Curieuse coïncidence, pendant que mon grand-père prenait ses notes pour réaliser le journal de sa guerre, le Chanoine Clairambeau, Doyen de Montcornet faisait la même chose en racontant la vie des habitants sous l’occupation allemande.

 

Il publia, en partie, sous forme de feuilleton, à partir de 1922, dans le bulletin paroissial, sous le titre «LE NOUVEL ECHO de Montcornet et de sa région ».

 

J'ai récemment trouvé la suite de son journal qui est donc enfin complet.

 

Je n'ai évidemment gardé que ses notes relatives à l'occupation.

 

 

LE NOUVEL ÉCHO

de Montcornet & de la Région

LE REVENANT !!!

Oh ! N'ayez pas peur du Revenant ; son aspect n'est pas terrible. Ce n'est pas à minuit, au bord du gouffre de Vauxcelles qu'il se présente à vous. En plein jour, il vient à votre porte, sollicitant une toute petite place au foyer. Que de votre maison, la toiture soit encore en carton bitumé, les vitres en toile grise, que les ais disjoints des portes laissent passer plus que de raison l'air et le froid, c'est ce dont il n'a cure. Le Revenant acceptera la moindre place : il se reposera très bien sur une table boiteuse, sur un meuble défoncé, sur une chaise à trois pieds ou sur un piano édenté. Une fois rentré chez vous, il vous racontera le moins mal qu'il pourra, ce qu'il a vu dans ses voyages. Avant de Revenir, il a beaucoup voyagé, tantôt furetant dans un dépôt de liasses poudreuses, tantôt pénétrant dans des greniers ou dans des caves où gisaient, abandonnés, de nombreux dossiers, tantôt entr'ouvrant même certaines armoires où se cachaient au milieu d'un fouillis d'objets, certains petits cahiers renfermant résumés en deux lignes d'un style cabalistique les événements de la journée. Pauvres petits cahiers de guerre, pour combien de vos auteurs n'avez-vous pas été l'introducteur de la prison ou le billet de départ pour l'Allemagne !

Le Revenant a fait encore de bien plus grands voyages. Descendant les marches abruptes des sapes, il est arrivé souvent jusqu'aux plus profondes tranchées. Il se montrait alors aux poilus du pays qui le recevaient avec un indicible plaisir... — Malheur au rat qui se serait attaqué au Revenant : il aurait été et, sur-le-champ, châtié de sa témérité. — Souvent même, se dirigeant sans crainte dans les boyaux les plus étroits et les plus obscurs, il arrivait dans la cagna d'un officier où il demeurait longtemps, grâce à l'hospitalité du maître de logis et des habitués dudit logis. On l'aimait tant, sous terre, le pauvre Revenant: il apportait des nouvelles du cher pays, de ceux qui étaient restés à l'ombre des vieilles tours de leur vieille église fortifiée, de ceux qui avaient fui et vivaient libres au soleil de la douce France.

Comment savait-il toutes ces nouvelles ? C'était son secret. Mais quelle joie, quand après de longues journées passées dans la boue des tranchées, au milieu des commandements, des appels, des contre-appels des chefs de poste, des plaintes des blessés, la voix joyeuse d'un poilu criait : Camarades, voilà le Revenant, l'Echo de Montcornet, car c'était Lui, bien Lui, qui grâce à des ruses de Peau-Rouge, tantôt voyageait en France libre, tantôt parcourait les tranchées où se trouvaient des poilus du pays (1). C'est Lui qui, après s'être caché de crainte de trahir ses amis revient aujourd'hui, sûr de ne compromettre personne, reprendre en plein jour sa tournée et continuer sa ronde.

Comme il le faisait avant la guerre, comme il l'a fait plusieurs fois au front pendant la guerre, l'Echo revient avec le désir de charmer les longues soirées en vous parlant des vôtres, en vous rappelant les lamentables journées de l'invasion, en glorifiant nos compatriotes glorieusement tombés pour la Patrie, en narrant les belles fêtes de la victoire dont nos soldats furent les artisans.

L'Echo vous offrira une gerbe de souvenirs, souvenirs qui ont été recueillis jour par jour dans des feuilles heureusement échappées à toutes les perquisitions. Le seul motif de la publication de ces souvenirs est le désir d'être agréable ou utile. La main qui les a recueillis et qui vous les présente a été bien alourdie par les années de la guerre, mais je suis persuadé que vous, qui avez vécu ces terribles années, serez bien indulgents.

                                               P.C.

 

(1)  Grâce à l'habileté et au dévouement de M. Henri. Romagny, maréchal-des-logis au 312me d'artillerie, 19me batterie, active, secteur 139, l’Echo. imprimé à Paris, put, en mai 1916, paraître sur le front et en France libre.

 

 

 

 

 

 

Juillet. 1914—  Dès la fin de juillet, l'horizon politique s'assombrit de jour en jour. Le lundi 27 juillet a lieu, à cinq heures du matin, la messe de la moisson. Au sortir de la messe, on entend dans tous les groupes cette parole qui révèle l'anxiété générale :

Nous commençons la moisson, mais qui la finira ?...

Le 28 et le 29 juillet, les officiers et les soldats permissionnaires sont rappelés dans leurs garnisons respectives.

Le mercredi 29 juillet, tous les trains sont surchargés de voyageurs. La monnaie d'or et d'argent devient rare, et l'après-midi il est impossible de changer un billet de banque. On ne travaille presque plus, chacun raconte ou entend raconter les histoires les plus bizarres et les plus contradictoires. On croit voir des espions partout, beaucoup de voitures sont arrêtées, qu'.on laisse partir après avoir reconnu les propriétaires. On sent qu'un grand événement se prépare. L'inquiétude règne partout et ce n'est pas sans raison, puisque la nuit suivante, la nuit du jeudi au vendredi, les officiers de réserve sont appelés par une dépêche télégraphique à rejoindre les corps auxquels ils appartiennent.

Le samedi 1er août, au cours de l'après-midi, les gendarmes portent le livret individuel d'appel aux territoriaux. A 5 heures, on bat la Générale; à 5 h. 1/4, notre bourdon, en de majestueuses volées qui se répercutent au loin, annonce la mobilisation générale. La poignante émotion! Elle sonne, elle sonne toute la journée la pauvre cloche, c'est la Patrie qui, par sa voix, appelle ses enfants à défendre le sol sacré de la France. Elle sonnera encore plus fort, disait-on, quand ceux qu'elle appelle aujourd'hui reviendront vainqueurs !!!

Quel va et vient dans toutes les rues ! Beaucoup de femmes et d’enfants pleurent, les hommes quittent immédiatement leur travail et prennent gaiement le train de 6 heures pour se rendre immédiatement aux différents points de la ligne, le long de, laquelle ils vont être échelonnés.   

Le costume de ces garde-voies est bien simple : un pantalon de treillis et un képi. Les fusils des factionnaires sont chargés,

Le lendemain dimanche, assistance très nombreuse à la messe. L'après-midi est entièrement consacrée aux confessions, soit de ceux qui doivent partir le lendemain, soit de leurs femmes et de leurs enfants.

lundi 3 août — La messe est dite à 4 h. 1/2  du matin, au milieu d'une foule profondément émue, pour tous ceux qui vont partir. Les hommes sont en tenue de travail, chacun son petit paquet à la main. Le nombre des communions distribuées est considérable. A 5 h. 1/2, tout le monde part à la gare conduire ceux qui partent aujourd'hui. Tous ont reçu une médaille de la Sainte Vierge. Puisse cette médaille de la Mère du Ciel être un gage de protection pour eux !

A 6 heures précises, le train passe, et tous les appelés d'aujourd'hui partent avec enthousiasme.

A partir de 9 heures, une quantité de véhicules de toutes espèces, automobiles, voitures de livraison du Bon Marché de Paris, omnibus, etc., montent la rue du Calvaire, se dirigeant, dit-on, vers Mézières.

A 11 heures, on affiche la proclamation de l'état de siège à côté de l'affiche de la mobilisation générale.

L'affiche qui indique l'ordre de mobilisation générale fait savoir qu'il est interdit, sous peine d'amende, de faire sortir des marchandises de Montcornet.

Malgré tout, la guerre n'est pas encore déclarée, d'aucuns espèrent qu'on pourra encore conjurer la catastrophe. D'autres sont moins optimistes. Les fausses nouvelles circulent avec plus d'intensité que jamais.

Le mardi 4 août. — Les étrangers demeurant dans la région et non naturalisés Français .sont rassemblés sur la place de l'Hôtel de Ville. Des automobiles sont requises pour conduire tous ces gens à Laon où, dit-on, ils doivent être provisoirement logés au lycée. Les journaux sont très rares.

Enfin, vers 5 heures du soir, on affiche que l'Allemagne déclare la guerre à la France. La nouvelle, attendue depuis plusieurs jours, fait une grande impression. Mais tout le monde reste calme, plein de courage et d'espoir.

Mercredi 5 août. — La guerre a été déclarée hier et déjà la charité chrétienne et française est en pleine activité. Dans chaque maison on recueille du linge pour les blessés, les paquets sont centralisés chez M. Chédaille, place de l'Hôtel-de-Ville. C'est là que le sergent Braconnier, originaire de Notre-Dame de Liesse viendra prendre chaque semaine les dits paquets pour les conduire à Laon. D'autre part sous l'impulsion de Mme Lebel, un comité s’est formé pour organiser dans les locaux de la gare un buffet volant où des rafraichissements sont préparés pour les soldats qu’entrainent vers l’est les trains militaires. De grand cœur, je réponds à l’appel qui m’est fait et prend place à ce buffet improvisé. A midi et demi, chacun de nous verse pour l'après-midi de la journée, dix francs, avec la somme recueillie on achète divers rafraîchissements qu'on porte au pas de course aux portières des wagons. Tous les jours, on recommence ce même service. Ce n'est pas une sinécure, tous les trains se succèdent rapidement. Mais tout le monde met tant de bonne volonté et les soldats paraissent si joyeux et si reconnaissants qu'on ne sent pas la fatigue.

Ce même jour, 5 août, à l'église, on commence vers le soir la récitation du chapelet, récitation qui se continuera tant que les circonstances le permettront.

Jeudi 6 août. La messe est dite pour nos compatriotes appelés sous les drapeaux. Plus de cent personnes assistent à cette messe qui sera dite à la même intention tout le temps de la guerre à une heure de l'après-midi. M. Robert Leuillier (actuellement préfet de police à Paris), préfet de l'Aisne accompagné de M. le docteur Ganault, député et de M. Caron, maire de la ville vient faire une conférence à l'Hôtel-de-Ville. Il se montre tout à fait optimiste, engage tout le monde à rester à son domicile, surtout à travailler et à recueillir la moisson. Les femmes et les enfants, dit-il, remplaceront courageusement les hommes partis à la guerre et tout ira pour le mieux. A la vérité, ajoute-t-il, les marins dont on avait promis le concours ne pourront guère nous aider, ignorants qu'ils sont des travaux des champs (on avait annoncé officiellement que les marins viendraient dans notre région pour aider aux travaux de la maison, mais ils ne sont jamais venus). Pour les remplacer, on s'efforcera de renvoyer ces jours-ci dans leurs foyers, les deux classes, les plus anciennes de l'armée territoriale, recrutées dans notre région.

M. le Préfet vient serrer la main à M. l'abbé Gallice et à moi, nous le remercions de sa courtoisie et lui assurons que quoi qu'il arrive aucun de nous ne quittera son poste.

La mobilisation se poursuit méthodiquement, les trains partent à l'heure, les distributions de rafraîchissements à la gare continuent. Les soldats malades sont recueillis à l'école des filles où ils reçoivent une généreuse hospitalité et des soins empressés. On dit même que cette école pourrait être transformée en ambulance

Le mercredi 11 août. Je vais dire la messe des soldats à Lislet. Cette messe sera dite une fois par semaine pendant toute la durée de la guerre. — Les passages de troupes deviennent de plus en plus nombreux. Afin d'être bien renseigné sur l'établissement projeté, dit-on, d'une ambulance de guerre dans la ville, je vais à Laon me renseigner près de l'administration de la Croix-Rouge. On me répond que vu l'exiguïté des locaux visités, il n'y aura pas d'ambulance de guerre à Montcornet. A Laon, sur la promenade du Nord, sont installés les canons qui doivent tirer sur les avions allemands qui oseraient évoluer par ici. Les trains militaires se succèdent sans relâche, jour et nuit. La nuit, qu'ils semblent sinistres, ces appels déchirants des sifflets des locomotives avertissant les gares de Chaourse et de Montcornet du passage des trains.

Le 13 août, je reçois une lettre de Mgr Péchenard à qui j'avais rendu compte de l'organisation religieuse du doyenné. M. l'abbé Gallice est allé lui-même du côté de Brunehamel se rendre compte de l'état des paroisses du nord du doyenné. MM. les Curés de Dohis, Parfondeval, Cuiry-les-Iviers, les-Autels, Résigny, Archon, sont tous partis rejoindre leurs postes respectifs de l'armée. Dans la région sud du doyenné, nous sommes tous beaucoup plus âgés et aucun de nous n'a quitté sa paroisse. Il est bien entendu avec Monseigneur : 1° Qu'aucun curé ne quittera sa paroisse, quelle honte ce serait pour un prêtre d'abandonner son troupeau à l'heure du danger ; 2° qu'on s'ingéniera par tous les moyens possibles à desservir ses paroisses vacantes. Dès le premier jour, M. l'abbé Gallice, bien que de très faible santé, m'offre d'aller à Soize, village distant de 5 kilomètres de Montcornet. En guerre, on ne refuse pas les sacrifices. L'offre faite par mon cher confrère est acceptée. Jusqu'au 15 août, rien de nouveau. Ce jour-là, 15 août, la pluie tombe en abondance. Dans la matinée, le 306me régiment d'infanterie arrive de Lor, village du canton de Sissonne. Les soldats sont logés en ville. Le Patronage ouvre largement ses portes à un très nombreux contingent de ce régiment. Un prêtre soldat, M. l'abbé Appert, curé de Charol (Marne), compose une chanson de marche où sont rappelées les gloires du régiment. De cette chanson, tous les troupiers répètent joyeusement le refrain:

Il n'a pas peur du cavalier

Des canonniers, de la mitraille

Et c'est un régiment d'acier

Que le 306me en bataille.

M. l'abbé Gaume, vicaire de Saint-Michel-des-Epinettes à Paris, fait aussi partie de ce régiment. Les prêtres n'engendrent pas la mélancolie dans leur compagnie, tout le monde le reconnaît. On dit, mais on dit tant de choses, qu'on s'est battu vigoureusement en Belgique. Pendant leur séjour ici, tous les prêtres soldats disent la messe à trois heures du matin.

Le dimanche 16 août, vers 4 heures du soir, je me rends à Vincy où toute la population est réunie autour du Calvaire, on dit le chapelet tous ensemble. L'impressionnante prière !

Le 19 août, le 306me régiment nous quitte pour aller, disent les soldats, à Saint-Clément.

Le jeudi 20 août, une ambulance de division commandée par un médecin à cinq galons, professeur très distingué de Faculté de médecine de Lille, traverse le pays. Quatorze prêtres forment le personnel principal de cette ambulance qui comprend aussi deux aumôniers titulaires.

Le convoi qui, venant de Marle, avait fait la grande halte au mont de Laon, dans une propriété de M. Soyeux, traverse le pays au chant bien nourri de La Marseillaise. Les aumôniers dont l'un est à cheval et l'autre en bicyclette, sont chaudement acclamés à leur passage.

Le vendredi 21 août, il se confirme que l'ambulance de guerre n'aura pas lieu ici. Le drapeau de la Croix-Rouge suspendu à l'école des filles, où déjà beaucoup de soldats fatigués avaient reçu une très large hospitalité est descendu. Le lendemain, 22 août, les lits du collège et du pensionnat Simon sont requis pour l'ambulance de Laon.

Le dimanche 23 août, de 11 heures à 5 heures du soir, le canon gronde dans le lointain. On dit qu'on se bat en Belgique, on dit que les Allemands ont franchi la Meuse près de Namur. L'optimisme des premiers jours paraît se refroidir considérablement, raison de plus, pour nous autres prêtres, de paraître plus résolus et plus confiants.

Lundi 24 août 1914. — Un dirigeable passe au-dessus de nos têtes, mais bien haut... bien haut. Est-il français, est-il allemand ? De nombreux autobus descendent la route de Rozoy, arrivant, dit-on, de Philippeville, en Belgique, où s'est engagée une importante bataille.

Mardi 25 août. Je vais de grand matin faire une visite paroissiale à Lislet et dire la messe pour les soldats de ce village. Aujourd'hui encore, d'innombrables véhicules, autobus, omnibus, camions, descendent la route de Rozoy. Pendant plus de trois heures consécutives, se poursuit ce lamentable défilé. On ne chante plus... On parle bas... L'affolement commence, gagne de proche en proche au fur et à mesure que se continue la succession des véhicules.

On dit que c'est un corps d'armée qui, obligé de reculer, va se reformer à Sissonne.

Mercredi 26 août. Nouveau convoi de véhicules. La désolation fait place à l'affolement d'hier.

Beaucoup de personnes commencent à partir. Dans l'après-midi, des soldats belges échappés de Namur, disent-ils, passent en bicyclette.

Jeudi 27 août. — Lamentable exode ! Une grande partie de l'armée belge traverse le pays : guides à bonnet à poil, canonniers, lanciers... pauvres gens ! Beaucoup meurent de faim ; le long de la rue du Calvaire, on leur donne un peu de pain, d'autres mangent des betteraves arrachées ça et là dans les champs. Ces soldats belges disent qu'ils retournent par mer à Anvers. Des régiments français arrivent aussi. Je reçois trois aumôniers, dont un Père Jésuite et un professeur de Cambrai. Ces aumôniers accompagnent leur ambulance qui est cantonnée à Vincy. Il y a plusieurs prêtres brancardiers, tant à Montcornet qu'à Vincy. Le soir, salut donné par un prêtre soldat. Un jeune artilleur, prêtre de la dernière ordination, me dit que dans la bagarre de Namur, il a perdu le flacon des Saintes huiles, je lui en donne bien volontiers un autre. Ce même jour, à la fin de l'après-midi, on vient me chercher de la gare, pour donner les secours religieux à deux pauvres belges : un homme et une femme, qui, en cours de route, s'étant trop penchés en dehors du wagon, ont été à demi tamponnés. Ils sont couchés sur la paille, dans un fourgon attelé à un train qui se dirige vers Marle.

Vendredi 28 août. — Spectacle navrant !!!

De tous côtés arrivent des fugitifs: hommes, femmes, enfants, en voiture, à pied, en bicyclette, en brouette. Un pauvre malheureux vieillard, blessé par un projectile, vient de bien loin, poussé sur une brouette. Les convois militaires prennent le milieu de la route, les émigrés, — ainsi nomme-t-on les fugitifs, — avancent comme ils, peuvent. C'est un enchevêtrement perpétuel de véhicules militaires et de voitures d'émigrés français, et belges. Les uns crient, les autres pleurent, chacun veut dépasser celui qui le précède. Le 45me régiment de ligne est cantonné à Montcornet. Le soir, des feux de bivouac s'allument de tous côtés, d'immenses colonnes de fumée, que piquent mille étincelles, montent dans le ciel. On se dirait dans un immense caravansérail. Le presbytère ayant déjà reçu plusieurs officiers et une douzaine de soldats, il m'est impossible de recevoir encore une famille composée d'une dizaine de membres, dont plusieurs petits enfants.

Pauvres gens, ils sont obligés de coucher absolument par terre dans la rue.

