Extrait de L'illustration N°4784 du 10 novembre 1934

 

CIMETIÈRES   AMÉRICAINS,

CHAMPS   DE   GLOIRE    EN   FRANCE

De l'ouest à l'est de notre France, des points d'arrivée des troupes américaines, annonciatrices de la bonne nouvelle, aux lieux de leurs sacrifices et de leurs exploits, s'étendent ces cimetières, s'érigent ces monuments qui sont bien l'hommage le plus éloquent de la gratitude d'un grand peuple à l'égard de ses morts.

C'est au printemps de 1923 que le général Pershing, commandant en chef des années des Etats-Unis, débarquait en France, investi, par la loi du 4 mars, d'une mission suprême, celle de commémorer, aux endroits où elle s'était battue, l'héroïque armée américaine. La commission nommée à cet effet se mit à l'œuvre ; elle fit appel aux architectes et aux sculpteurs les plus renommés des Etats-Unis et, après dix années d'un travail incessant, de l'exécution la plus probe de projets longuement étudiés, elle aboutit à l'édification de ces merveilleux témoins de pierre qui jalonnent l'ancien front occidental qui, du 1er septembre 1917 au 11 novembre 1918, compta 2 millions d'Américains parmi ses défenseurs.

Des 80.000 hommes tombés à la guerre, 30.900 sont restés en Europe, et en France pour la presque totalité ; 30.000 reposent dans six cimetières en sol français : cinq sur l'ancienne ligne de feu et un à Suresnes ; 466 dorment à Brookwood, en Angleterre, et 368 à Waereghem, en Belgique. Sur les onze monuments commémoratifs situés hors des cimetières, huit se trouvent en France, dont six dans l'ancienne zone de guerre, et deux à l'intérieur, à Brest et à Tours. Deux, également, s'élèvent en Belgique, à Audenarde et à Vierstraat, et un autre à Gibraltar.

Dans la zone de guerre, en général, un monument se trouve non loin d'un cimetière puisque c'est au cours de la bataille dont le souvenir se trouve glorifié par le bronze et le marbre que sont tombés ceux-là qu'embrasse la croix chrétienne ou qu'illuminé l'étoile judaïque. A chaque champ d'action de l'armée correspond un groupe de mémorial, désigné, comme dans les communiqués de guerre, par l'accident de terrain, la ville ou la rivière, centre des opérations. Les groupes les plus importants sont, en allant du nord-ouest vers l'est : le groupe de la Somme, avec les monuments de Cantigny, près de Montdidicr, et de Bellicourt, à l'ouest de Saint-Quentin, et, non loin de là, le cimetière de Bony ; le groupe Oise-Aisne-Marne, avec le monument de Château-Thierry et les cimetières du Bois Belleau et de Fère-en-Tardenois ; le groupe Meuse-Argonne, avec le monument de Montfaucon et le cimetière de Romagne-sous-Montfaucon, au nord de Verdun, auquel se rattache le monument de Blanc-Mont, en Champagne, au nord de Somme-Py ;  enfin, le groupe de la région de Saint-Mihel comprend le monument de Montsec, dans la plaine de Woëvre, et le cimetière de Thiaucourt.

D'une visite au cours de cet été, qui fut, à beaucoup d'égards, la révélation d'une source de beautés et d'impressions pieuses, nous avons conservé la lumineuse vision de ces édifices et de ces parcs, d'une infinie variété, mais tous marqués de ce souci de la durée et de la grandeur qui caractérise les nobles conceptions architecturales.

Essayons d'en dégager les lignes générales. Tout d'abord, le site est toujours remarquablement choisi : c'est la colline de Bellicourt, la butte de Montsec ou de Blanc-Mont, qui découvrent la Vue à plusieurs dizaines de kilomètres ; c'est le Bois Belleau, auquel s'adosse la chapelle du cimetière, ou la cuvette Romagne, dont les pentes tapissées de croix montent à l'assaut de l'azur.

Rien n'est plus divers que la forme du monument adopté : ce sera une église, une chapelle, une colonnade, un autel, un hémicycle, une pyramide, une colonne élancée, une tour trapue, une fontaine. L'inspiration sera romane, moderne, antique, au gré de l'artiste. Le jardin, ou le parc, sera classique, à la française, rectiligne, ou, suivant davantage la fantaisie de la nature, se perdra dans le bois voisin. Mais, quels que soient l'ordre ou le style adoptés, la réalisation de pierre ou de feuillage sera parfaitement exécutée, avec un souci admirable du détail, et entretenue avec un soin scrupuleux. L'Amérique ne fait pas d'économies sur ses morts et, malgré la crise, le budget national maintient les crédits nécessaires à l'achèvement de la grande œuvre du souvenir.

