Son ton est solennel, grave, ému. Nous remercions et acceptons.

A l'heure dite, Madame Rénaux, Monsieur Rénaux et moi, ayant fait "toilette", gantés, sommes introduits chez le général entouré de son État-Major. Il nous annonce que, dans une heure, l'Armistice sera officiel ainsi que la reddition de l'Allemagne. Il nous lit les conditions imposées. Silence.

Le général demande ce que nous en pensons. Mme Rénaux répond : "Etes-vous content, mon général ?" Il répond : "Non madame, mais je suis soldat, je ne discute pas. " Personnellement, ajoute-t-il, il aurait préféré aller à Berlin car il craint un relèvement rapide de l'Allemagne. Pourtant, le Maréchal Foch a raison de ne plus vouloir laisser couler le sang français.

"Et vous ?" me dit-il. Je réponds qu'à mon humble avis, il manque un mot : "attelées" aux cinq mille pièces d'artillerie à livrer. Il n'y a plus un cheval pour labourer et semer de suite. Il sourit et nous donne congé.

Dans la cour et dans le village, civils et soldats jubilent. Nous recevons un supplément de vin, des phonographes sortent, on danse, on chante... 11 Novembre 1918, le cauchemar est fini...

 

Epilogue

 

Le journal se poursuit jusqu'à Noël 1918 et contient encore bien des notes intéressantes :

 

Ce 13 novembre, J'ai fait le tour du terroir, qui fut pendant neuf jours le dernier extrême front de la guerre. Des milliers de trous d'obus, des kilomètres de tranchées et de fils barbelés. Ici un char d'assaut détruit, des boches non enterrés, les corps devenus tout rouges, l'un d'eux mort enchaîné à une mitrailleuse démolie... La ferme en ruines, inhabitable, sans eau, ce qui est grave...

Et puis la "reprise en main" des populations par les autorités françaises :

 

17 novembre, ce matin tous les hommes de 18 à 45 ans doivent se faire inscrire pour le service militaire. Ce qui ne va pas sans protestations de gens qui ont, depuis plus de 4 ans, subi parfois plus que le supportable comme prisonniers civils, déportés ou travailleurs forcés.

 

19 novembre — Le village est plein de zouaves qui pillent autant que les boches et se disputent avec les habitants... Le colonel ne veut pas qu'on dise du mal de ses soldats. "Des lions au combat, dit-il, mais les zouaves ont toujours eu la spécialité de chaparder un peu !" Alors...

 

27 novembre — Fouillant dans les ruines à la recherche de quelques-unes des cachettes soustraites avec peine à l'ennemi, j'ai trouvé, sous le seuil de pierre bleue de la cuisine, la jardinière et les cuivres de Mme D... Pendant que Georges et Victor les rapportent à Audigny, je déterre les bons et documents de la ferme. N'en retrouvant pas une partie, je dépose mon paletot de cuir et le coffret retrouvé et m'écarte un peu pour retrouver l'autre endroit.

Quand je reviens paletot et coffret étaient disparus et je voyais deux soldats français qui partaient avec. Mais c'était des pillards et, comme je courais après eux, ils m'ont menacé de mort, ajoutant que j'avais "fait moi-même mon trou /"J'ai eu bien du mal à les amadouer et seule l'arrivée de Georges et Victor les a décidés à se sauver. Cela m'a enlevé l'envie de me réinstaller à Louvry.

''Les nouvelles des soldats du pays tombés pour la France s'allongent lugubrement... Certains sont tombés à quelques kilomètres.

Il y a aussi les mutilés, M. Louis Rénaux, aveugle à la suite d'un coup de feu à Mesnil-les-Hurlus... Les prisonniers rentrent peu à peu. Chacun répare un coin pour se loger.

 

Il y a la difficile et parfois rocambolesque aventure des premiers voyages : transports désorganisés, sauf-conduits et tracas de toutes sortes, passages en désinfection, itinéraires invraisemblables... pour de difficiles retrouvailles après quatre ans de séparation.

Et le retour de Normandie, dans un wagon à bestiaux, avec un cheval et une vache... Vision incongrue en un pays dépouillé, les habitants se la montrant du doigt : "Oh ! regardez ! Une vache !"

Ce cri de cœur, dans un pays d'élevage par excellence, dit mieux que tout, en quel abîme de dénuement était tombé l'arrière-front en "Régions libérées".

Mais, au-delà d'une destinée individuelle - comme il en fut sans doute bien d'autres- c'est au drame collectif d'une génération, d'une époque et d'un pays qui a connu le fond de la détresse et s'en est relevé, que nous avons voulu rendre hommage.

 


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