Le pain fait aujourd'hui défaut, étant donné le grand nombre d'émigrés.

Le soir, un convoi français de ravitaillement arrive vers huit heures de Rozoy-sur Serre, dans les environs duquel les ulhans sont signalés. Comme il n'y a pas de troupes françaises à Rozoy, le convoi vient se mettre sous la protection du 45me  régiment à Montcornet.

Samedi 29 août. — Le 45ème régiment d'infanterie quitte le pays. — A cinq heures du matin, tous les équipages de la ferme de M. Listre sont attelés et prêts à partir. Le personnel de la ferme et de l'usine et beaucoup d'autres personnes (une centaine environ) prennent place dans les chariots qui conduisent, à travers mille difficultés, tout ce groupe jusqu'à Mons-en-Laonnois, où m'a-t-on dit, on arrive à huit heures du soir. Le dimanche 30 août, repos à Mons. Le lundi 31 août, on se dirige vers Coucy-le-Château, arrivé au Château du Marquis de la Châtaigneraie aux Michettes, le convoi est arrêté par les projectiles allemands. On revient sur ses pas et on tâche de gagner Jumencourt.

Le 1er septembre, on part de Jumencourt pour Vailly, mais les routes sont barrées par l'armée française. La caravane se dirige alors vers Ostel où elle reste quatre jours pendant que l'armée allemande passe en bas de ce village. Comprenant qu'elle ne pourra traverser la ligne que forme l'armée française, la caravane entière revient à Montcornet d'une seule traite en passant par Saint-Erme, Sissonne, Boncourt et arrive ici vers dix heures du soir.

Vers huit heures du matin un gendarme de Rozoy descendant la rue du Calvaire dit que les Allemands sont à Rozoy-sur-Serre, ce qui est faux... L'affolement s'accentue et les départs se succèdent de plus en plus nombreux. Sur la route du Mont de Laon, le convoi des fuyards s'allonge toujours. Les uns portent sur une brouette leur bagage, les autres ont tâché de se procurer une voiture de fortune et s'en vont suivant ceux qui les précèdent. Les uns se dirigent vers Laon, les autres vers Dizy où ils espèrent trouver un train. Vers dix heures, un prisonnier est ramené par les gendarmes et interné à la gendarmerie, et de là, conduit a Laon. Vers deux heures, un régiment de ligne, le 201ème je crois, arrive, campe sur la place et occupe les principales rues; il est chargé de garder toutes les issues du pays et d'attendre un convoi de ravitaillement qui doit arriver à la gare. On attend jusqu'à six heures du soir ; les hommes couchés ça et là paraissent exténués ; vers six heurs, ils repartent vers Marle sans les subsistances, le train annoncé n'étant pas arrivé. Vers huit heures du soir, un train enlève environ deux cents soldats malades ou éclopés, et les conduits, dit-on, à Noisy-le-Sec. Avant le départ du train, je vais voir les malades et donne les Sacrements, sur le trottoir de la gare, à un pauvre blessé qui manifeste d'une manière bien touchante sa reconnaissance. A 8 h. 1/2 tout le monde est parti.

Vers onze heures du soir un dernier train ramène dans le pays libre tous les employés de la gare. La gare est fermée et les communications par le chemin de fer sont interrompues...C'est l'heure de la déception qui va sonner.

Dimanche 30 août. — Le canon gronde toujours. Dans la matinée surtout, sa terrible voix paraît se rapprocher et devenir encore plus violente.

Vers 10 heures, un délégué du ministère vient, parait-il, faire une conférence. Il dit naturellement, mais personne ne le croit, que tout va bien, et promet que le ravitaillement qui depuis deux jours laisse à désirer, va s'améliorer. Allons tant mieux. L'après-midi, le canon recommence à tonner. Certains disent qu'on se bat à Voulpaix, d'autres qu'on se bat à Guise. —On ne sait rien. Il parait que la bataille avait lieu à Guise et dans les environs de cette ville. La nuit même qui suivit cette bataille, me disait on de nos compatriotes, chargés du soin d'une ambulance à Laon, M. le docteur Peyron, environ quatre mille blessés, et quels blessés!, passèrent à la gare de Laon... à peu près tous durent continuer leur route... jusque dans le midi, sans être complètement pansés. Combien moururent en route!!!

Qui n’a vu ces interminables trains, frappés eux-mêmes par les projectiles, emportant des milliers de blessés étendus sur la paille, dans des wagons à bestiaux. Cahotés des journées entières, dévorés par la vermine, rongés par la gangrène, ne peut se faire une idée des souffrances de la guerre. Vers midi, ce jour du 30 août, le bureau de poste est fermé. Les appareils télégraphiques et téléphoniques sont brisés. La gare a cessé tout service le jour précédent. Nous n'avons plus qu'à attendre, mais quelle angoisse que cette attente d'un terrible inconnu !

Lundi 31 août. On signale les uhlans à Vigneux et dans les environs de Chaourse. Beaucoup d'émigrants du Nord ne sachant où aller, et trouvant les routes occupés par l'armée, reviennent à Montcornet et rentrent dans leurs communes respectives. Lamentable défilé !

Mardi 1er septembre 1914. Vers 9 h. 1/2 du matin. Voilà les Uhlans !!! C'est l'invasion ! Les gendarmes connaissant la présence des patrouilles allemandes dans le voisinage, s'étaient la veille réunis, pour leur barrer le passage à l'angle de la rue de la Gare et de la rue des Juifs, au café de la Gaîté. Ils avertissent un lieutenant de cavalerie française, lequel n'ayant pas d'ordre et presque pas d'hommes à sa disposition, ne peut aller vers l'ennemi.

Or, le mardi Ier septembre, les gendarmes Ferry (brigadier) Sauvergnat et Monnier supposant que les patrouilles de cavalerie allemande allaient venir à Montcornet par le chemin de la Basse Chaourse, se préparent à les recevoir par une fusillade bien nourrie. Groupés sous le portique de la maison Truvelot, rue des Juifs, ils attendent, toujours prêts a faire feu sur le premier cavalier arrivant. Mais les Uhlans débouchent par le chemin de la gare, traversent la place au galop de leurs chevaux, suivent la rue de l'Eglise et vont jusqu'à l'entrée de Lislet où prenant la voie dite Le Chemin du Curé, ils se dirigent vers Montloué. Trois hommes montent au clocher pour suivre des yeux ces Uhlans que les accidents de terrain dérobent bientôt à la vue. .

Pendant que les Uhlans circulent dans la région de Montloué, une patrouille de hussards français remonte la rue du calvaire et se dirige vers Rozoy. Les deux patrouilles se sont-elles rencontrées plus loin ???On ne l'a jamais su.

Vers 10 heures, à mon retour de Lislet, où j'étais allé de grand matin, je trouve au presbytère une caravane de 60 à 80 personnes venant de Luzoir, qui paraît-il, est bombardé. Cette caravane est conduite par M. l'abbé Pestel, curé de Luzoir, lequel ne veut pas, comme c'est d'ailleurs le devoir de tout curé, abandonner ses paroissiens. Grâce à l'obligeance des services de la mairie, on peut donner un abri à ces pauvres gens dans les bâtiments de la sucrerie.

Dans cette, caravane, il y a beaucoup de femmes. L'une d'elles atteinte d'hydropisie est couchée sur un chariot, et souffre d'intolérables douleurs. Que faire? Pas de médecin. , Pour la première fois, grâce à Dieu, ce ne sera pas la dernière, on a recours au dévouement de Madame Leurs qui pendant l'invasion a rendu d'inoubliables services à tant de malades.

Par une bonne fortune, M. l'abbé Guillaume, curé de Bucy-les-Pierrepont, se trouve je ne sais pourquoi au presbytère de Montcornet, et pendant cette même après-midi du 1er septembre, les allemands envahissent Bucy, pillent le presbytère du dit Bucy- les-Pierrepont parce qu'un soldat caché dans le clocher a tiré sur les patrouilles allemandes qui exploraient la région. Enfin, on arrive au soir, mais ce n'est pas fini, vers 11 heures du soir, on vient me chercher au presbytère pour donner les Sacrements à un soldat blessé, soigné à l'école des filles avec le plus grand désintéressement par Mademoiselle Hervieu et Madame Georges Fleury.

Mercredi 2 septembre. Le pauvre blessé français soigné à l'école des filles a été évacué de grand matin, grâce à une automobile qui passait.

Jeudi 3 septembre. — Aucune nouvelle. Le canon gronde toujours. Où. ? Vers 2 h. 1/2 de l'après-midi, un convoi d'allemands traverse le pays, venant de la route de Vigneux.

Le soir, une vingtaine d'automobiles viennent se ranger sur la place où elles demeurent pendant la nuit. Beaucoup de gens qui avaient quitté le pays-les jours précédents, reviennent. D'ailleurs, où aller ??? Par quels chemins ?.

Dimanche 6 septembre. De tous les côtés, on entend gronder le canon. On ne sait absolument rien de la guerre.

Mercredi 9 septembre. Une trentaine d'employés des postes et télégraphes allemands qui étaient arrivés la veille vers 10 h. 1/2 du soir et avaient été logés à la mairie dans la salle des fêtes, sont conduits à Laon dans deux voitures réquisitionnées. L'une de ces voitures appartenant à M. Romagny est conduite par MM. Chédaille et Louis, l'autre par M. Roger.

Quelques convois allemands traversent le pays, paraissant venir de Vervins. Nous ne savons absolument rien de la guerre.

Jeudi 10 septembre. Un groupe important de soldats allemands arrive.

C'est l'invasion que nous allons subir pendant 51 mois !

Le 11 septembre La Kommandantur installée, rue des Juifs, n° 3, dans l'immeuble vacant de M. Delaunay, devient maintenant, et hélas, pour combien de temps ? le centre de la vie administrative du pays.

Le pays est donc officiellement en possession des allemands, qui le matin même font afficher la loi de guerre.

On fait afficher et annoncer la proclamation suivante: « Aux habitants de Montcornet. Les habitants qui possèdent des armes chez eux, sont obligés de les remettre, rue des Juifs, n° 1, avant le 12 septembre. Après cette date, les habitations de ceux qui en posséderaient seront brûlées. Les habitants doivent rester chez eux de 9 heures du soir, à 5 heures du matin. Les rassemblements sur la voie publique sont interdits. Ceux qui ne se conformeraient pas à ces ordres seront punis, emprisonnés. Si un coup de fusil est tiré d'une maison, tous les habitants de la maison seront fusillés.

En dehors de cela, il ne sera fait aucun mal aux habitants. L'abus de l'alcool est interdit aux soldats et aux habitants. En cas d'abus, l'établissement occasion de cet abus sera confisqué, une contravention sera infligée au propriétaire. »

Samedi 12 septembre. On perquisitionne dans les maisons, pour chercher les armes qui n'auraient pas été déclarées. Ce même jour, les maires du voisinage sont convoqués à la mairie, où le commandant allemand, le lieutenant-colonel Hirsch, leur communique les ordres qu'il a fait annoncer hier. Ce même jour, j'ai demandé un passeport pour sortir la nuit, en cas de besoin, soit dans Montcornet, soit même dans les villages voisins. J'ai fait, cette même demande pour mon confrère, M. l'abbé Gallice.

Dimanche 13 septembre. Les soldats allemands d'un régiment rhénan (Cologne) étant généralement catholiques se rendent à la messe de 7 h. 1/2. Dimanche soir, vers 6 heures. Spectacle lamentable, on amène dans l'église environ deux cents blessés. Les écoles, la mairie reçoivent aussi de nombreux blessés. Nous apprenons par un aumônier catholique allemand qu'il y a un nouveau Pape : Benoit XV.

Lundi 14 septembre. — Dans l'Eglise transformée en vaste ambulance, M. l'abbé Gallice et moi disons la messe de bon matin. Vers 10 heures, tous les blessés sont évacués plus loin.

Mardi 15 septembre. Le canon tonne toute la journée, l'après-midi, c'est un véritable roulement, il semble que l'effroyable canonnade se rapproche tant mieux. Vers le soir, un convoi très considérable de blessés arrive au collège, aux écoles, et surtout à l'église qui cette fois et tout à fait remplie. A 2 heures du matin, des chariots de réquisition amènent encore de nouveaux blessés, à l'église, où on les case comme on peut. Il y a quelques blessés français. Il pleut, les chariots sont arrêtés, entre l'église et le presbytère. Eclairés par une lanterne que porte un planton de service, les infirmiers déchargent, véritables loques humaines, ces malheureux qui viennent de bien loin, et dans quels véhicules ! Mon confrère et moi, restons toute la nuit debout. Les blessés français sont reconnaissants des rafraîchissements que nous distribuons. La triste nuit !!!

Mercredi 16 septembre. II est maintenant impossible de dire même la messe basse à l'église; depuis l'autel, jusqu'à la porte, tout est complètement rempli de malades, l'avant-porche est réservé aux morts... C'est dans la chapelle du cimetière qu'on va organiser le service religieux. Le canon gronde toujours — et fort, — un nouveau convoi de blessés allemands arrive, l'église, la halle, les écoles, tout se remplit de ces blessés.

Vers 6 heures, un convoi de prisonniers français d'environ 150 à 200 hommes pris dans divers engagements, arrive à Montcornet. Tous ces prisonniers sont dans le jardin de M. Wattebot, rue des Juifs. Nous obtenons l'autorisation d'aller leur faire visite. Ces soldats, nous disent qu'ils ont été pris dans les environs d'Anguilcourt. Dans le convoi, il y a un prêtre, M. le Curé de Vantelet, qui me dit avoir été arrêté, parce que la cloche sonnant l’Angélus, au moment, où les Prussiens entraient dans le village, ceux-ci regardant cette sonnerie, un signe d'alarme avertisseur ont immédiatement appréhendé le pauvre curé, un officier est aussi prisonnier, mais il est logé dans une dépendance de la maison, où je n'ai pu pénétrer. Beaucoup de voisins de la maison Wattebot portent ce qu'ils peuvent à tous ces prisonniers.

Jeudi 17 septembre. - Le canon tonne toujours, à ce lugubre roulement se joint une pluie fine persistante, c'est une journée vraiment triste. Vers 5 heures, nouvelle arrivée d'un groupe d'environ 20 prisonniers français.

Vendredi 18 septembre. On n'entend plus rien. Pourquoi? Vers 7 heures du soir, on amène encore 500 blessés allemands dans l'église, un peu plus tard arrive un convoi de prisonniers français blessés, ces blessés sont logés dans des ambulances particulières, dans des abris de fortune, ou mieux d'infortune. Aucun d'eux ne se plaint. Ce même jour je suis allé donner les Sacrements à un soldat de Malmédy, frontière belge, dans une maison que j'ignorais être transformée en ambulance, maison Petithomme, rue de la filature, cette maison est aujourd'hui complètement détruite.

Dimanche 20 septembre. —Le matin, un convoi de 800 prisonniers français, traverse le pays, sans s'y arrêter. Mon confrère dit la messe basse au cimetière. Je vais dire la messe de 10 heures, à Lislet, où l'église peut contenir plus de monde. L'après-midi les offices se célèbrent au cimetière. La chapelle funéraire de la famille Fournier-Degand est réservée pour les confessions et les messes et les autres offices ont lieu dans la chapelle proprement dite du cimetière. Que c'est triste ! On pense aux Catacombes ou aux réunions tenues dans les caves aux mauvais jours de la Révolution.

Lundi 21 septembre. — Vers 6 heures du matin, arrivée d'une cinquantaine de blessés français hospitalisés, soit à l'école des filles, soit au collège, soit dans des maisons particulières transformées en ambulances. Ils reçoivent les soins nécessaires.

Mardi 22 septembre. Mon confrère et moi demandons l'autorisation de pénétrer dans toutes les ambulances. Faute de cette autorisation, nous n'avons pu voir un convoi de prisonniers français, qui a traversé le pays, ces jours passés. L'autorisation demandée, nous est accordée. A partir de ce jour, nous faisons ensemble, mon confrère et moi, la longue et douloureuse visite, de tous les lazarets et de toutes les maisons où sont hospitalisés des blessés.

A partir d'aujourd'hui, les passeports s'obtiennent plus difficilement. Défense de sortir d'un rayon de cinq kilomètres. Le cercle se resserre de plus en plus, Aujourd'hui après-midi il y a sous la halle un service religieux pour les protestants. Officiers et soldats assistent en grand nombre à ce service.

Mercredi 23 Septembre. M. le curé de Juvincourt et plusieurs de ses paroissiens fait prisonniers ces jours-ci pour avoir, sans être munis des insignes officiels de la Croix-Rouge, relevé des blessés, ont traversé le pays ainsi qu'un autre convoi de prisonniers. Une voiture est requise pour conduire à Hirson les prisonniers de Juvincourt. Vers 6 heures du soir on aperçoit bien haut, deux aéroplanes, sont-ils français, sont-ils allemands, impossible de le deviner... D'ailleurs ils disparaissent bien vite, nous laissant toujours sans nouvelles.

Jeudi 24 Septembre. Toute la matinée le canon gronde. Je vais faire une visite aux prisonniers français blessés internés au collège et à l'école des filles.

Ce jour, plusieurs jeunes filles se réunissent sous la direction de Mlle Roget, et dans la maison de M. Lepinois pour confectionner des vêtements, des chemises aux prisonniers français qui sont dans un état de délabrement lamentable.

Samedi 26 septembre. On vient me chercher pour un pauvre soldat horriblement blessé et déposé ainsi que plusieurs de ses camarades rue de la Gare, à l'ancienne parfumerie. L'un de ces hommes qui a la cuisse coupée par un projectile, me dit qu'il est resté dans les tranchées plusieurs jours sans être relevé, on le croyait mort. Les allemands l'ont pris comme prisonnier ainsi que plusieurs de ses camarades. Je suis, m'a dit ce jeune homme, d'un courage vraiment héroïque, l'ainé de neuf frères, à mon régiment, on m'a certainement porté comme mort (probablement j'étais sans connaissance quand le service d'ambulance faisait la relève des blessés), quelle peine pour ma pauvre mère qui habite les environs de Valenciennes ! Les grands blessés, ils le sont à peu près tous, de cette ambulance sont enlevés et conduits à la gare pour être transportés à Laon ou à Hirson. Pauvres soldats ! Bien sûr, tous n'arriveront pas à destination.

Ce jour, l'inspection de la VIIe armée s'installe à l'Hôtel de Ville. Elle en occupe les locaux qu'on déménage en toute hâte.

Dimanche 27 septembre. Le soir vers 4 heures, a lieu l'enterrement par un aumônier, d'un soldat catholique allemand. Le cercueil est porté sur les épaules par quatre soldats, un peloton en armes précède le cercueil, les soldats sans armes le suivent. Aujourd'hui, les horloges de l'église et de l'Hôtel de Ville sont réglées sur l'heure allemande.

On sent que l'occupation s'accentue de plus en plus. Toute la matinée le canon gronde, mais ses roulements, car se sont de vrais roulements, non des coups isolés, semblent venir de bien loin. Pourquoi ? On devient tout triste quand il semble que le combat s'éloigne.

Lundi 28 septembre. Madame Deflorenne mère, est trouvée morte subitement dans les champs où elle travaillait. Le soir, on entend, mais paraissant venir de très loin, une explosion qui doit être formidable. Où???. Jamais je n'ai pu être renseigné à ce sujet.

Mardi 30 septembre. Enterrement de Madame Deflorenne, décédée hier. L'office se fait dans la chapelle du cimetière.

On n'entend plus du tout le canon. Ce silence, tout le monde  le sent, est bien plus pénible pour nous que la canonnade. Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre, soixante blessés environ, tant français qu'allemands, arrivent à Montcornet. Ils sont placés, au moins en majeure partie, à l'hôtel de la Gare, chez M. Guillaume, dans la grande salle des fêtes... Quel changement !!

Jeudi 1° octobre 1914.  Dans toutes les épiceries, chacun peut avoir un kilo de sucre cristallisé pour o fr. 50 centimes.

Ce même- jour aussi, il paraît que l'Empereur d'Allemagne a traversé Montcornet. Est ce vrai ? Je n'ai pas regardé les voitures.

Lundi 5 octobre  On ordonne d'apporter à la Kommandantur toutes les bicyclettes. Dans la journée et dans la nuit; on fait tuer tous les pigeons. La nuit même les soldats pénètrent dans les maisons où il y a des colombiers pour procéder à l'hécatombe.

Mardi 6 octobre. Fête de saint Bruno, fondateur des Chartreux. C'est bien aussi notre fête' à nous qui sommes maintenant séparés de tout. Pendant que je m'efforce à me résigner à cette séquestration si pénible, une équipe de soldats armés conduits par un officier attaché au service postal arrive au presbytère, L.'officier me dit que le télégraphe et le téléphone ne marchent pas bien, qu'en conséquence il va perquisitionner. J'avoue que la conclusion, en bonne logique, ne me paraît pas découler facilement des prémisses... mais c'est la guerre, parole que tant de fois déjà on a entendue, qui justifie toutes les conclusions. Donc, on procède à la perquisition. On commence par la visite de la cave, puis de la cave on, va au grenier. La perquisition paraît-il, n'a rien fourni : on recherchait des appareils de téléphonie ou de télégraphie sans fil. Mais ce n'est pas fini. Mon escouade en armes toujours, part pour l'église, on fouille partout, rien, il faut monter au clocher au début de la perquisition j'avais pris la résolution de ne répondre que d'une manière évasive aux questions qui me seraient adressées. Au clocher je vais mettre à exécution ma résolution, à l'officier qui ne paraissait très peu désireux de faire l'ascension du beffroi au campanile où on arrive par des escaliers branlants, je dis : « Vous ne paraissez pas avoir le pied très sûr. Dans la vie civile, vous n'êtes probablement pas habitué à monter ainsi aux échelles ? Non, me répondit il, je suis conservateur de bibliothèque. Bonne fortune pour moi, ai-je pensé, on va poursuivre la conversation au détriment, je l'espère de la perquisition, car on ne sait jamais ce qu'on peut trouver en cherchant bien.  Et à quelle bibliothèque êtes-vous attaché ? Ai-je poursuivi... ? A Leipzig, me répond-il. D'où parallèle entre les bibliothèques saxonnes de Dresde et de Leipzig : Dresde plus riche en ouvrages anciens. Leipzig mieux pourvu d'ouvrages scientifiques actuels. Le temps se passe. Les soldats postiers descendent du campanile. La perquisition est terminée.

Mon Dieu... Si c'était la dernière !!!

Ce soir on continue à nettoyer l'église?

Jeudi 8 octobre – On entend le canon dans le lointain. Quelques blessés français arrivés à l’ambulance de la gare sont visités par monsieur le Maire.

On annonce qu’il ne faut pas toucher aux projectiles que l’on pourrait rencontrer. Serions-nous sur le point d’avoir une bataille ?

Mercredi 14 octobre – Le canon tonne de plus en plus fort et le bruit semble se rapprocher.

Samedi 17 octobre – Rien de nouveau, nous sommes toujours exilés du reste du monde. On parle de la paix entre la France et l’Allemagne seulement…est-ce vrai ?

Lundi 19 octobre – Les ambulances s’organisent très complètement par les Allemands. Mais il n’y a encore aucun blessé. On dit qu’à Magny et à Chéry on a préparé aussi de nombreuses ambulances de guerre…Mon on entend rien, le canon s’est tu.

Heureusement, jusqu’ici le mois d’octobre a été très beau. Quel dommage qu’on n’est pas pu arracher les betteraves. Quelle ruine pour le pays !!!

Mardi 20 octobre Trente hommes environ de Courcy-Brimont sont arrivés à la fin de l'après-midi. Ils sont logés dans le bâtiment du Moulin qui longe le cours d'eau, M. le Curé de la paroisse qui n'a pas voulu quitter ses paroissiens est avec eux. Le départ a été si brusque que le pauvre curé n'a' même pu rentrer chez lui pour prendre son chapeau. Nous obtenons, M. Gallice et moi, de la Kommandantur l'autorisation de voir ces hommes, mais pas plus de cinq minutes et en présence d'un interprète. Pour courte qu'elle ait été l'entrevue a été très cordiale. Ce même jour, M. Blériot, curé de Noircourt est venu à Montcornet chercher du sel et du sucre pour sa commune.

Jeudi 22 octobre Le canon gronde bien fort dans le lointain. Ce jour, on annonce qu'il faut prendre toutes les mesures hygiéniques nécessitées par les circonstances. Un médecin militaire sera à la disposition des habitants, rue des Juifs, n° 27.

Vendredi 23 octobre Une ambulance de blessés est installée confortablement dans la maison de M. Froment-Saudrique, rue de la Gare. Les prisonniers civils arrivés de côté et d'autre, sont internés dans un grand bâtiment appartenant à Mme Fontaine-Destrez, rue de la Fontaine. A l'ambulance Froment, il y a trois blessés français, un adjudant et deux soldats, ainsi qu'un vieillard des Ardennes qui est blessé aux jambes. J'obtiens un passeport pour aller voir tous les prisonniers tant militaires que civils.

Dimanche 25 octobre Jour de très profonde tristesse. Les Allemands ont requis l'église pour le culte protestant. Malgré de très nombreuses démarches, impossible d'arriver à soustraire l'église à cet envahissement.

J'ai dis moi-même la messe paroissiale avant midi.

On entend toujours le canon, mais aucune nouvelle n'arrive jusqu'à nous.

Lundi 26 octobre - On commence à établir un lazaret ou ambulance au château de Lislet.

Mercredi 28 octobre - Triste journée. C'est aujourd'hui qu'est versée à la Kommandantur la contribution de guerre imposée aux communes du canton.

Le mark dont les Allemands avaient fixé la valeur à 1fr. 35 reprend sa valeur ordinaire, soit 1fr. 25.

Vendredi 30 octobre. Une soixantaine de soldats français prisonniers passent à la gare de Montcornet. Ils paraissent n'avoir pas trop souffert de la guerre.

Aujourd'hui, les Allemands font distribuer gratuitement le journal, la fameuse Gazette des Ardennes.

Samedi 31 octobre.— Le canon gronde très fort. Un aéroplane passe bien haut, au dessus de Chaourse. D'où vient-il ? Quel est-il ? Aucune nouvelle.

Voici, à titre de document, l'ordre de payer l'amende de guerre mentionnée plus haut et versée le 28 octobre.

Kommandantur de Rozoy-sur Serre.

L'arrondissement (sic) de Rozoy y compris ses trente communes avec 12.227 habitants, aura sous la responsabilité solidaire des communes et de chacun de ses habitants à payer une contribution de guerre de six francs par tête et par habitant, soit un montant total de 73.362 jusqu'au 28 octobre de cette année.

La Kommandantur de l'Étape aura à faire rentrer cette contribution au besoin avec le concours des Kommandantur des Etapes avoisinantes par l'entremise des Receveurs de la recette et du maire de Rozoy, et la remettre à la caisse de l'Intendantur de l'Etape.                ' .

                         Signé : von grœben, -     Général 'Infanterie.

 

La commune de Montcornet a versé 7.740 francs parce qu'on a tenu compte d'une somme de 1.200 francs représentant le quart des réquisitions en blé et avoine fournies par les fermes de la Sucrerie, de M. Petit-Catherin et de M. Carlier-Dutrieux.

Lundi 2 novembre 1914. Jour des, morts. Beaucoup de monde àla grand'messe. Au cours de l'allocution que j'adresse aux paroissiens, je remarque que beaucoup fondent en larmes, je tâche de ranimer le courage et l'espérance. On va en procession au cimetière, j'ai obtenu qu'au départ de cette procession funèbre on sonnât les cloches.

Mercredi 4 novembre. — II y a aujourd'hui trois mois que la déclaration de guerre a été affichée. Trois mois et rien ne se décide encore. Jour et nuit le canon gronde. Sans interruption, les salves se succèdent.

Jeudi 5 novembre. Deux infirmières de la Croix-Rouge allemande viennent prendre logement au presbytère. On dit, mais la chose ne paraît ni vraie, ni vraisemblable, qu'on parle de la paix.

Vendredi 6 novembre. Il me semble qu'il y a moins de véhicules que les jours précédents. Une quarantaine de soldats français prisonniers traversent le pays, suivant la route de Dizy-le-Gros et se dirigeant vers Rozoy. Ce convoi marche à pied. Plusieurs hommes de ce convoi font partie du 306ème d'infanterie qui a séjourné à Montcornet à la fin du mois d'août. L'un d'eux est de Dizy, plusieurs personnes qui le reconnaissent le saluent au passage.

Ce même jour, le cuivre de la Sucrerie est réquisitionné.

Dimanche 8 novembre. Les prisonniers civils internés ici depuis plusieurs semaines, sont venus, comme le jour de la Toussaint, à la grand'messe dite à 9 h. 1/2. Des soldats allemands les gardent. Ce jour on n'entend pas le canon — que se passe-t-il ???

Lundi 9 novembre. — On remet à la Kommandantur l'or qui a été ramassé dans chaque maison en échange de billets. La somme versée s'élève à 6.700 francs. Les Allemands font distribuer le 2me numéro de la Gazette des Ardennes.

Mardi 10 novembre. La Kommandantur prévient six hommes qui avaient été renvoyés chez eux, de se tenir à la disposition de l'autorité militaire allemande ; tous doivent partir en Allemagne, ce sont : MM. Lagasse, Chevassu, Frey, Tassin, Dussart, Lupette... que c'est triste ! On ne sait absolument rien de la guerre.

Jeudi 12 novembreAutrefois c'était le grand jour de la foire...Aujourd'hui la tristesse, le silence, ont remplacé la joie et les chants. Le soir, un aumônier allemand, M. Kock, vient prendre logis au presbytère. Il arrive des environs de Guignicourt, village situé sur la ligne de feu, c'est un spectacle terrible, me dit-il.

Samedi 14 novembre — Le prince royal de Saxe, frère du roi de Saxe, Inspecteur de la Croix-Rouge, est venu à Montcornet visiter les ambulances.

Il est venu à l'église, où M. l'abbé Gallice et moi nous nous trouvions. Le prince nous a dit qu'il était marié avec une Française, il a parcouru l'église en tous sens et en a admiré les harmonieuses proportions. Sa visite a duré environ dix minutes. De Montcornet il est parti nous a-t-il dit, à Marchais.

Dimanche 15 novembre - L'affiche suivante est placardée : « Deux femmes françaises ayant hébergé deux soldats français après leur avoir fourni des vêtements civils, ont été faites prisonnières et dirigées sur l'Allemagne. »

Dans la matinée, la neige tombe pour la première fois, elle cesse de tomber vers midi. Vers midi, une vingtaine de prisonniers français venant du côté de Dizy-le-Grosr traverse le pays.

Lundi 16 novembre Beaucoup d'infirmières de la Croix-Rouge partent à Laon. La pluie a remplacé la neige, mais il ne fait pas très froid, tant mieux, car on ne trouve plus de charbon de terre chez les marchands

Mardi 17 novembre M. Petit, adjoint, faisant fonction de Maire, reçoit une lettre de M. Ermant, maire de Laon lui annonçant que des familles d'émigrés des villages voisins de Laon vont peut-être, à cause des événements qui se préparent, arriver à Montcornet. Il le prie au nom de l'humanité de recevoir ces familles le mieux possible. Cette lettre est datée du 13 octobre. Le commandant de place déclare toutefois qu'il est peu probable de voir ici ces familles parce qu'elles doivent quoique non prisonnières, être sous la surveillance de la garnison allemande. La dite garnison n'était pas assez nombreuse pour cette surveillance, les familles évacuées ne sont pas venues à Montcornet.

A partir d'aujourd'hui, les allemands vont eux-mêmes chercher à divers moulins de la région la farine destinée à la nourriture de la population.

Mercredi 18 novembre  — On parle de rationner le pain. Mille kilogrammes de farine par semaine seraient affectés au ravitaillement de toute la population. Ce même jour réunion d'une commission administrative qui doit réduire la quantité du pain donné chaque semaine aux femmes dont les maris sont à la guerre et aux familles pauvres.

Dans l'après-midi, publication d'un règlement de police de guerre émanant du Général en chef, daté du 1er novembre courant, et beaucoup plus sévère que le règlement publié lors de l'arrivée de l'ennemi.

Samedi 21 novembre— Vers 5 heures du matin, on entend le canon. Mais où, contre qui ? Ignorance complète qui désole tout le monde. Le froid qui a commencé hier s'accentue aujourd'hui. Il neige.

Que les pauvres blessés gisant ça, et là sur la terre doivent souffrir !

Jeudi 26 novembre — A la neige a succédé le verglas. Par suite d'une chute faite le matin, j'ai dû garder le lit toute la journée. Aujourd'hui on commence à manger du pain noir. Sera-t-on rationné ? On parle de 500 grammes par tête.

Vendredi 27 novembre. Des régiments entiers de cavaliers et de diverses armes traversent le pays et se dirigent vers Rozoy.

Samedi 28 novembre. Beaucoup de soldats Wesphaliens en garnison ici depuis quelque temps quittent le pays. On parle de faire la visite des caves pour réquisitionner le vin. Ce même-jour tous les hommes appelables sous les drapeaux ont été convoqués par l'autorité allemande pour répondre à un appel nominal, assurant leur présence ici.

Dimanche 29 novembre. Dans l'après-midi, l'autorité allemande déclare que, à partir de ce jour, il ne sera plus permis, sans l'autorisation delà Kommandantur, d'ouvrir une maison quelconque de commerce. La colonne de pionniers qui depuis longtemps était à Lislet, quitte ce village.

Mardi 1er décembre 1914. Vers minuit, ceux qui dorment sont éveillés par une violente détonation, qu'est-ce que cette détonation? on ne sait rien. Ce même jour, MM. Maillard, horloger et M. Triquenaux, commerçant, sont arrêtés et conduits, je crois, à Sissonne, où ils sont retenus prisonniers pendant plusieurs semaines. Ils sont inculpés, qui ne l'est pas, ou ne peut l'être comme eux, du délit d'espionnage.

Jeudi 3 décembre. — Des ouvriers civils allemands font un trottoir sur la grande place et travaillent ça et là à quelques travaux de voirie.

Lundi 7 décembre. On annonce qu'il est défendu, sous peine d'amende, de sortir dans les rues de 9 heures du soir à 7 heures du matin.

Samedi 12 décembre. Tous les hommes mobilisables doivent se rendre à l'appel qui sera fait tous les quinze jours.

Lundi 14 décembre. Depuis quelques jours la Chapelle du cimetière est transformée en espèce de Chapelle ardente où on dépose les soldats morts Déjà trois cadavres ont été déposés dans cette Chapelle en attendant le jour de l'enterrement.

Jeudi 24 décembre. — J'obtiens la permission d'aller voir les prisonniers qui sont enfermés dans la gendarmerie. Dans le grenier, séparés les uns des autres par des barrières de bois, sont plusieurs hommes de Lislet — M. Carlier, entr'autres — Dans le cachot situé dans la cour, est M. Lhotte, maire de Clermont, que l'interprète fait sortir et amène dans la cour, où je peux m'entretenir avec lui. Ces prisonniers ne paraissent pas du tout déprimés et ne se découragent pas.

Dans l'Eglise, à l'entrée du chœur, les Allemands dressent deux grands arbres de Noël qui seront, le soir, copieusement illuminés. A peu près dans toutes les maisons, les soldats dressent un arbre de Noël.

Le soir, les cloches sonnent en volée. De ce concert aérien, le canon forme la basse, la lugubre basse ! Vers 5, h, je vais à la grange de Mme Fontaine, où sont réunis les prisonniers, dits prisonniers civils, et fais passer quelques boissons chaudes aux malades, notamment à un pauvre jeune homme de Prouvais, je crois, qui tousse lamentablement. Dans la soirée, les Allemands catholiques et protestants se réunissent à l'Eglise pour  fêter Noël. Des points de toute l'assemblée, s'élève le chant populaire « Joyeuse Nuit de Noël». Hélas ! Elle est bien triste pour nous autre cette nuit de Noël.

Il n'y a pas eu de messe de minuit, défense étant faite, aujourd'hui comme toujours, de sortir dans les rues après. 9 heures du soir. Dans les diverses ambulances, notamment à l'ambulance de la rue de la Gare, maison Froment, on a élevé des arbres de Noël, chargés de cadeaux pour tous les malades.

Samedi 26 décembre Rien de nouveau au point de vue de la guerre, mais journée douloureuse entre toutes, au point de vue religieux. Une réquisition du colonel Hirsch, commandant la place, m'est apportée, demandant l'église dimanche l'après-midi. Très inquiet de cette réquisition, je cherche comme je le puis à en connaître le motif. Après des pourparlers assez compliqués, j'apprends enfin que c'est le Rabbin qui, si je ne me trompe, habite Laon, a demandé l'Eglise pour une cérémonie juive. Profondément troublé, redoutant une profanation possible, je prévois deux hypothèses qui peut-être pourront se réaliser :

1ère hypothèse — Fermer toutes les issues de l'Eglise, jeter toutes les clefs à l'eau, de manière à pouvoir affirmer, même sous la foi du serment, que je n'ai plus les dites clefs. Mais dans cette hypothèse, il faut s'attendre à voir les portes de l'Eglise forcées et les Juifs entrer triomphants.

2ème hypothèse. — Aller voir le Commandant et lui demander de contremander la réunion projetée. Mais dans cette hypothèse, quelle humiliation d'aller pour ainsi dire réclamer son droit, comme en mendiant une faveur.... et de la part d'un ennemi ! Et puis le résultat est bien peu, bien peu assuré.

Enfin, grâce à des démarches, à des tractations habiles, comme on dit maintenant, faites par des officiers supérieurs tant catholique que protestants, la cérémonie juive eut lieu, non dans l'église, mais dans le grand immeuble de la carrosserie de M. Alexis Guillaume, rue de la Gare. Quelle journée !

Dimanche 27 décembre. — Rien de nouveau. L'après midi, la réunion des Juifs eut lieu dans le local indiqué plus haut, rue de la Gare.

On annonce qu'il est défendu de faire du feu dans les champs et de faire des rassemblements bruyants.

Mercredi 30 décembre. — Le pain est rationné, on aura 108 grammes de farine, pour chaque adulte. 78 grammes pour chaque enfant.

Jeudi 31 décembre. — Dernier jour de l'année. Vers 11 heures du soir, branle-bas général dans les rues, des détonations retentissent de tous côtés, bombes, fusées éclatent dans les rues. Beaucoup d’habitants se lèvent en hâte, on croit que ce sont les Français qui arrivent. Les voilà, crient quelques-uns, à minuit sonnant une musique suivie de soldats portant des torches allumées donne une sérénade à la porte du Général et parcourt toutes les rues de la ville, à l'ébahissement général. A la porte du presbytère, je discute avec un soldat qui veut à tout prix avoir la clef de l'église pour sonner les cloches. Je refuse, nouvelles instances de plus en plus pressantes, à la fin je lui dis : « Avez-vous un ordre écrit et signé pour me parler ? Non, me dit-il. C'est pour fêter le nouvel an. Je ne vous demande pas pourquoi vous voulez la clef, je vous demande si vous avez un ordre écrit, mais non, dit-il, alors allons nous expliquer au poste de police et nous voilà partis, moi sommairement habillé et lui en grande tenue, casque à pointe sur la tête. Au poste, je dis au sergent : Voici un homme qui vient chez moi, à minuit,….

 

 

 

 

1915

Les derniers Moments d'un Soldat français

 

Fusillé par les Allemands

13 juin 1915

Je rentre de Berlise où je viens d'activer les préparatifs du reposoir, car c'est demain la seconde Fête-Dieu ! Il est sept heures du soir, l'interprète-chauffeur de notre Kommandantur arrive sur mes talons au presbytère et m'ordonne de ne point me coucher avant dix heures, car ajoute-t-il, « notre commandant veut causer avec vous seul ! »

Je me livre à mille conjectures ; j'essaie d'obtenir quelques précisions : pourquoi ? qu'y a-t-il ? L’interprète me regarde, reste muet, sa mission est terminée, il se retire. A dix heures, heure militaire, le capitaine. Leonhard se présente. — Nous sommes bien seuls? — Oui ! — Alors, voilà: un soldat français de la Ville-aux-Bois sera fusillé cette nuit. Je requiers votre présence au cas où le soldat le désirerait avant d'être exécuté. Surtout pas d'indiscrétions, vous êtes seul prévenu et si la population le savait, vous seriez vous aussi fusillé, c'est la Loi !

Les bras me tombent en apprenant cette sinistre nouvelle, et promets de me tenir éveillé jusqu'à l'heure fatale. Le capitaine qui est catholique précise et répond à mes questions : c'est un père de famille, trois enfants, soldat français, ne s'est pas rendu, a voulu franchir les lignes, a fait de l'espionnage, il sera fusillé !

Que faire, mon Dieu ! Je profite de ce temps libre pour compulser le dictionnaire et obtenir si possible un recours en grâce. J'y mets tout mon cœur ; c'est un frère, un français ! Cet homme est innocent, je le jure ; si les lois de guerre sont inexorables, condamnez-le aux mines, aux travaux forcés, soit, mais ne lui ôtez pas l'espoir de revoir ses enfants !...

A deux heures et demie, l'interprète, lanterne électrique en main, m'aborde à la grille du presbytère, car depuis plus d'une heure, je déambule dans les allées de mon jardin, le cœur bien gros, priant en ressassant mon plaidoyer...

Nous partons. En cours de route, l'interprète me donne confidentiellement quelques renseignements. « C'est une voisine, une française (et il appuie sur ce mot), qui nous l'a livré'. — Comment cela? —. Cet homme était au 105 s. au mois de septembre de retour à son pays. Le maire lui dit de ne pas rester plus longtemps, il part et tâche de regagner l'armée française. Il file sur Vervins, Hirson, Lille, fait la contrebande avec la Belgique et téléphone à la kommandantur et nos gendarmes de Noircourt vont le prendre. Il a 38 ans, père de trois enfants, rien à lui reprocher comme civil, a-t-il été jugé par un conseil de guerre ? — Oui ! — Où ? — Ici à Noircourt ; il est condamné et va être fusillé !dans la nuit, il y a deux jours, il est au pays de retour. Une voisine l'entend rentrer et dit à un soldat prussien (il y a dans le pays une kolonne d'automobiles) : il y a un homme de rentré, il est soldat français ! » Rien de plus pressé, rapport du soldat à son chef, coup de

— Malheur ! — Oh oui !... et par une française !... Mon interprète tient à cœur de me montrer cette lâcheté !

Arrivé sur la place de la Mairie (siège de la Kommandantur) j'aperçois une haie de soldats en armes. Le capitaine s'avance à ma rencontre, il est sur le pied de guerre lui aussi : casque à pointe, etc... et d'une voix impressionnante m'annonce que l'on va partir chercher le prisonnier qui se trouve à la geôle de notre Kommandantur (maison n° 49). Un commandement sec, un bruit d'armes, des pas lourds qui s'éloignent...

Je rentre alors à l'église, allume un cierge à N.-D. de Lourdes et continue de prier ; le capitaine me suit et se tient sous le porche. Le sentant là, seul, je l'aborde de nouveau et plaide la cause de l'infortuné français ! Mon plaidoyer est en allemand, le capitaine l'écoute attentivement, et très ému, m'appuyant le bras, me dit qu'il' est hors de son pouvoir d'atténuer la peine. « Toi aussi ! Moi aussi ! » monsieur le curé ; mais... — puis se ressaisissant, il ajoute d'une voix mal affermie : « C'est une loi de guerre, le soldat a tout avoué, il a essayé à plusieurs reprises de traverser nos lignes, l'Autorité allemande le considère comme espion et avant une demi-heure il sera fusillé. Quel malheur ! — Oh oui ! »  répond-il.

Au même moment, la garde arrive et martèle le pas quelques minutes, le capitaine me quitte et va demander au prisonnier s'il désire voir un prêtre, un soldat viendra vous chercher, me dit-il. Je me remets en prières. Oh ! mon Dieu ! Quel martyre ! Venez à notre aide, ô bonne Mère, hâtez-vous de nous secourir !...

L'on vient et je pénètre entre une double haie de soldats et de gendarmes dans la chambre du rez-de-chaussée dont le papier rouge éblouissant, sous la lumière vive de trois lampes, me fait mal.

Poquérus Virgile est là, livide, la barbe noire en broussaille. Je lui tends la main, il, fait un mouvement, me montre qu'il est enchaîné ! — Mon ami ! lui dis-je. Quelle affaire, monsieur le Curé, ah ! quelle affaire ! —J'ai dix minutes à ma disposition me crie le capitaine et me jure qu'aucun des soldats qui sont avec nous ne connaît le français ! Sur ce il ordonne de fermer les fenêtres et reste dehors avec l'interprète. Six gardes, l'arme au pied, nous regardent, trois gendarmes barrent les trois portes, l'un d'eux m'avance un siège, je le repousse!... « Dix minutes! » faisons vite alors et à genoux tous deux, Poquérus et moi, prions; l'absolution achève de rasséréner notre condamné ! Merci mon Dieu ! Je recueille ses « ultima verba » et dernières recommandations pour sa femme et ses trois enfants qu'il aime tant, et dont l'aîné, me dit-il, a douze ans.

Il a encore un peu d'argent, il voudrait le leur laisser ! C'est facile, lui dis-je, comptez sur moi. J'appelle le capitaine, lui fait part du dernier désir du soldat français. « ia ! ia ! » répondit-il et aussitôt un gendarme porte la main sur Poquérus et veut le fouiller ! D'un geste brusque le .prisonnier se dégage : « Non, non, crie-t-il, c'est ici, monsieur le Curé, >> indiquant du regard la ceinture de son pantalon et c'est le capitaine lui-même, qui détache un petit sac où se trouvent quelques économies : la bourse m'est remise sur le champ !

— Maintenant, mon cher ami, du courage, nous penserons à vous, nous prierons pour vous ! Vous partez le premier, qui sait si demain ce ne sera pas notre tour ! Vous mourez en bon chrétien, et en bon français aussi, n'est-ce pas? — Oh ! oui ! monsieur le Curé, merci ! que je vous embrasse ! Je le reçois dans mes bras!... encore, dit-il, pour mes enfants !,.. Les gardes essuyant quelques larmes... J'aurai désiré que Poquérus passât par l'église pour lui donner la Sainte Communion. — Impossible, dit le capitaine, l'heure est écoulée ! Soldat Poquérus ! courage et confiance, dis-je alors au condamné, mourez en bon chrétien ! — Oui ! Oui ! monsieur le Curé, au revoir, chrétien et français toujours !...

Il est deux heures et demie du matin, la garde renforcée emboîte le pas, ils sont quinze soldats, le prisonnier est au milieu et en route pour le chemin de Soize où doit avoir lieu l'exécution. Je veux suivre jusqu'au bout l'infortuné. — Impossible, monsieur le Curé, un soldat va vous reconduire chez vous ! Et le capitaine pleure lui aussi. A deux heures quarante-cinq j'entends le feu de peloton exécuté par six hommes qu'on a fait venir du front via Chaumont. J'ai su le lendemain matin que Poquérus était mort courageusement : « Vive la France à bas l'Allemagne ! » II n'a pas le temps d'achever, et tombe criblé de balles, dont une à la gorge, une au bas-ventre et traversant son bras, les quatre, autres au cœur ?

Aussitôt, les motocyclistes partent dans toutes les communes de l'Etape où l'on annonce et affiche cet avis:

« Selon l'ordre de l'Inspecteur des Etapes du 1er mars 1915, ce matin, le soldat français du 10me régiment territorial, Poquérus Virgile, de la Ville-aux-Bois, est fusillé, parce qu'il est trouvé en civil dans le district de l'Etape, sans s'être rendu volontairement aux autorités allemandes.»                       

                                   . Noircourt, 13 juin 1915.

Le Commandant, kœrgling.

 

1915

 

C'est aujourd'hui le Jour de l'An, le jour de la nouvelle année. Nous apportera-t-elle la paix ? La victoire ? On l'espère.

Après le vacarme de la nuit, le calme est revenu.

A 8 h. 50, tous les soldats allemands sont réunis dans l'église: un pasteur protestant parle environ dix minutes. Un aumônier catholique lui succède et lit à haute vois une prière en allemand.

A 10 heures, j'ai célébré la grand'messe, mais je n'ai pas fait l'allocution accoutumée,... On est si triste... Le silence est parfois plus impressionnant.que les discours. A 11 heures, je suis allé à Lislet, j'ai dit la messe, mais sans dire un mot à l'assistance. Au cours de la matinée, toutes les formations de la garnison allemande se sont réunies sur la place de l'Hôtel-de-Ville. Le général a, le rassemblement formé et rangé à la prussienne, prononcé quelques paroles, Un triple hourrah, en l'honneur de l'empereur avait précédé ces paroles.

Pour nous. Quelle différence avec les années précédentes! Cette année, pas de réunions de famille, pas de visites, pas de lettres. Nous sommes prisonniers dans notre propre pays, ne pouvant presque sortir, rien recevoir, rien savoir.

Aujourd’hui, nous avons eu 500 grammes de pain par personne : ce sont nos étrennes, paraît-il.

La grande voix du canon retentit toujours, on dirait un glas permanent. Il y a bientôt cinq mois qu’a été affichée la déclaration de guerre. Où en sommes-nous ? Quel affreux cauchemar que cette ignorance absolue ! Jusqu'à présent, il n'a pas fait froid, mais il pleut presque toujours.

Quelles tortures pour les pauvres blessés couchés dans la boue pendant ces interminables nuits de janvier.

Tout le mois de janvier se passe à peu près de la même manière, absence de la moindre nouvelle, ennui, tristesse. Les vieillards supportent plus difficilement les privations que les gens moins âgés. M. Tombois, âgé de 86 ans. M. Peteau, âgé de 81 ans, me paraissent gravement atteints, à défaut de médecin, je vais les voir à peu près tous les jours.

Le dimanche 10 janvier, j'ai annoncé en chaire !a nouvelle suivante accueillie par tous avec grande reconnaissance : « Au nom de l'humanité, au nom de Sa charité chrétienne, le Souverain-Pontife Benoît XV, a demandé à tous les belligérants de renvoyer dans leurs nations respectives les prisonniers grands blessés qui ne pourraient plus combattre au cours de cette guerre. »

Le vendredi 15 janvier,- enterrement de M. Peteau. On dît que le Vésuve est en pleine éruption et que des milliers de personnes ont été victimes de cette éruption. Est-ce vrai ?

On dit qu'il y a eu un combat violent dans les environs de Soissons. Est-ce vrai ?

La ration de pain est diminuée. Si seulement à défaut de la quantité, la qualité était bonne !!!

Mardi 26 janvier – On annonce que personne ne doit garder de grains dans sa maison. Les Allemands préparent la fête de l’empereur qui aura lieu demain. Guirlandes dans les rues, retraite aux flambeaux à 8h1/2 du soir.

Jeudi 4 février 1915 – On entend de nouveau gronder le canon. Les roulements se succèdent presque sans interruption toute la journée.

Jeudi 4 mars – C’est aujourd’hui le 7ème mois de la guerre. Que c’est long ! Toutes les prévisions humaines sont en défaut. Les provisions, hélas, deviennent rares.

Dimanche 7 mars – Par ordre du général en chef, l’horloge de l’église doit être arrêtée.

Jeudi 11 mars – 200 prisonniers russes traversent Montcornet et sont dirigés vers Clermont-les –fermes.

Vendredi 9 avril 1915 – Une réunion composée des maires de la région se tient à Marle sous la présidence, m’a-t-dit, de maire de Lille, pour la grosse question du ravitaillement de la région dont les provisions et les ressources s’épuisent. Il a été décidé que la ration de pain serait augmentée et que les provisions arriveraient jusqu’à nous. Tant mieux !

Dimanche 18 avril – Midi, inauguration au cimetière d’un monument aux soldats allemands.

Mercredi 5 mai 1915 – On commence, chez Mr Godefroy boulanger, à tourner du pain blanc. Il parait que nous en aurons demain. C’est une véritable fête que d’avoir du pain blanc. On aura 250 g par personne que l’on paiera 0.25 Fr tandis qu’on payait plus cher le pain noir et qu’on ne recevait que 140 g par personne.

Lundi 25 mai – Il parait que l’Italie a déclaré la guerre à l’Autriche. Que de complications !

Juin.1915 — II y aura bientôt dix mois que nous sommes en guerre. — Et dire que de cette guerre, de ce qui se passe presque à notre porte nous ne savons absolument rien !

Jeudi 4 juin. L'autorité allemande a fait sonner toutes les cloches pour annoncer aux troupes la prise d'une citadelle en Galicie. Les prisonniers civils et plusieurs habitants ont été requis pour cette sonnerie qui a duré une demi-heure pleine, de 6 heures à 6 h. 1/2 du soir. Pauvres cloches, ce n'était pas à chanter les victoires de l'ennemi que vous étiez destinées !.;. Ceux qui n'ont pas entendu ces volées ne pourront jamais comprendre la douloureuse, l'inexprimable impression qu'elles produisaient dans tous les cœurs.

Ce même jour, plusieurs jeunes gens de Montcornet, de Chaourse et de Lislet sont requis d'aller travailler sur les routes, dans la région de Liart.

Vendredi 11juin. On annonce que demain tous les chevaux devront être conduits sur la Grand'Place, à 3 heures de l'après-midi, pour y être examinés. Les jours suivants, le canon fait toujours entendre sa grande voix.

Dimanche 20 juin. — Une affiche placardée fait savoir aux habitants que deux soldats, cachés dans les environs de Fraillicourt, ont été fusillés.

Ce même jour, tous les œufs sont réquisitionnés par l'armée-allemande.

Samedi 26 juin On annonce par le moyen d'une affiche posée à la Mairie (ancien bureau de tabac), que la commune de Fraillicourt et la commune voisine ont été condamnées à une forte amende pour avoir ravitaillé deux soldats français réfugiés dans les bois de cette communes et fusillés le 20 juin.

Mercredi 20 juillet 1915 – On annonce qu’on peut faire les provisions de charbon de terre pour l’hiver. Il faut s’adresser à la mairie. La guerre ne sera donc pas encore terminée.

Lundi 26 juillet – On annonce : qu’il est absolument interdit de glaner, d’apporter aux pays voisins du beurre et des œufs et de tendre des collets pour prendre du gibier.

Vendredi 30 juillet – Il y a aujourd’hui un an qu’avec Mr Romagny nous avons, pour la dernière fois, fait une promenade avec les enfants du Patronage !

Mercredi 4 aout  1915– On annonce que la permission de glaner qui avait été retirée précédemment est maintenant donnée aux malheureux, mais quand les champs sont récoltés complètement.

Jeudi 14 aout – Plusieurs femmes qui ont été glané dans les champs non encore complètement libres entrent en prison pour 3 jours et 3 nuits.

Mardi 31 aout – On annonce par ordre de la Kommandantur, l’interdiction de cueillir des pommes et des poires. Les fruits tombés sont seuls à la disposition des habitants.

Il y a aujourd'hui un an,1r septembre, que les uhlans sont entrés dans le pays, le traversant depuis le passage à niveau, jusqu'au petit chemin de Lislet, nommé vulgairement chemin du Curé.

Jeudi 2 septembre 1915 .On annonce que tous ceux qui ont des bons de l'armée allemande doivent porter ces bons à la Mairie où ils seront régularisés. Ce même jour, on annonce que les possesseurs de chèvres devront faire la .déclaration des dites chèvres

Lundi 6 septembre - Trois soldats français prisonniers traversent la ville, ils paraissent en parfaite santé. Ces trois soldats portent le nouvel, uniforme bleu, horizon, ce qui nous étonne beaucoup.

Ce même jour, on affiche que « un soldat français, nommé Gilbert, vêtu d'habits civils, a été fusillé dans la cour de la citadelle de. Laon, pour cause d'espionnage. »

Jeudi 16 septembre. — On annonce que tout propriétaire de chiens doit payer 20 marks, soit 25 francs par tête de chacun de ces animaux.

Mercredi 22 septembre On, annonce que la population doit saluer les officiers allemands. Les; gens un peu avisés sortent nu-tête pour échapper à ce salut humiliant pour nous. Le canon gronde toujours et bien fort.

Jeudi 23 septembre.- On annonce que par ordre de la Kommandantur il est interdit de pénétrer sans permission dans les locaux ayant servi de logement aux soldats

Dimanche 26 septembre On attend un convoi d'évacués de Menneville, Pauvres gens. Pour beaucoup, l'évacuation en temps de guerre, c'est la mort. Vers une heure du matin, 175 personnes de Menneville arrivent à Montcornet. Le trajet a été bien long et bien douloureux. Le trajet s'est effectué, tantôt en chariot, tantôt en chemin de fer. Malgré toutes leurs souffrances, ces pauvres gens, qui ont tout laissé là-bas, se portent assez bien. La caravane est logée dans les granges et les bâtiments de la ferme de M. Oscar Petit, rue Saint-Martin. Vers 7 heurés M. le Curé de Menneville, vieillard de 76 ans, marchant péniblement par suite d'une blessure antérieure, vient dire la Sainte messe à l'Eglise. N'ayant pas de chambre libre, je ne puis offrir à mon confrère que de manger ensemble la ration attribuée à chacun de nous.

Mardi 28septembre On annonce — vraiment ils y tiennent— qu'il faut saluer les officiers allemands. Il faut le faire, écoutez bien, non en portant la main à la tête, mais en ôtant sa coiffure. C'est la deuxième publication, il paraît que ce n'est pas, la dernière. Les femmes rient de tout leur cœur puisqu'elles ne peuvent ôter leur coiffure, et sont, par là même, et officiellement, dispensées de saluer.

Ce même jour, on annonce que les fruits appartiennent, non à la population en général, mais à leurs propriétaires.

Jeudi 30 septembre – On annonce que de nombreux avions ennemis ont atterri en territoire occupé et y on déposé des espions ; à ce sujet, il est porté à la connaissance de la population, que tous les aviateurs ennemis ou les personnes qu'ils auront déposées seront fusillées. Seront également fusillées toutes les personnes qui les logeront ou leur donneront des secours; toutes les personnes qui connaissent le lieu où sont aviateurs et espions, ne les dénonceront pas à la Kommandantur

Samedi 2 octobre.1915 On annonce que le nombre de volailles de toute espèce possédées par chacun doit être déclaré à la Kommandantur. On annonce qu'il faut remettre à la Kommandantur tous les appareils photographiques.

Lundi 4 octobre — On annonce qu'il faut se garder, sous peine de punition grave, de détériorer les appareils et les fils télégraphiques et téléphoniques. Défense de cacher ou de dissimuler des voitures ou des automobiles.

Samedi 9 octobre On annonce qu'il faut déclarer à la Kommandantur : 1° tous les cochons d'Inde possédés par les habitants ; 2° indiquer en kilogrammes la quantité de pommes de terre récoltées dans les champs ou même dans les jardins. C'est une mesure bien pénible.

Dimanche 10 octobre. On annonce qu'on ne peut sortir en ville que de 6 heures du matin à 8 heures du soir. Qu'il est défendu le matin et le soir, avant ou après le jour, de s'approcher des voies ferrées. On s'exposerait à être atteint par les balles des patrouilles qui circulent sur ces voies.

L'après-midi, la grande voix du canon retentit de tous côtés.

Lundi 11 octobre. C'est aujourd'hui qu'on doit aller à la Mairie (c'est le bureau de tabac qui sert de Mairie) déclarer en kilogrammes la somme de pommes de terre que chacun possède. J'ai déclaré environ 12 kilogrammes, beaucoup de tubercules étant déjà gâtés.

Mercredi 13 octobre On annonce qu'il est défendu de recevoir ou de nourrir les prisonniers russes qui se seraient évadés.

Jeudi 14 octobre. — On annonce : 1° qu'on ne peut sortir dans les rues que de 6 heures du matin à 7 heures du soir ; 2° qu'on est invité à lire les affiches rouges placardées à la mairie. Ce sont des mesures extrêmement sévères, relatives aux précautions de sûreté relatives aux voies ferrées. Il y a peine de mort contre ceux qui contreviendraient à ces ordres.

Dimanche 17 octobre. On annonce le nom des otages désignés hier par la Kommandantur. Ce sont MM. Alfred Watteau et Paul Bontemps. Dans l'annonce publiée dans les rues, l'autorité municipale fait appel au bon esprit de la population pour éviter tout malheur.

A Lislet, ce sont MM. Merlin et Rapin qui sont désignés.

Mercredi 20 octobre On annonce que ceux qui possèdent des harnais à âne, doivent en faire la déclaration à la Kommandantur. De plus, on réclame (c'est la troisième publication, mais ce n'est peut-être pas la dernière) que la population civile doit le salut aux officiers.

Samedi 23 octobre. De nombreux convois descendent de Rozoy. Déjà hier, beaucoup avaient traversé le pays. Le soir, un soldat allemand est tué accidentellement.

Dimanche 24 octobre. II y a eu, dans l'église malheureusement, une grande réunion de tous les soldats protestants, pour célébrer le 500ème anniversaire de l'entrée des Hohenzollern dans le Brandebourg.

Mercredi 27 octobre. Les matinées et les soirées sont déjà bien froides.

On fait partout beaucoup de cidre. Malheureusement, les tonneaux font défaut.

Samedi 6 novembre.1915 II y a du nouveau. On annonce qu'il faut déclarer à la Kommandantur les vins et les spiritueux, les objets en bronze, cuivre, nickel, étain (sauf certains objets d'utilité première ou de valeur artistique), les armes ou objets militaires provenant d'équipements français ou allemands.

Aujourd'hui aussi doit être faite à la Mairie la déclaration des diverses valeurs possédées par chacun.

Mardi 9 novembre. C'est aujourd'hui que doivent être faites les déclarations des objets indiqués dans l'annonce du 6 novembre. A partir du jeudi 11 novembre, on perquisitionnera dans chaque maison. Que c'est douloureux une perquisition par l'ennemi dans sa propre maison !

Aujourd'hui j'apprends que M. Moussu, curé de Mons-en-Laonnois est évacué à Résigny dont le curé, M. Gobaille, est au front. L'aumônerie militaire allemande m'informe que notre Saint Père le Pape a chargé Mgr l'Evêque de Namur de s'occuper des prêtres des diocèses envahis.

Jeudi 11 novembre. Fête de Saint Martin, patron de la paroisse. Une affiche verte datée de ce jour annonce aux mobilisables qu'ils doivent se considérer comme prisonniers de guerre.

Vendredi 12 novembre. Autrefois, était le jour de la grande foire de Saint-Martin. Aujourd'hui une profonde tristesse remplace les bruyantes joies du passé.

On annonce que les passeports délivrés pour les champs doivent être déposés à la Mairie ; et que tous les hommes ayant été mobilisés pour quelque service que ce soit depuis la déclaration de guerre, doivent porter leur livret individuel à la Mairie. A partir du 20 novembre ils seront considérés comme prisonniers de guerre.

Samedi 13 novembre. - Nouvelle réglementation des passeports ; il est de plus en plus difficile d'aller d'un village — même tout voisin — à un autre.

Lundi 15 novembre. On annonce la présence d'un soldat anglais se disant américain et circulant dans le district de l'Inspection. Obligation, porte l'annonce, de le dénoncer aux autorités militaires allemandes.

Aujourd'hui la neige tombe toute la matinée. Tout contribue à rendre plus triste la situation.

Lundi 22 novembre. On annonce la réquisition des peaux de lapins, ces peaux doivent être portées à la boucherie allemande.

Il faut ménager la paille. Il faut, dans les écuries, pour reliter les animaux, remplacer la paille par la sciure de bois, qui sera délivrée gratuitement. Il faut ramasser au plus tôt les fruits qui restent encore. Il faut déclarer à la Mairie les chaînes propres à attacher les bestiaux. On annonce aussi que demain on distribuera les pommes de terre qui auraient dû être distribuées le 15 novembre. Cette distribution aura lieu à la maison Peyron. On aura 200 grammes par tête et par jour ce n'est pas gros, 200 grammes de pommes de terre !

Mercredi 24 novembre. Les habitants doivent se présenter à la Mairie pour recevoir leur carte d'identité. Ces cartes sont exclusivement personnelles et doivent être portées même pour circuler dans l'intérieur du pays. Qui perdra sa carte paiera une amende de deux marks.

Vendredi 26 novembre. On annonce que toutes les quantités de fruits à dessert sont à déclarer à la Mairie avant demain soir. On annonce aussi la défense absolue pour tout le monde, même pour les enfants, de pénétrer dans le parc d'automobiles de la sucrerie. Punition très sévère pour ceux qui seraient pris, ils seront considérés comme prisonniers de guerre.

Dimanche 28 novembre. Le canon gronde bien fort et le froid est intense. Il gèle à pierre fendre.

1er décembre.1914 Autrefois on fêtait joyeusement Saint Eloi. Aujourd'hui c'est la terrible voix du canon qui remplace le gai carillon des cloches.

Vendredi 3 décembre. — Aujourd'hui la commune a versé quatorze mille six cent et quelques francs pour nouvelle contribution de guerre. Les autres communes du canton ont versé une somme proportionnée au nombre d'habitants.

Mardi 7 décembre. — On annonce que les personnes qui ont des machines à coudre inutilisées ou appartenant à des habitants ayant quitté le pays, doivent en faire aujourd'hui même la déclaration à la Kommandantur.

Vendredi 10 décembre. — On annonce qu'il faut déclarer à la Kommandantur les bascules à peser et les cochons d'Inde. On annonce qu'en cas d'incendie la nuit, on sonnerait le tocsin ; des hommes désignés à cet effet se rendraient aussitôt à la mairie pour porter secours là ou besoin serait. On annonce aussi qu'il faut prendre les mesures d'hygiène relativement aux cabinets d'aisance. On passera dans chaque maison pour s'assurer que ces mesures ont été prises.

On rationne les bêtes comme les gens. Les bœufs et les vaches ne doivent avoir chaque jour qu'une ration de foin restreinte. Ce jour, la corde de la cloche qui sonnait la messe basse et à l'occasion l'incendie, a été descendue et la clef extérieure de l'église m'a été enlevée.

Mercredi 15 décembre. On annonce que se prépare un départ pour la France non occupée. Pourront être admis dans ce convoi :

1° Les femmes et les enfants privés de leur soutien et ne pouvant subvenir à leurs besoins.

2° Les enfants que la guerre a séparés de leur famille.

3° Les malades, surtout les poitrinaires, qui ne peuvent trouver ici les soins nécessaires à leur état.

4° Les femmes et les enfants des classes aisées dont les ressources s'épuisent.

5° Les hommes hors âge militaire qui, incapables de travailler, sont à la charge de la commune.

6° Les personnes du service sanitaire français dont les services ne sont plus nécessaires ici.

Dans le district de Montcornet, soixante-quinze personnes seront autorisées à prendre part à ce voyage, ceux et celles qui désirent partir auront à faire leur demande au plus tôt, dans les premiers jours de janvier.

On annonce aussi que les propriétaires de lapins doivent faire à la Kommandantur la déclaration de ces animaux jusqu'à vendredi soir, dernier délai. Une équipe de boulangers qui, la veille, avait installé une tente sur la place Saint-Martin, quitte le pays. De la guerre, aucune nouvelle.

Jeudi 16 décembre. — Le dégel rend la circulation à peu près impossible jusque vers 10 heures du matin.

Lundi 20 décembre. — On annonce que le départ projeté n'aura pas lieu. Que d'espérances encore une fois évanouies.

Mercredi 22 décembre. — A Montcornet, a lieu sous la présidence de M. Letellier, de Vervins, une réunion de MM. les Maires de la région, relativement aux obligations diverses à déposer. On sait que le 1er novembre, la Kommandantur avait fait annoncer que toute personne possédant des valeurs devait en faire la déclaration.

Vendredi 24 décembre. — Veille de Noël. Toute la garnison allemande a assisté dans l'église à une cérémonie à peu près semblable à celle qui a eu lieu l'an passé, à la même époque ; cette année, la dite cérémonie a été bien plus modeste, elle a duré une heure, de 4 h. 1/2 à 5 h. 1/2 du soir. Cette-année encore, pas de messe de minuit. La belle fête de Noël, aucune joyeuse volée de cloche ne l'annonce. C'est le canon qui tonne. Que c'est triste ! Nous n'aurions jamais cru, l'an passé, à cette époque, être encore dans les douloureuses circonstances où nous nous trouvons.

Jeudi 30 décembre. —J'obtiens un passeport pour retourner à Vincy voir Mme Godet et plusieurs autres malades.

Ce même jour, on annonce que les possesseurs de harnais de, chevaux doivent faire la déclaration de ces objets à la Kommandantur.

Vendredi 31 décembre. — Dernier jour de l'année. A 5 heures du soir, Salut solennel de fin d'année, beaucoup de monde à cet office.

Espérons que l'an prochain, à cette époque, nos ennemis seront partis... et depuis longtemps.

 

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1916

1er janvier. Que c'est triste un jour de l'an en pays envahi ! Plus de réunions de famille, plus de souhaits offerts à ceux que l'on rencontre. Un seul souhait que tout le monde forme au fond de son cœur mais qu'on n'exprime pas : Le retour de nos soldats. Quelles belles étrennes si on voyait arriver un régiment français !

A la messe et au salut, nombreuse assistance.

3 janvier, On annonce qu'il faut déclarer à la Kommandantur les sacs à engrais. On annonce aussi que les personnes qui désirent des graines pour ensemencer les jardins potagers doivent en faire la demande à la Kommandantur qui en fixera le prix ultérieurement.

On annonce .qu'il est interdit de vendre le beurre à la population plus de trois francs le kilogramme. Il est interdit de vendre directement du beurre aux soldats, chaque commune devant en livrer une certaine quantité par semaine à la Kommandantur. Il est défendu de faire du fromage avec du lait non écrémé. Les fromages ainsi fabriqués ne seront pas vendus plus de 0 Fr.75 le kilo.

Les sacs à engrais réclamés par la Kommandantur doivent être livrés avant le 5 janvier. Passé ce jour, les gendarmes pourront faire des perquisitions pour voir si cet ordre a été exécuté.

Dans ces premiers jours de janvier, plusieurs familles reçoivent des lettres de parents prisonniers. Une lettre de France ou d’un prisonnier parent, quel bonheur.

Jeudi 6 janvier. On affiche le discours prononcé au mois de décembre dernier par le Chancelier de l'Empire d'Allemagne.

Ce même jour, on affiche aussi que deux soldats français, pris dans l'Inspection, ont été fusillés à Sains-Richaumont.

Vendredi 7 janvier. La température est toujours très humide. Aujourd'hui c'est, parait-il, la fête du roi de Bavière, les soldats bavarois logés au pensionnat Simon ont, à cette occasion, pavoisé et enguirlandé la maison. De la guerre nous ne savons absolument rien.

Lundi 10 janvier. Une affiche placée à la Mairie annonce qu'un soldat français, reconnu malgré son costume civil dans l'Inspection, a été fusillé à La Fère.

Vendredi 14 janvier. — Réquisition de bestiaux et de vaches laitières.

Mercredi 19 janvier. On annonce que tous les paniers à volaille, les caisses destinées au transport des poules doivent être portés à la Kommandantur ; on devra les marquer afin qu'ils puissent être reconnus.

Vendredi 21 janvier. On annonce que tous les enfants en âge scolaire doivent fréquenter exactement l'école ; il leur est absolument interdit de vagabonder dans les rues.

On annonce, ce même jour, que d'ici à après-demain soir les habitants doivent déclarer les quantités de buis pouvant être-utilisées pour les bordures ainsi que les plantes vertes pouvant servir à garnir les tombes.

Ce même jour encore, on annonce que toutes les pommes de terre cachées doivent être déclarées jusqu'au 5 février. Si après-cette date on en trouve encore des quantités cachées, des punitions très sévères seront infligées et aux propriétaires des pommes de terre et aux communes. On annonce enfin qu'à la date du 13 janvier dernier, le Monténégro a demandé la paix sans conditions.

Samedi 22 janvier. — On annonce qu'il faut déclarer à la Kommandantur les palans, moufles, poulies et objets divers destinés à soulever des fardeaux, les boulons et les cercles de-voitures.

Mardi 25 janvier. On annonce qu'il faut déclarer à la Kommandantur les tonneaux vides et les câbles et grosses cordes.

Mercredi 26 janvier. Je suis allé voir les enfants à l'école- de Lislet et ensuite saluer M. Catherin, qui remplit les fonctions de Maire à Lislet et me paraît bien malade. Ce même jour, à 8 heures du soir, a eu lieu la retraite en musique dans les rues de la ville, à l'occasion de l'anniversaire de la naissance de l’Empereur qui sera fêté demain.

Jeudi 27 janvier. A l’ occasion de l'anniversaire de la naissance de l'Empereur Guillaume, la musique militaire parcourt, vers 7 h. 1/2, les rues de la ville; à 9 heures, un aumônier allemand chante la messe à laquelle assistent les soldats catholiques : à 10 h. 1/2, il y a une réunion pour les soldats protestants. Les maisons habitées par des officiers sont pavoisées. A une maison, maison de Mme Lefort, rue de la Gare, flotte le drapeau ottoman. Quel crève-cœur !

Samedi 29 janvier — On annonce que toute personne logeant une nuit dans une commune qui n'est pas la sienne, doit faire la déclaration de ce séjour à la Mairie de la commune où elle prend gîte; le tout sous peine de punition à la commune où la personne étrangère a été hébergée.

Dimanche 30  janvier — On distribue des sabots aux indigents. Ce même jour, on apprend que, conformément au vœu du Souverain Pontife, les prisonniers civils âgés de moins de 17 ans on de plus de 55, ans seront renvoyés dans leur propre patrie.

Samedi 5 février 1916. On annonce qu'il faut déclarer à la Kommandantur les objets de travail suivants : machines à percer à main, tarières, étaux, gros marteaux, limes, courroies en cuir disponibles. — Aujourd'hui par suite d'un accident survenu au bélier hydraulique l'eau fait défaut partout.

Mardi 8 février. — Le recensement qui vient d'être fait donne le résultat suivant: il y a actuellement 1.175 habitants à Montcornet, y compris 75 évacués de Menneville.

Mercredi 9 février. — Visite à tous les malades de Lislet. Ce même jour on annonce qu'il faut remettre à la Mairie les objets laissés dans les logis occupés par les soldats allemands de passage, II faut aussi déclarer les provisions de pommes de terre réservées pour la plante.

Vendredi 18 février. — Un soldat accompagné d'un civil passe dans chaque maison pour vérifier le nombre d'animaux : vaches, poules, lapins.

Samedi 19 février. — Une affiche fait connaître à la population que deux tirailleurs trouvés dans la circonscription de l'étape ont été fusillés.

Mardi 22 février. Dans la nuit du 21 au 22 février, le canon tonne. Ce même jour on annonce qu'il faut déclarer à la Kommandantur les cuves que l'on possède. Ce même jour on annonce encore (c'est au moins la quatrième publication) qu'il faut saluer les officiers, cet ordre est rappelé surtout aux jeunes gens, dit l'annonce.

Mardi 29 février. —On fait les annonces suivantes :

1° Par ordre de la Kommandantur, la culture des légumes dans les jardins est aussi urgente que la culture des champs, les légumes récoltés dans les jardins appartiendront aux horticulteurs. La Kommandantur s'engage à acheter aux horticulteurs tous les légumes surpassant leurs propres besoins à des prix à fixer ultérieurement. La Kommandantur ordonne de cultiver les jardins intégralement. Elle s'assurera par un contrôle régulier du progrès de la culture des légumes. Les horticulteurs négligents perdront la jouissance de leurs jardins qui seront cultivés par la Kommandantur. La récolte des jardins saisis sera enlevée sans aucune rétribution, en outre, le nom du négligent sera annoncé publiquement afin que la commune connaisse ceux de ses membres qui portent préjudice à la commune. Il va sans dire que la Kommandantur les punira.

2° Les ustensiles de tout genre, soit cuivre, alliage, étain, aluminium, nickel et dont les propriétaires sont absents sont réquisitionnés et à livrer à la mairie jusqu'au 6 mars. Les objets du culte et d'art sont hors de réquisition.

3° A partir de demain la circulation est permise entre 5 heures du matin et 9 heures du soir pour les travailleurs des champs et non pour les promeneurs.

4° La fabrication d'eau-de-vie de cidre est strictement interdite et tous les appareils servant à distiller sont à livrer à la Kommandantur jusqu'au 7 mars au plus tard. Les contrevenants seront punis très sévèrement.

50 La distribution des nouvelles cartes d'identité, se fera demain à partir de 2 heures pour les rues des Juifs, de la Sucrerie, de la Gare, de la Fontaine, la place et après-demain à partir de 2 heures pour les autres rues. Les anciennes cartes devront être rendues et les personnes ayant des laissez-passer des champs devront les rapporter à la Mairie pour changer les numéros.

Le mois de février est passé... et encore rien de nouveau. Les prisonniers que parfois on rencontre disent en passant: « Ça va bien, on les aura. » Tant mieux, Dieu le veuille et bientôt !

Jeudi 3 mars 1916 – Le commandant fait savoir :

« 1° En cas d’incendie, on sonnera le tocsin.

2° En cas de passage d’aéroplanes jetant des projectiles, on sonnera des coups isolés. Tout le monde doit se garder des projectiles où et comme il pourra, soit en descendant à la cave, ou en s’abritant de son mieux.

3° Il faut laisser les portes de chaque maison ouvertes afin que chacun puisse, en cas de danger, se mettre à l’abri »

Mercredi 15 mars On annonce que les ferrailles, les cordes et les ficelles sont réquisitionnées. Ce même jour, plusieurs personnes honorables sont appréhendées pour n'avoir pas salué les officiers allemands.

Lundi 20 mars – « La kommandantur fait défense aux femmes de stationner et de parler en conciliabule sur les pas de porte. Toutes doivent s’occuper aux travaux de jardinage. Il est aussi entendu qu’on va dans les champs, non pour se promener, mais pour travailler (de 6 heures à 11 heures et de 1 heure à 6 heures). Aucun cheval ne doit rester à l’écurie. »

Samedi .25 mars — On indique dans une affiche imprimée en français et en allemand les mesures à prendre contre l'invasion des mouches dangereuses. On annonce aussi qu'il faut faire connaître à l'autorité militaire allemande le lieu où des ballons français auraient touché terre.

Lundi 27 mars. On annonce l'ouverture d'un bureau de change où les diverses monnaies pourront être échangées

1er avril 1916 – «1° Il est défendu aux femmes d’aller aux pissenlits plusieurs à la fois et il est sévèrement défendu de ramasser du bois mort. 2° Dans le but de détruire les mouches et les insectes, la pêche aux grenouilles est interdite jusqu’au 1er juin. »

Lundi 10 avril. Des jeunes gens et des femmes sont requis pour aller dans les champs détruire les taupinières et planter des pommes de terre, ce même jour on annonce qu'il faut livrer les poids en cuivre non utilisés et déclarer ceux dont on fait usage. On peut demander à la mairie les différentes graines nécessaires à l'ensemencement des terres.

Mercredi 12 avril. On commence la distribution des pommes de terre destinées à être plantées, 20 kilogrammes par are. Les superficies déclarées seront vérifiées.

Jeudi 13 avril, On annonce .qu'il faut avant demain soir déclarer par écrit à la mairie les poids en fonte dont on ne se sert pas, avec l'indication du poids de chacun. Qu'il faut déclarer avant le 16 courant les filets tressés et autres étoffes de gaze pouvant servir à empêcher les mouches de pénétrer à l'intérieur des maisons, et toutes les quantités existant de fil de coco.

Mardi 18 avril. On annonce que le braconnage est interdit. Les propriétaires des chevaux doivent les tenir en bon état, surtout veiller à leur ferrure. Il faut parler très distinctement et lentement aux officiers afin d'être compris d'eux. Le salut aux officiers est obligatoire même quand ceux-ci sont en automobile. On est obligé de déclarer avant le 20 courant les quantités d'étoffe ou de toile pouvant servir au transport de la viande.

Jeudi 27 avril. Pâques des malades. Ce même jour, on annonce qu'il est défendu aux civils de vendre ou d'offrir aux soldats toute boisson alcoolique et aux soldats d'entrer dans les auberges françaises et d'acheter ou d'accepter des boissons alcooliques.

On annonce que tout propriétaire de volailles doit fournir à la Kommandantur deux œufs par semaine par tête de volaille; poule, coq, poussin, (mesure qui nous privera à peu près complètement d'œufs)

Dimanche 30 avril On annonce qu'aujourd'hui à 11 heures du soir, toutes les horloges seront avancées d'une heure. Les ouvriers des champs devront se conformer à cette nouvelle heure à partir de demain. Le soir, ouverture du mois de Marie.

Jeudi 4 mai 1916La Kommandantur fait annoncer «que 1° toute disparition ou mort d'un animal quelconque, volaille, lapin, doit être déclarée aussitôt à la mairie;que les cadavres ne doivent être enterrés qu'après la constatation de la mort des dits animaux faite par l'autorité allemande»

Lundi 8 mai. La Kommandantur fait annoncer que demain soir, dernier délai, les débitants de boissons, actuellement en exercice, devront faire à la mairie et par écrit une déclaration indiquant pour chaque mois le montant des ventes des trois derniers mois.

Jusqu'au 31 courant, toutes les quantités de cidre ou d'autres boissons provenant de fruits doivent être déclarées à la mairie, non seulement par les débitants, mais par toutes personnes possédant ces boissons.

Ce même jour le commandant rappelle à la population qu'elle doit saluer respectueusement!! les officiers, même en automobile. On doit, porte l'annonce, se découvrir complètement en allongeant le bras.

Mercredi 10 mai. A 7 heures du matin, la Kommandantur fait annoncer "que l'Inspecteur général visitera la commune de 9 heures du matin à 2 heures de l'après-midi. Encore une fois, rappel de l'obligation de saluer les officiers. Chaque habitant doit balayer sa porte avant le passage de l'Inspecteur.

Samedi 15 mai. — On annonce que les chiens, avec les renseignements spéciaux se rapportant à chacun d'eux, doivent être déclarés aujourd'hui même à la mairie

Mercredi 17 mai, La Kommandantur ordonne: « Tous doivent déclarer à la mairie les stocks de caoutchouc de tout genre qu'ils pourraient avoir. Il est défendu de toucher aux divers travaux d'instruction faits dans les champs par les troupes allemandes. Jusqu'au 20 mai courant, dernier délai, les habitants sont tenus de déclarer les faux, marteaux, enclumeaux, fourches etc., etc. »

Lundi 5 juin 1916 – On annonce que : 1° Les récoltes de fourrage et de foin ne seront point transportées dans les granges, mais devront être mises en meules aussi grosses que possible;

2° A l’ avenir les contrevenants aux ordres donnés pour la circulation des habitants seront punis plus sévèrement que précédemment;

3° On est autorisé à ne pas travailler le jour de la Pentecôte, mais le lendemain on doit travailler toute la journée

4° M. Prince Clotaire, de Soize, a été puni de vingt-huit jours de cachot parce qu'il a enlevé de la main du garde-champêtre, qu'il a tiré par le derrière, un ordre de la Kommandantur au moment où celui-ci voulait annoncer cet ordre en présence de la population assemblée et des soldats. Ensuite, il s'est mal conduit à l'égard des soldats allemands et a négligé la culture de ses terres. Après avoir subi sa punition, il sera placé dans une section d'ouvriers

5° les propriétaires de cochons d'Inde doivent les déclarer à la mairie jusqu’â demain a midi

6°Les cochons forains seront payés en bons régionaux ;

7° Les propriétaires de volailles doivent déclarer à la mairie jusqu’à demain à midi combien il y a de coqs et de poules dans la quantité de volailles précédemment déclarée,

Mardi et mercredi 6 et 7.juin. — II pleut toujours, les récoltes paraissaient si belles. Au fond, nous sommes contents de les voir bien endommagées par le mauvais temps.

Lundi 12 juin – De la part de la Kommandantur, on a fait l’annonce suivante : les possesseurs de rasettes et de paniers  doivent les déclarer à la mairie jusqu’au 14 courant.

L’échange des cartes d’identité aura lieu mercredi 14 à partir de 2h du soir.

Les personnes chez lesquelles il a été réquisitionné des chaudières pour l’armée allemande sont priées de faire leur déclaration à la mairie.

Samedi 24 juin – La Kommandantur ordonne : à partir de ce jour, tout le monde doit travailler aussi les dimanches et même le jour de la fête Dieu à cause de la fenaison.

Mardi 27 juin – La Kommandantur demande qu’on ramasse les herbes pharmaceutiques : tilleul, camomille etc et les personnes qui en laisseront à la Kommandantur seront payées. Tous les tonneaux utilisables et disponibles doivent être fournis à la Kommandantur d’ici à demain à midi.

Tous les loquets en cuivre ou laiton doivent être livrés à la mairie d’ici vendredi et il sera donné en remplacement des loquets en fer.

Jeudi 29 juin. On annonce : Par ordre de la Kommandantur les possesseurs de pompes en cuivre doivent les déclarer à la mairie jusqu'au 1r juillet, dernier délai.

Ils doivent déclarer séparément: les pompes fixées aux murs et les pompes isolées sur socle. Toutes les pompes en cuivre seront remplacées par des pompes en fer. Les pompes non-déclarées seront enlevées sans être remplacées. La Kommandantur ordonne aussi ce qui suit: Les eaux de pluies ne doivent être employées qu'après avoir été bouillies. Là où il y a des puits détruits parce que les chaînes du treuil sont cassées et tombées avec les seaux dans le fond, on doit les retirer, réparer les chaînes ou les remplacer par de nouvelles attaches pour qu'on puisse se servir de ces puits

Dimanche 2 juillet 1916 – La Kommandantur fait annoncer que :

Tous les fruits hâtifs, spécialement les fraises, les groseilles vertes (à maquereaux), les prunes, les groseilles et les cerises, sont réquisitionnés par l'autorité allemande. Le sixième du rendement seul est laissé aux propriétaires pour leurs propres besoins. Les prix à payer seront fixés ultérieurement.

Les fruits doivent être fournis journellement, pendant l'après-midi au plus tard, jusqu'à 5 heures du soir. La première livraison doit être faite lundi 3 juillet. Tous les fruits doivent être emballés dans des paniers, de manière qu'il soit possible de les transporter par le chemin de fer sans nouvel emballage.

Dans le cas où l'on fournirait trop peu de fruits, on fera enlever tous les fruits par des patrouilles.

Jeudi 6 Juillet. La Kommandantur fait annoncer que le beau temps est revenu et permet de faner les foins. Toutes les personnes qui seront trouvées dans les maisons ou qui essaieront de se cacher, seront punies très sévèrement et on les mettra dans une section de travail. Chaque personne qui ne travaillera pas au foin et qui n'est pas destinée, par ordre, à des travaux plus indispensables, doit posséder un certificat la dispensant du travail du foin.

Samedi 8 Juillet. — On annonce que tout passage d'aéroplane susceptible de jeter des bombes sur la localité, sera signalé par trois coups de cloche espacés. Aussitôt, à ce signal, les habitants doivent laisser leurs portes ouvertes. Comme suite de ce rappel, les habitants sont informés qu'une expérience de ce genre sera faite aujourd'hui, à 12 h. 1/2 précises.

Mercredi 12 Juillet, — La Kommandantur fait annoncer que

1° Toute fête officielle est défendue. — Il est spécialement défendu d'arborer des drapeaux, de faire des illuminations, de porter des insignes nationaux aux vêtements.

2° Il est défendu de mettre des rubans tricolores aux étalages des magasins, de faire une manifestation quelconque.

3° Les travaux de culture doivent être continués comme chaque jour,

Mercredi 19 Juillet. On annonce par ordre de la Kommandantur que :

1° Les enfants au-dessus de huit ans doivent avoir des laissez-passer pour aller aux champs, ou avoir leurs noms inscrits sur le laissez-passer de la personne qui les accompagne.

2° La livraison des fruits doit avoir lieu chaque jour.

3° II est défendu de fermer les maisons à clef. Les agents devant constater que tout le monde est aux champs.

4° II est défendu d'abattre des chênes comme bois de chauffage.

5° Il est défendu d'allerau bois dans la journée, on ne peut aller au bois que les jours de pluie, ou le soir après les travaux des champs.

6° Il est défendu de prendre des chevaux de culture pour charrier du bois, excepté les jours où les chevaux ne sont pas employés aux champs ou à d'autres travaux commandés par l'armée allemande.

Jeudi 27 Juillet. - On annonce qu’un dernier délai a été accordé pour la remise des loquets de porte en cuivre Ce délai expire samedi soir. La semaine prochaine on s'assurera que tous les loquets ont été remis. Si on en trouve, ils seront enlevés et non remplacés par des loquets en fer et les propriétaires pourront être punis sévèrement.

Lundi 31 Juillet. -— On annonce que: 1° Les noyaux de fruits, cerises, cerises sauvages, prunes, mirabelles, reine-claude, abricots, pépins de citrouille, doivent être mis de côté. On peut aussi conserver les noyaux de fruits cuits ou sèches.

Les autres sortes de noyaux ou de pépins que ceux nommes ci-dessus ne sont pas à conserver. Les noyaux doivent provenir de fruits mûrs. Ces noyaux et pépins doivent être livrés à la Mairie, nettoyés, séchés, séparés par sortes de fruits, on doit éviter qu'il reste de la chair de fruits autour des noyaux. Le séchage doit être fait au soleil.

2° La vente d'œufs, beurre, fromage, aux civils et aux soldats, est défendue.

3° Les laissez-passer sont donnés non pour se promener, mais pour travailler. Les personnes qui seraient rencontrées se promenant, seront punies.

4° Les habitants doivent rentrer à leur domicile à 10 heures du soir.

5° Jusqu'à nouvel ordre, on doit travailler tous les dimanches aux mêmes heures que dans la journée de semaine.

1er août 1916. — II y a aujourd'hui deux ans qu'au son du tocsin a été annoncée, vers 5 heures du soir, la mobilisation. Deux ans que c'est long ! et cependant il semble que c'est hier que retentissait ce lugubre appel de la cloche.

Jeudi 3 août. — II y a aujourd'hui deux ans qu'après la messe dite à une heure très matinale, à 4 h. 1/2, nos compatriotes quittaient leurs familles pour aller défendre la France.

Vendredi 4 août. — Rien de nouveau. On dit.que la partie sud du département a bien souffert. Pauvre département, comme il est flagellé ! Ici la sucrerie est hors d'usage, les pensionnats sont transformés en casernes, les maisons abandonnées en ambulances. L'invasion ! Quelle douloureuse chose. Quand donc finira ce cauchemar ? On dit, mais on dit tant de choses, qu'en haut lieu on parle de la paix. Est-ce vrai ? Est-ce même: possible en ce-moment ? Nous l'espérons bien.

Depuis quelques jours, les travaux de la moisson sont, commencés et sont poussés activement. Aujourd'hui même des camions-automobiles conduisent sur le territoire de la Ville aux-Bois les personnes réquisitionnées pour travailler aux champs.

Samedi 5 août. — On fait l'annonce suivante : La population est informée qu'une distribution de chaussures et d'habillements, provenant de dons américains, aura lieu demain dimanche à 3 heures pour les personnes pouvant payer et lundi à 5 heures, pour celles qui ne peuvent pas payer. Cette distribution aura lieu au n° 28 de la place de l’Hôtel-de-Ville elle aura lieu par le moyen du tirage au sort, mesure qui paraît devoir couper court à toutes les réclamations.

Dimanche 6 août. — A 3 heures de l'après-midi, tirage au sort pour les personnes qui paient des objets envoyés par les Américains. Les objets livrés aujourd'hui ne sont pas trop chers. Le tirage au sort des objets devant être distribués gratuitement aura lieu demain.

Lundi 7 août. On prépare des lits dans toutes les maisons inoccupées. Ce même jour, la maison de M. Paul Caron, rue de la Gare, est transformée en ambulance.

Mardi 8 août, On annonce : « La population est informée que la Kommandantur demande des hommes pour la surveillance des meules et des granges où sont rentrées les récoltes. »

Jeudi 10 août. — On annonce que : « Par ordre de la Kommandantur il est défendu de fumer dans les granges et en faisant des meules. Les habitants sont informés qu'ils sont responsables de la propreté des trottoirs et des ruisseaux en face de leurs maisons. Les herbes, papiers, bouteilles cassées, ordures, etc., doivent être enlevés. Il est défendu de jeter des eaux sales sur la voie publique. Un médecin passera prochainement dans chaque maison pour la visite des cours et des cabinets d'aisance. »

Vendredi 11 août On annonce: « Par ordre de la Kommandantur, les propriétaires de volailles doivent déclarer à la. Mairie, jusqu'au dimanche soir 13 août, le nombre de poules âgées de plus de trois ans, coqs et jeunes poulets. Il est recommandé de prendre connaissance des affiches placardées concernant les pénalités applicables aux contrevenants. » De la guerre, rien de nouveau.

Samedi 12 août. — Aujourd'hui soir on donne congé dans les écoles jusqu'au Ier septembre.

Mardi 15 août. — Fête de l'Assomption de la Sainte Vierge. La pluie est torrentielle, impossible de travailler, heureuse pluie.

Hier soir on a annoncé que par ordre de la Kommandantur toute la récolte est propriété de l'armée allemande et réquisitionnée par elle, excepté ce qui a été cultivé dans des jardins enclos, tout prélèvement personnel de récolte sera puni très sévèrement à moins d'autorisation spéciale. Il est permis de glaner dans les récoltes fauchées à la machine après l'enlèvement des gerbes, mais dans les champs fauchés à la main on ne pourra glaner qu'après le passage du râteau. Les habitants sont informés qu'il leur est défendu d'acheter des marchandises par l'intermédiaire des soldats. Les contraventions seront punies de prison jusque trois ans et d'amende pouvant aller jusqu'à 5o.ooo marks dans les cas où une punition plus sévère ne pourrait être infligée d'après les lois.

Lundi 21 août. — On a recommencé l'école pour les petits garçons et pour les petites filles.

Mardi 22 août. — On entend dans le lointain de véritables roulements de canon.

Mercredi 23 août. — On annonce : 1° II est défendu de traverser les voies ferrées autre part qu'aux passages à niveau ; 2° il est, jusqu'à nouvel ordre, interdit de récolter des noisettes ; 3° les personnes qui désirent du charbon doivent se faire inscrire à la mairie le plus tôt possible. Le canon gronde fort aujourd'hui.

Lundi 28 août. — La Kommandantur fait annoncer que : 1° II faut ramasser les fruits tombés même verts et les porter à la Kommandantur, 2° Les personnes qui ont des légumes verts en trop doivent les vendre à la Kommandantur; 3° Les personnes qui demandent des laissez-passer doivent donner le motif exact de leur déplacement. Si la déclaration est inexacte ces personnes seront punies; 4° La population doit prendre connaissance des affiches blanches et jaunes relatives aux objets requis". Les objets pouvant remplacer ceux qui seront réquisitionnés doivent être demandés à la mairie. On peut réclamer des loquets, en fer pour remplacer les loquets en cuivre qui sont tous réquisitionnés ; 5° II se trouve que bien des personnes pouvant travailler sont allées glaner au lieu de travailler. C'est pourquoi il n'est permis de glaner qu'aux enfants et aux personnes âgées de plus de soixante ans, sous la surveillance de l'instituteur ou du garde-champêtre. Ceux-ci sont responsables du glanage qui ne doit se faire que dans les champs fauchés à la machine ou dans les champs fauchés à la main après le passage du râteau. Chaque personne contrevenant à cet ordre sera sévèrement punie, sinon arrêtée sur le champ.

Mardi 29 août. — On dit que la Roumanie a déclaré la guerre à l'Autriche. Quelle complication : Le soir, orage assez violent, pluie abondante.

Mercredi 30 août. — On annonce que les fruits tombés par l'orage doivent être ramassés tout de suite et livrés à la Kommandantur.

Lundi 4 septembre 1916. On 'annonce par ordre de la Kommandantur que :

1° Les personnes qui possèdent des pots en grés ou en faïence disponibles, d'une quantité de 30 à 50 litres pour conserver les légumes, doivent les déclarer à la mairie jusqu'à demain soir, et en indiquer la contenance ;

2° II est interdit, par ordre de l'Inspection, de vendre à partir du 1er octobre des cartes postales illustrées portant l'indication de la ville, du pays, du lieu qu'elles représentent ;

3° Le glanage n'est permis qu'aux personnes âgées, de plus de 60  ans. Les glaneurs ne doivent rien retirer des gerbes.

Tous doivent être ensemble sous la conduite de M. Théodore Leturque. Ceux qui contreviendront à cet ordre  seront punis

4° Pour ce soir tous les chiens doivent être munis de leur plaque numérotée. Les chiens sans plaque seront exposés à être tués immédiatement;

5° Les personnes qui ont commandé du charbon peuvent en effectuer le paiement à la mairie, à partir d'aujourd'hui en monnaie française ou en monnaie allemande. Chaque ménage pourra recevoir 200 kilos pour 9 francs.

L'école des garçons qui s'était ouverte au cours du mois dernier est en vacances pour 15 jours. L'école des filles continue à recevoir les enfants qui se présentent.

Vendredi  8 septembre. Ce jour on annonce que :

Dans toutes les communes, dans les greniers, granges, hangars, se trouvent toujours des objets hors d'usage qui sont en état utilisable, mais qui en ce moment ne sont pas utilisés et tombent dans l'oubli.

Pour la conservation et la disponibilité de ces objets il est ordonné ce qui suit: Tous les objets hors d'usage, harnachements, cuirs, câbles, cordes, bâches, toiles de lieuses, sacs, poêles, tuyaux de poêle, etc., qui en ce moment ne sont pas en usage sont à déposer à la mairie jusqu'au 15 courant dans un endroit sec et fermé, une étiquette portant le nom du propriétaire y sera attachée. En cas de nécessité le maire pourra délivrer ces objets à l'usage des habitants, sans tenir compte s'ils appartiennent à ces habitants ou non. Il enregistrera les objets sur une liste où il indiquera le nom du propriétaire, la date et à qui il les a délivrés. Après le 15 courant on fera des perquisitions domiciliaires. Les personnes chez lesquelles on trouvera de tels objets seront sévèrement punies.

Dimanche 10 septembre. Le temps étant beau depuis trois ou quatre jours, l'autorité allemande fait travailler le dimanche dans les champs. Que la guerre est chose triste !

Lundi 11 septembre. II y a aujourd'hui deux ans que l'ennemi a pris officiellement possession du pays

Ce même jour on arrête à Vincy un homme qu'on soupçonne d'avoir la nuit d'hier à aujourd'hui défoncé les portes du réservoir général et d'avoir faussé le bélier. L'homme arrêté est-il le vrai coupable ? Il parait qu'on a trouvé chez lui des outils pouvant avoir servi aux actes qu'on lui reproche.

Mercredi 13 septembre. On affiche le nouvel emprunt allemand. Les soldats sont invités à y prendre la plus large part possible.

Jeudi 14 septembre. On annonce qu'à partir de ce jour il faut rentrer chez soi à 9 heures au lieu de 10 heures du soir.

Vendredi 15 septembre. Nouvelle émission des bons communaux que l'autorité allemande prend pour paiement des contributions de guerre.

Mardi 19 septembre. On annonce par ordre de la Kommandantur que

1° A partir d'aujourd'hui il est strictement défendu de monter dans les tours de l'église ; 2° De prendre les chiens pour aller aux champs.

Mercredi 20 septembre. Réquisition des clefs de l'église. Lettre à là Kommandantur appelant un reçu de ces clefs. Ce même-jour on annonce: ordre de la Kommandantur : Le13 avril on a annoncé ce qui suit : Toute la récolte est propriété de l'armée allemande et saisie par elle à l'exception des jardins enclos. Aujourd'hui un supplément est donné : sont exempts de la saisie les jardins non enclos situés près de la commune et contenant au plus trois ares par personne. Les propriétaires devront déclarer que ces parcelles ont toujours été employées comme jardinage avant la guerre et qu'ils n'ont point d'autres jardins enclos de contenance suffisante à leurs besoins»

Mercredi 27 septembre. —On annonce que l'autorité militaire allemande a l’intention de conduire un certain nombre d'habitants de la France occupée dans les pays de la France non occupés. Il s'agit surtout des femmes, des enfants et des vieillards qui voudront partir volontairement. Ils seront tenus de se faire inscrire à la mairie aujourd'hui jusqu'à 4 heures du soir dernier délai. Ceux qui se feraient inscrire après cette date ne pourront partir.

Le même jour on annonce que par ordre delà Kommandantur, toute la laine se trouvant dans les matelas de la population civile est réquisitionnée, même celle des matelas usagés. Les déclarations doivent être faites jusqu'à vendredi soir. On devra déclarer la quantité de laine pure et la quantité de laine mélangée avec du crin ainsi que la quantité de matière destinée à remplacer la laine : cheveux tondus, déchets divers, etc.

Après la date de la déclaration les perquisitions auront lieu, les contrevenants seront punis et la laine confisquée.

Jeudi 28 septembre. On annonce que les personnes qui demandent du charbon doivent faire leur demande jusqu'au 5 octobre soir. Le paiement se fera moitié en monnaie d'Etat, moitié en bons régionaux. Les demandes sont personnelles et ne peuvent être cédées à des tiers.

Le canon gronde très fort aujourd'hui.

Vendredi 29 septembre. — On annonce que par ordre de la Kommandantur tous les fûts disponibles à cidre et à vin doivent être déclarés à la mairie jusqu'à demain soir, en indiquant la contenance de ces fûts.

Le 25 septembre on avait annoncé que les habitants pourraient faire du cidre en petite quantité avec le sixième des fruits tombés ou abattus, on n'a donc plus besoin de tonneaux.

Samedi 30 septembre. Le canon gronde bien fort, bien fort, mais on ne sait rien de la guerre.

Dimanche 1er octobre 1916 — On annonce : « Par ordre de la Kommandantur la circulation des habitants n'est permise que de 6heures du matin à 7 heures du soir. Tout le monde doit être rentré chez soi à 7 heures et les lumières éteintes à 10 heures.

Les travaux des champs commenceront à l'aube se poursuivront jusqu'à 11 h. 1/2. Ils recommenceront à 1h. 1/2 et se poursuivront jusqu'à la nuit avec un repos de 30 minutes de 4 heures à 4 h- 1/2.'Toutes les cheminées doivent être ramonées.

Jeudi 5 octobre, Par ordre de la Kommandantur, on annonce : « Tous les habitants doivent déclarer à la Mairie jusqu'au 15 courant tous les ustensiles, objets de ménage et objets mobiliers indiqués sur la liste affichée à la mairie. Les objets en argent et ceux qui sont fournis par le ravitaillement ne sont pas soumis à cette déclaration. Pour les marmites, poêles, cuvettes et coétera on devra indiquer la matière, pour les tapis les dimensions.

Dans le cas de non déclaration ou d'objets cachés, les propriétaires seraient punis d'une amende pouvant aller jusqu'à mille marks, ou d'emprisonnement.

Mercredi 11 octobre.— Ce jour on annonce : « Par ordre de la Kommandantur 1° II faut livrer promptement les fruits tombés, il est défendu de secouer les arbres pour les faire tomber ; 2° Dans le cas où un accident quelconque se produirait, même si cet accident arrivait à quelqu'un de l'armée allemande, chaque personne doit prêter son aide sous peine de punition ; 3° Les habitants sont invités à prendre connaissance de l'affiche placardée à la mairie et à l'Hôtel-de-ville concernant les déclarations des objets servant aux besoins delà guerre. » Tous les bons de réquisition délivrés par l'autorité allemande doivent être remis à la huitaine ils seront reçus pour être numérotés et enregistrés. Passé ce délai, ils ne seront pas acceptés.

Les émissions des bons communaux de Dizy-le-Gros, Sévigny et Hannongue n'ont pas été autorisés Ces bons ne doivent plus être mis en circulation. Les communes intéressées ont l'ordre de les échanger contre des bons régionaux ou des pièces de monnaie soit française soit allemande.

Vendredi 15 octobre — On annonce ; « Par ordre de la Kommandantur, il est rappelé aux habitants que les trottoirs et les caniveaux doivent être nettoyés chaque matin. Les herbes doivent être enlevées.

La distribution du charbon commencera mardi à 9 heures du matin. Les demandes supérieures à 400 kilos seront ramenées à ce poids. Celles de 400 kilos, ou de quantité inférieure à ce poids, seront livrées selon la quantité demandée. Le paiement s'effectuera lundi matin, moitié en bons régionaux, moitié en argent français ou allemand.

Mardi 17 octobre. — On annonce par ordre de la Kommandantur : 1° « Les habitants sont informés que, à moins de cas urgent, les laissez-passer seront délivrés pour le dimanche. Les demandes ne peuvent être faites que les lundis, mercredis et vendredis.

2° On doit livrer une plus grande quantité de pommes à la Kommandantur,

3° Quand on brule des fanes de pommes de terre, il faut éteindre le feu avant la nuit.

4° On doit ramasser les noisettes, les marrons, les glands et les noix et les livrer à la Kommandantur qui les paiera o Fr. 20 le kilo.

Vendredi 20 octobre.— On annonce qu'un nombre assez considérable de bons émis par des Sociétés industrielles et par certaines communes ne doivent plus être mis en circulation. Il y a 38 bons ainsi frappés.

Mardi 31 octobre. — On a annoncé : « Par ordre de la Kommandantur, il faut remettre à la mairie une déclaration indiquant la quantité de pommes de terre que chacun possède.

1er novembre 1916. Fête de la Toussaint, belle assistance aux offices et nombreuses communions.

L'autorité militaire allemande exige que tout le monde travaille aujourd'hui : c'est déplorable ! On parle, mais à mots couverts, de la réquisition possible des cloches, après tant d'affirmations données en sens contraire arriverait-on à une telle mesure ? Quelle inquiétude !

Samedi 4 novembre. J'ai pu me procurer une brochure que vient de faire paraître un professeur de Fribourg en Brisgau, le docteur Pferlschiffer, sur la culture allemande. C’est dans cette brochure que j'ai lu les désastres de la ville et de la Cathédrale de Soissons. Que notre pauvre département est flagellé !

Dimanche 5 novembre. On annonce : « Par ordre de la Kommandantur les possesseurs de harnais à âne doivent les déclarerai à Mairie. Les possesseurs de briques, réfractaires ou de pierres réfractaires doivent aussi les déclarer, elles doivent aussi indiquer si elles possèdent de la poudre ou du sable réfractaire en faisant connaître la quantité de ces ingrédients.

Mardi 7 novembre. On annonce : Par ordre delà Kommandantur : les personnes qui ont des mèches soufrées pour la désinfection des tonneaux devront les déclarer à la mairie. On annonce aussi la vente du carbure.

Aujourd'hui on n'a plus de gaz, le charbon faisant défaut. C'est désolant : les jours sont maintenant si courts !

Vendredi 10 novembre. Les femmes et les jeunes filles de Lille qui avaient été amenées ici et dans les environs sont reconduites, dit-on, chez elles. Par contre, une vingtaine d'hommes de Chauny, paraît-il, sont internés au collège.

Samedi 11 novembre. Fête de Saint Martin, patron de la paroisse. On ne pense guère aux fêtes maintenant. Ce jour on requiert, les pioches et les gros instruments de travail.

Mercredi 15 novembre. Par ordre de la Kommandantur : II est défendu de donner asile, nourriture même en petite quantité à des prisonniers de guerre russes sauvés ou autres prisonniers civils ou étrangers inconnus, dont le séjour n'est pas expressément accordé par la Kommandantur d'Etape. Les contrevenants seront punis de trois mois de prison ou d'une amende jusqu'à concurrence de 10.000 marks. Les mêmes punitions seront infligées à tous ceux qui seraient au courant du séjour d'une personne sans passeport et ne la signaleraient pas aussitôt à là Kommandantur. En même temps que la punition des personnes particulières, une amende très forte pourrait être imposée à la commune. Dans le cas où l'amende ne pourrait être payée, un certain nombre d'hommes seraient envoyés dans des sections d'ouvriers et un certain nombre de femmes dans des maisons de travail.

Jeudi 16 novembre. Un nouveau convoi d'évacués, vieillards pour la plupart, arrivent d'Amigny-Rouy. Plusieurs de ces pauvres gens sont âgés de 75 à 80 ans. De la gare on conduit en voiture ces infortunés vieillards au collège où Mme Durand et ses enfants les reçoivent le mieux possible. C'est là que tout le lamentable convoi passe la nuit. Quel lamentable spectacle !

La chose affreuse que la guerre !!!

Vendredi 17 novembre. Dès le matin je vais au collège voir les vieillards arrivés hier soir. A la demande de l'und'eux je fais tout haut la prière du matin. Je pars ensuite au lazaret de la rue de la Gare, maison Fromud où un vieillard aveugle est hospitalisé. De là, je me rends au lazaret de la rue des Juifs, voir deux femmes malades arrivées d'Amigny hier soir.

Quand la guerre sera-t-elle terminée et n'aurons-nous plus à voir ces scènes déchirantes ? L'évacuation surtout pour les vieillards, c'est la mort anticipée.

Samedi 18 novembre, —_ Le canon tonne très fort. Le froid qui règne depuis deux jours s'accentue, hélas ! La nuit la neige est tombée en abondance, c'est la triste saison. Ce jour on installe neuf vieillards arrivés avant-hier, chez Mme Charlet-Rayet, rue du Mont-de-Laon.

Ce jour on annonce qu'une nouvelle distribution de pommes de terre aura lieu pour compléter celle qui a été faite au commencement du mois. Les tubercules sont vendus 12 Fr. 50 les cent kilogrammes.

Lundi 20 novembre. Encore une nouvelle colonie d'évacués arrive à Montcornet. Elle comprend environ 150 personnes des environs de Cambrai, de la commune d'Hennecourt. M. le Curé de la paroisse est avec eux. Tous sont logés au collège Me Durand et ses enfants s'ingénient à rendre l'exil moins rude à ces pauvres gens. Je vais passer l'après-midi près de ces évacués et fais mes efforts pour leur donner l'espoir du succès final et du retour de chacun au pays. Je me permets de leur recommander une grande prudence dans leurs conversations.

Mardi 2l novembre. Les évacués arrivés hier quittent le pays. à l'exception d'une vingtaine, pour aller dit-on, à Sévigny et à Dizy-le-Gros.

Mercredi 22 novembre. On annonce que par ordre de la Kommandantur les travaux des champs commenceront à 7 h. 30 à partir de cette semaine. Il est recommandé quand on trouve des fils de fer télégraphiques ou téléphoniques de les mettre de côté pour que le passage soit libre. Il est expressément défendu aux émigrés de sortir de la commune sans laissez-passer. S'ils veulent aller aux champs ils doivent demander un sauf-conduit.par l'intermédiaire de la mairie. En cas d'incendie dans Montcornet, chaque habitant est, tant que le signal n'a pas été donné, d'annoncer l'éclatement et l'endroit du feu au bureau de la Kommandantur. Le signal sera donné alors par un soldat qui fera résonner une trompe. Les hommes désignés par la mairie pour manœuvrer les pompes devront se rendre aussitôt au dépôt des pompes et ceux qui sont désignés pour porter l'eau devront se rendre au lieu de l'incendie.

Jeudi 23 novembre. Les évacués des environs de Cambrai qui sont restés ici sont logés ça et là, le moins mal possible.

Vendredi 24 novembre. On demande des ouvriers boulangers et des ouvriers bouchers. Les demandes doivent être adressées à la mairie jusqu'à demain soir. La nouvelle de la mort de l'empereur d'Autriche François-Joseph est annoncée avec quelques détails dans la Gazette des Ardennes.

Samedi 25 novembre Fête de Sainte Catherine. Aucune cérémonie n'est possible. Tout est triste. La lumière fait défaut à peu près partout, on s'éclaire comme on peut avec des restes de vieille huile ou avec un peu de graisse, de graisse de ravitaillement. Dans cette huile dégoûtante ou dans cette graisse à demi-figée on met un morceau d'étoffe qui sert de mèche. On voit un peu moins clair qu'avec les anciens couprons. Les belles veillées près du feu qui pétille ou du poêle qui rougit, à la joyeuse clarté du gaz ou du pétrole ne sont plus qu'un souvenir qui rend encore plus amère notre situation actuelle.

Mardi 28 novembre. II parait que la désolante mesure de l'enlèvement des cloches dans la région est suspendue. Malheureusement plusieurs cloches des paroisses de l'arrondissement sont déjà cassées et envoyées en Allemagne. Dieu veuille nous conserver les nôtres !

Ce jour on annonce que les presses à filtre doivent être avec leurs dimensions déclarées à la mairie. Les possesseurs de bidons à lait doivent faire la déclaration de ces objets à la mairie jusqu'au 2 décembre. Quiconque attrapera un pigeon vivant ou trouvera un pigeon mort est obligé de le livrer sans délai à la Kommandantur.

 Vendredi 8 décembre 1916 – La Kommandantur fait annoncer l’arrivée prochaine de souliers-galoches pour hommes à 9.50 Fr la paire (4 journées de travail) et pour femmes à 8.50 Fr (6 journées de travail d’une dame). Le fait de ne pas avoir de chaussures ne sera plus un moyen d’être dispensé de travail.

Mercredi 27 décembre. — On annonce : La Kommandantur demande tout de suite deux femmes pour assurer le service de la barrière de la Gare. Les personnes désirant remplir cet emploi devront se faire inscrire à la mairie jusqu'au jeudi 28 décembre, demain soir. Les possesseurs de haches, bêches, pelles, scies disponibles, doivent en faire la déclaration à la mairie. Toutes les machines à couper les betteraves disponibles doivent être aussi déclarées à la mairie, en indiquant séparément les machines à main et les machines à force motrice.

Jeudi 28 décembre. — On annonce que par ordre de la Kommandantur, toutes les écrémeuses et les barattes, même détériorées, doivent être livrées demain matin 29 décembre, rue du Collège, en face l'établissement.

Dimanche 31 décembre courant, à partir de 2 heures, il sera fait une vente de chaussettes, au magasin de la C. B. R., place de l'Hôtel de Ville, 28. Le prix sera de 50 à 55 centimes la paire. Puis on vendra des chaussures pour garçonnets de 2 à 12 ans. Prix : 9 francs la paire. Les amateurs devront se faire inscrire à la Mairie.

 

 

1917

Mardi 2 janvier 1917 – La cloche de Lislet est descendue par ordre de l’autorité militaire. Pauvre cloche !

Jeudi 5 janvier – Ordre de la Kommandantur : Les habitants devront prendre part plus qu’au paravent au nettoyage des rues et des trottoirs. Le nettoyage devra commencer à 9 h et être refait à 3 h de l’après midi. Les retardataires seront mis ensemble pour un plus long travail.

Prochainement, on va évacuer de nouveau les personnes de la France occupée pour la France libre par la Suisse notamment des femmes et des enfants sans ressources et des personnes incapables de travailler.

Lundi 8 janvier – On annonce : les possesseurs de pompes en cuivre déclarés devront les livrer au magasin de ravitaillement, rue St Martin, le 10 courant. La distribution de bons de charbon pour les ménages y ayant droit aura lieu demain à la Mairie.

Dimanche 14 janvier – On annonce que par ordre de la Kommandantur, les parents qui désirent envoyer des enfants de 6 à 14 ans en Hollande, pays qui veut bien les recevoir et les nourrir sont priés d’en faire la déclaration à la Mairie jusqu’à demain soir. Les parents ne peuvent accompagner leurs enfants qui leur seront remis après la guerre. Je crois qu’à Montcornet aucune famille n’a fait inscrire ses enfants pour ce voyage.

Lundi 22 janvier – Ce jour, on annonce : Il est rappelé aux habitants qu’il est défendu de donner asile et nourriture, même en petite quantité à des personnes de guerre russes sauvés ou autres inconnus dont le séjour n’est pas accordé par la Kommandantur. Les contrevenants seront punis de 3 mois de prison ou d’une amende de 10000 marks. Les mêmes punitions seront infligées à tous ceux qui seront au courant d’un séjour défendu d’une personne et ne le signaleront pas. En même temps que la punition de personnes particulières, une amende  très forte sera imposée à la commune. Dans le cas où elle ne pourrait pas être payée, un certain nombre d’hommes et de femmes seraient mis dans des sections d’ouvriers et de maisons de travail.

Jeudi 1 février  – Il fait un froid intense qui rappelle l’hiver 1879-80, mais il y a moins de neige. On parle d’une vingtaine de degrés de froid.

Dimanche 4 février – On annonce : La Kommandantur achète toutes les oies et tous les canards sans exceptions. Elle paie les oies 5.5 Fr la pièce et les canards 4 Fr Les propriétaires de ces animaux devront les livrer à la Mairie demain lundi avant midi. La population indigente est informée que Mr le commandant lui fera délivrer du bois demain.

Mardi 6 février – On annonce que pour utiliser les déchets de cuisine, la Kommandantur offre aux habitants qui désirent en faire l’élevage des petits cochons à engraisser. Les propriétaires de bois sec pouvant servir à la construction et la réparation des clôtures doivent en faire la déclaration à la Mairie. De la guerre on de sait rien.

Lundi 12 février – D’ici à vendredi prochain, on doit livrer à la Kommandantur toute la laine qui existe dans la commune, excepté celle se trouvant dans les matelas.

Mercredi 14 février – Ordre de la Kommandantur : Tous les harnais disponibles et non utilisés ainsi que les cuirs, câbles, cordes, sacs vides déchirés ou non, doivent être livrés vendredi 16 courant de 2 à 5 h, 13 rue du collège. A partir de ce jour, il est interdit d’abattre des arbres sans autorisation écrite de la Kommandantur. D’ici dimanche, toutes les semences des diverses sortes de trèfles, luzerne et autres devront être livrées à la Kommandantur.

Mercredi 21 février – Les propriétaires de jardins contigus aux maisons ou à l’extérieur à proximité du village doivent faire leur déclaration à la Mairie d’ici vendredi.

Vendredi 23 février – On annonce : La population est informée que pour une ou deux nuits, elle devra loger environs 200 personnes qui doivent être rapatriées prochainement en France. D’ici à samedi soir, les personnes qui ont des semences de pois et haricots à vendre doivent le déclarer à la Mairie en indiquant la quantité. Des perquisitions pourront être faites et les semences trouvées seront prises sans être payées.

Mardi 27 février – La taxe des chiens est à payer immédiatement. La livraison des œufs commencera le premier mars. La Kommandantur fera payer l’amende aux personnes qui ne livreraient pas exactement la quantité d’œufs qui leur est imposée. Elle exigera tous les mois de la Mairie la liste des personnes qui n’auraient pas livré le compte et celles-là paieront l’amende.

Vendredi 2 mars – Ce jour, les personnes qui ont demandé à partir pour la France partiront dimanche à 2 h du matin après avoir fait visiter leurs bagages.

Lundi 5 mars – Le temps est désolant et il neige à profusion. On annonce qu’à partir d’aujourd’hui jusqu’au 30 septembre, les habitants peuvent sortir depuis 4 h du matin jusqu’à 9 h du soir.

Mardi 6 mars – On annonce que sur les portes ou fenêtres de chaque habitation, on doit placer très lisiblement une pancarte indiquant les noms, prénoms, âge et profession, domicile de chaque habitant. Les contrevenants seront punis de 1000 marks d’amende ou de 3 mois de prison.

Lundi 12 mars – Ce jour on annonce : quand une formation de troupe arrive le soir et demande d’ouvrir les portes ou les caves, on doit le faire tout de suite.

Mardi 13 mars – On remplace la ration ordinaire de pommes de terre par des choux navets. Les pommes devant être conservées pour les planter.

Lundi 19 mars – Ce jour, l’école des garçons a été recommencée, mais l’après midi seulement, l’école ne devant pas être chauffée. De la guerre, rien de particulier. On annonce que la Russie est en révolution.

Mercredi 21 mars – Ce jour, on annonce : les personnes qui ont des pelles ou bèches ainsi que des brouettes disponibles doivent les livrer à la Mairie avant 5 h du soir. Il neige comme en décembre.

Mardi 3 avril 1917 – Ce soir, un soldat vient réquisitionner les tuyaux de l’orgue.

Jeudi 5 avril – La kommandantur donne l’ordre de retirer les bancs de l’église qui doit recevoir 400 prisonniers. Les bancs son sciés. Quand les prisonniers de guerre passeront dans les rues, il est strictement défendu aux habitants de leur parler ou de leur remettre des objets quelconques. La remise des objets de ménage et d’ustensiles en cuivre, étain ou alliage de ces métaux surtout le laiton, bronze, cuivre rouge est ordonné par la présente.

Mercredi 11 avril – On annonce : la population est informée qu’en vue d’un paiement d’une contribution de guerre, chaque habitant a été taxé par la Kommandantur à la somme de 46 Fr. Une somme de 34.270 Fr représentant la moitié de cette contribution est exigée pour ce soir 6 h. En vue d’éviter des mesures de rigueur, la municipalité fait appel à la bonne volonté des habitants, les sommes pouvant être prêtées en bon régionaux et produiront un intérêt.

Vendredi 13 avril – L’église est transformée en ambulance.

Mercredi 18 avril – Ce soir, on annonce que des prisonniers français étant arrivés hier dépourvus de tout matériel, on demande aux habitants de porter à la Mairie avant 5 h tasses, cuillères, fourchettes etc…et aussi de vieux draps destinés à faire des brassards à ces prisonniers.

Vendredi 27 avril – On met un drapeau de la Croix Rouge sur l’église qui contient environs 500 blessés

Dimanche 29 avril – Vers 9 h, un aéroplane allemand est tombé non loin de la chapelle du Calvaire, d’une hauteur de plusieurs milliers de mettre, parait-il. Aucun des hommes qui le montaient n’a même été blessé.

Lundi 30 avril – Par ordre de la Kommandantur, on doit déclarer pour ce soir 4 h à la Mairie, tous les coffres forts, petits ou grands, qui se trouvent dans la commune.

Mardi 1er mai – A minuit est passé un aéroplane qui lance des bombes dans les environs de la gare. On dit que plusieurs prisonniers russes sont tués. La canonnade a duré ¾ d’h.

Mardi 8 mai – La population est informée qu’une nouvelle contribution de guerre de 53.460 Fr est imposée à la commune.

Mercredi 9 mai – Tous les rideaux de lit se trouvant dans la commune sont à livrer à la Kommandantur avant demain soir 6 h. Tous les bidons à lait sont à apporter à la Mairie avant 4 h. La distribution de lait aux enfants de moins de trois ans rt aux vieillards de plus de 65 ans se fera demain et tous les jours de 8 h à 9 h ½ du matin chez Mr Thomas sur la grand place. Se munir de monnaie.

Lundi 14 mai – Ordre de la Kommandantur : le travail à la batteuse a lieu de 6 h du matin à midi et de 1 h à 8h1/2. Jusqu’au 20 mai, on doit délivrer les bottes de blé et foin. Après le 20 mai on fera des perquisitions et si on trouve des stocks, les propriétaires seront emprisonnés ainsi que les maires pour la durée de la guerre et l’amende sera 100 fois la valeur trouvée. Les déchets de nourriture doivent être déposés chaque matin en face des habitations.

Mardi 15 mai – On fait l’annonce suivante : A la première attaque des aéroplanes français dans la nuit du 30 avril au 1er mai, beaucoup d’habitants ont quitté leurs maisons sans avoir une raison pour coucher très loin de Montcornet, chez des parents ou des connaissances. La Kommandantur défend dans l’avenir le changement de logement pendant la nuit à cause des attaques des aéroplanes, mais il est permis de se sauver dans les caves des voisins.

Mercredi 30 mai – Tous les enfants des écoles, garçons et filles de 9 à 14 ont été requis pour aller échardonner dans les champs.

Jeudi 14 juin – Toutes les fourches à foins sont à livrer immédiatement à la Kommandantur.

Lundi 18 juin – Les enfants de toutes les écoles doivent aller dans les champs pour cueillir des plantes médicinales pour les lazarets.

Lundi 26 juin – Le démontage des cloches est terminé et elles sont emportées pour être transformées en canon pour cracher la mort.( 5800 kilos). Ce jour, tous les fruits sont réquisitionnés. Les propriétaires conservent le sixième. Les livraisons seront faites dans des paniers les lundis et les vendredis à la Kommandantur qui paiera les groseilles, les fraises et les cerises 0.40 le kilo, les prunes et les fruits sauvages 0.20. Les noyaux des fruits consommés seront rassemblés et livrés. Il manque pour les prisonniers français 1855 chemises, 2612 paires de chaussettes et 2125 pantalons. Les personnes qui ont des vêtements disponibles sont priés de les porter au plus tôt à la Mairie.

Dimanche 8 juillet 1917 – Par ordre de la Kommandantur, tout le monde travaille cet après midi. Il est interdit aux domestiques de monter sur les chevaux en se rendant au travail. Autrefois, c’était le jour de la fête du pays.

Vendredi 13 juillet – Ce jour, la Kommandantur me fait demander et j’ai rencontré le lieutenant qui s’occupe de l’aménagement intérieur de l’Eglise, et on m’annonce que je pourrai y reprendre le service le lendemain. De la guerre nous ne savons jamais rien !

Jeudi 9 aout – On annonce que les casques en cuivre des pompiers, les clairons et les tambours doivent être portés aujourd’hui même à la Mairie.

Dimanche 12 aout – Il est interdit de saler les peaux de lapin, on doit les faire sécher.

Jeudi 16 aout – Toutes les livraisons d’objets en métal doivent être faites aujourd’hui.

Dimanche 2 septembre – La Kommandantur informe que ne pouvant espérer recevoir du charbon pour l’hiver prochain, chaque ménage doit rassembler du bois mort pris aux alentours du pays.

Vendredi 7 septembre – On démonte toutes les appliques et les candélabres de l’église. Même le plat à quêter est pris.

Lundi 10 septembre – On annonce que les propriétaires sont autorisés à faire du cidre avec le sixième de fruits de leur récolte.

Samedi 15 septembre – On annonce que la commission d’hygiène passera lundi 17 pour s’assurer de bon état des cours et des cabinets.

Mercredi 19 septembre – Dans la matinée, j’ai été appelé à la Kommandantur pour percevoir de la part de Monseigneur l’Evêque de Namur une somme de 700 Fr, dont 420 pour le denier du culte et 280 pour des messes à acquitter.

Lundi 24 septembre – Les propriétaires de lapins doivent en faire la déclaration à la Mairie.

Dimanche 30 septembre – On annonce que plusieurs prisonniers se sont évadés dans le voisinage et qu’il est défendu de les héberger ou les secourir.

Vendredi 16 novembre 1917 – La triste nouvelle d’une évacuation partielle se confirme. Plus de 200 personnes doivent se préparer à partir.

Lundi 19 novembre – 132 personnes de Montcornet s’installent comme elles peuvent dans les wagons de marchandises et rejoignent les 150 des villages voisins.

Mardi 11 décembre – On donne au ravitaillement à chaque habitant 300gr de poule congelée. Pour nous, c’est une vraie friandise.

Jeudi 12 décembre – Une battue de chasse au gibier est organisée avec des jeunes filles du pays pour rabattre.

Lundi 17 décembre – on distribue aux personnes qui n’ont pas de jardin 30 kg de pommes de terre pour 7Fr50.

Samedi 29 décembre – A 2 h du matin, visite des aéroplanes. Un coup formidable fait trembler les maisons et des bombes sont tombées rue des Juifs et rue du mont de Laon. Il fait 12° sous zéro.

 

 

 

 

 

 

1918

Jeudi 3 janvier – On annonce qu’au signal donné, deux équipes d’hommes devront se rendre au pas de gymnastique, minis de seaux d’eau sue la place, le tout pour exécuter les manœuvres à faire en cas d’incendie.

Vendredi 4 janvier – Le froid augmente et devient terrible. A midi le signal de l’incendie est donné. Les hommes désignés se rendent sur la place, mais il parait que la manœuvre n’a pas été faite aussi rapidement qu’il convenait. A 3 h, nouveau signal d’incendie. Cette fois, coïncidence bizarre, le feu est au collège.  On se rend maitre bien vite de l’incendie, qui la nuit aurait eu de graves conséquences.

Dimanche 3 février – Vers 4 h du matin, les aéroplanes sont venus jeter des bombes. Quelle effroyable chose qu’un tel bombardement ! Les maison trembles, les carreaux se brisent en mille pièces. Une famille de la rue des Hauts Vents a été écrasée sous les ruines de leur maison.

Mardi 5 février – Je n’ai pas pu trouver les registres des baptêmes des années précédentes qui se trouvaient au presbytère et qui ont été subtilisés.

Mardi 19 février – Vers 9 h du soir, nouvelle visite des aéroplanes. De 9 h à 2 h du matin, le canon tonne de tous cotés, les mitrailleuses tirent contre les aéroplanes qui circulent dans l’espace. Les phares jettent de magnifiques jets de lumière. Ce serait un spectacle admirable si ce n’était pas si terrible et dangereux.

Vendredi 8 mars – Aujourd’hui, un train passe en gare emmenant des Russes de l’Ukraine dans leur patrie. Chants de joie de ces personnes qui rentrent chez eux.

Mercredi 12 mars – Ce jour on annonce qu’il faut s’arranger de manière à ne laisser passer aucune lumière vers l’extérieur, sous peine d’amende.

Dimanche 7 avril – Ce jour on distribue des semelles et des fragments de cuir pour réparer les chaussures.

Jeudi 11 avril – Des prisonniers russes travaillent au beffroi pour enlever la dernière cloche restée en place.

Jeudi 25 avril – On affiche que les personnes âgées de plus de 70 ans et les enfants de moins de 3 ans ont droit désormais à ½ litre de lait par jour.

Mercredi 1er mai – On affiche que deux hommes de Monceau les Leups ont été fusillés pour cause d’espionnage.

Vendredi 3 mai – Depuis hier, on travaille beaucoup dans l’église, on monte des poêles, on installe l’électricité. Peut être va-t-elle encore servir de Lazaret, on ne m’a pas averti.

Samedi 11 mai – On a forcé les troncs de l’église et enlevé celui de la Sainte Vierge.

Mardi 11 mai – Jour de deuil pour les paroisses de Montcornet et de Lislet. Vers 3 h ½ de l’après-midi, un accident s’est produit dans une baraque de Lislet où 45 jeunes femmes et jeunes filles travaillent, de force, depuis trois jours au maniement de la poudre. 11 sont tuées et carbonisées, beaucoup d’autres sont brulées plus ou moins grièvement. Je suis allé, accompagné de Mr l’aumônier au Lazaret de Lislet où j’ai vu quelques blessés. Dans la baraque complètement détruite où a eu lieu l’explosion, des corps calcinés sont retrouvés dans les décombres et à l’entrée de la porte. Le soir, vers 9 h, une voiture automobile amène 11 cercueils. Dans chacun on a mis un corps impossible à identifier. Un douzième contient le corps d’un soldat, brûlé lui aussi en voulant sauver des jeunes filles. Ces cercueils en bois blanc sont mis sous le porche.

L’adjudant de la Kommandantur accompagne l’aumônier des troupes allemandes me propose d’ouvrir un cercueil pour constater l’impossibilité d’identifier les corps ! Le lendemain, l’autorité allemande a fait peindre les cercueils en noir. Une brulée est morte.

Jeudi 16 mai – 10 h, enterrement des victimes de l’explosion. L’église est complètement remplie.

Mercredi 22 mai – On est très fatigués. Depuis 4 nuits, les aéroplanes viennent voler sur le pays, cherchant à lancer des bombes. L’artillerie allemande tire sur eux. Il faut descendre passer la nuit dans les caves.

Samedi 25 mai – Du linge est demander pour panser les nombreux blessés qui sont arrivés et placés dans l’église.

Mercredi 29 mai – On annonce le 20ème décès des suites de l’explosion. Des petits garçons émigrés de Laon et Sissonne ont commencé à aller au catéchisme chez Madame Romagny pour les préparer à la communion.

Jeudi 30 mai – La nuit à 2 h du matin, visites des aéroplanes. Plusieurs bombes tombent dans les jardins situés entre le Hutaut et la rue de la fontaine. On annonce que l’armée allemande avance et gagne chaque jour du terrain.

Mercredi 3 juillet 1918 – La sécheresse persiste toujours et ajoute aux malheurs de la guerre.

Samedi 17 aout – Les 3 Lazarets sont pleins de soldats blessés.

Vendredi 23 aout – La nuit a été terrible. Vers minuit, visite des aéroplanes. Un train est atteint dans les voies de chemin de la gare. Une maison est complètement détruite rue de la gare et plusieurs autres autour.

Jeudi 12 septembre – Je suis allé donner la communion à 2 soldats blessés de la guerre, un Français et un Américain !

Dimanche 15 septembre – Vers 11 h du soir, la sirène a mugit pour l’arrivée des aéroplanes. Canonnade très violente pendant ½ h.

Dimanche 6 octobre – On parle de bruits de paix, on dit que le tzar de Bulgarie a abdiqué et que le nouveau chancelier d’Allemagne est pacifiste. Tous, Français et soldats Allemands prétendent que la paix reviendra bientôt. Tant mieux.

Lundi 7 octobre – Vers 11 h du soir, visite des aéroplanes et nuit terrible. Plusieurs bombes sont tombées près de l’Eglise et au Lazaret du collège.

Jeudi 10 octobre – Beaucoup de personnes évacuées des communes environnantes sont arrivées cette nuit à Montcornet.

Mardi 14 octobre – Je vois pour la première fois un grand ballon captif allemand passer sur Montcornet.

Mercredi 23 octobre – Ce soir, on couche à la cave car on a un bombardement continue toute la nuit.

Jeudi 24 octobre – La nuit, vers 11 h, au cours d’un violent bombardement, le dépôt de munitions situé à Lislet prend feu.

Dimanche 27 octobre – La nuit, bombardement terrible. Une bombe tombe sur le mur du jardin et toutes les fenêtres du côté du mur sont démolies et le plafond de la chambre est abimé.

Mardi 5 novembre 1918 – Nuit terrible, explosions de tous côtés. Les maisons tremblent. Le pont sur le Hutaut a sauté. Il faut rester dans les caves jours et nuits.

Mercredi 6 novembre – Nuit troublée par des explosions. Vers 9 h, on vient me chercher pour un malade. Je ne vois plus aucun Allemand dans les rues. Il parait qu’ils sont tous partis pendant la nuit. A la Mairie, le drapeau tricolore flotte. Serait-ce fini ? Oui, l’ennemi c’est retiré !

Vers 9 h ½ Les mitrailleuses crépitent encore, elles tirent sur les cavaliers de patrouille qui descendent du mont de Laon. A 10 h, les patrouilles françaises sont arrivées sur la place. Les maisons se pavoisent par enchantement.

Lundi 11 novembre – On peut fêter pour la première fois depuis 1913 la Saint Martin, patron de Montcornet.

Mardi 12 novembre -  La cloche qui était retirée dans le magasin est remontée à l’église.

Le soir, magnifique retraite aux flambeaux, enthousiasme général.

Samedi 16 novembre – La grande fête de dimanche se prépare bien. La mairie fait appel à la complaisance des habitants pour prêter des drapeaux destinés à pavoiser l’Eglise. On répond avec empressement à cet appel.

Dimanche 17 novembre – Fête magnifique. Réception du général Jobard et de son état major à la porte de l’Eglise.

Lundi 18 novembre – On commence à voir revenir des prisonniers surtout de Belgique.

On se rend compte de l’étendue des dégâts dans le village, routes, ponts, maisons détruites. Que de temps il va falloir pour réparer tout cela !

 

 

 

 

 

 


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