Les matériaux utilisés sont de premier ordre et le ciment armé est exclu de ces champs héroïques. Ces matériaux ont été demandés au pays, à la carrière ou à la forge qui pouvaient livrer le marbre le plus fin, telles les croix de marbre blanc, toutes de Carrare ; la pierre du coloris le plus pur, tel le senonville du monument de Château-Thierry ou le mecrin de la colonnade de Mont-sec ; le granit le plus rosé, comme la colonne de Montfaucon tirée des flancs de Baveno, ou encore les grilles et les portes de bronze délicatement ouvragées qui ferment l'entrée des chapelles et des cimetières et qui viennent des Etats-Unis, d'Angleterre et de France.

Invariablement, nous trouvons, incorporées au monument ou à la chapelle, la table d'orientation et la carte en pierres rares qui localisent et datent les faits d'armes et nous renseignent sur les unités qui prirent part aux combats. Sur les murs des chapelles ou des cloîtres, de longues listes donnent les noms des disparus, camarades des morts identifiés qui reposent sous la croix voisine. Le long des frises, au sommet des chapiteaux, sur l'entablement de l'autel courent les noms des villages proches, désormais célèbres par le sang qui consacra leur délivrance. Un texte en deux langues — l'anglaise et la française — nous précise encore le souvenir que la pierre taillée veut commémorer.

Face à la chapelle du cimetière s'élève l'hospitalière maison où les parents et les amis des morts trouvent un abri et peuvent, par une contemplation prolongée, emporter aux Etats-Unis, gravée à jamais dans leur mémoire, une vision réconfortante et colorée — la verdure des gazons et des arbres, l'immaculée blancheur des alignements des tombes — dominée par le mât puissant où flotte le drapeau des Stars and Stripes et que couronne l'aigle américaine. Si de nombreuses nations, et surtout la France, ont contribué par la matière première et la main-d'œuvre à l'érection de ces monuments, les Etats-Unis ont été les seuls pourvoyeurs du mât et des aigles. L'aigle est de bronze le plus souvent, mais elle est de pierre aussi ; elle est au repos; au portique de Château-Thierry, son œil sévère scrute l'horizon de la Marne ; à Thiaucourt, oiseau héraldique, sa grande ombre se déplaçant sans cesse avec le soleil, elle semble dire aux quatre coins de l'horizon : « Veillez » ; à Montsec, la tête dressée, elle projette vers le ciel un bec menaçant.; à Romagne, elle est à l'entrée majestueuse du cimetière, à la fois le gardien, le dieu et le protecteur. L'aigle américaine ne s'endort jamais.

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C'est par le nord que nous allons reprendre la route du pèlerinage, et notre point de départ sera le village de Cantigny, dans la Somme.

Le bloc de Cantigny et square qui l'entoure rappellent la première opération d'une division américaine comme unité organisée, en avril 1918, sur le front anglais : la reprise du village englobée dans l'avance allemande de mars.

De plus grande envergure est le monument de Bellicourt, à 13 kilomètres de Saint-Quentin, sur la route du Catelet. Il échelonne une belle ordonnance de marches et de paliers de pierre blanche jusqu'à l'autel central. Il rappelle l'élan américain du 29 septembre 1918 qui délogea du fameux tunnel du canal de Saint-Quentin les quartiers de l'ennemi installé à 70 mètres sous terre sur des bateaux amarrés côte à côte. Le cimetière voisin de Bony abrite les 1.900 Américains tombés sur place, et leur mémoire y est particulièrement évoquée par une chapelle, octogonale à l'intérieur, dont la décoration toute moderne s'inspire de l'armement des troupes, fusils, tanks, canons, etc., traitée avec une grande originalité. Le prisme de cristal en forme de croix qui, dans l'abside, laisse passer la lumière promène, au cours de la journée, sur les murs couverts de noms un faisceau aux sept couleurs du spectre solaire qu'on dirait sorti tout flamboyant d'une Apocalypse rajeunie.

C'est à l'ouest de Château-Thierry, à 4 kilomètres de la ville, sur la colline, cote 204, que s'élève le double portique monumental et symbolique — entrée et défense de Paris — qui commémore avec grande allure les hauts faits de la région de l'Aisne, de la Marne et de l'Oise. Face à la vallée de la Marne, un aigle stylisé et gigantesque s'arc-boute farouchement ; face à Paris, au centre de la cour d'entrée, deux statues colossales : l'Amérique et la France, attendent, confiantes, la main dans la main. Ce fut une suite d'opérations brillantes que cette seconde bataille de la Marne qui mit en ligne 300.000 Américains auprès des nôtres — le général Pershing, dès la mi-mai, avait mis toutes ses troupes à la disposition du généralissime Foch — arrêta l'avance allemande en juin et, fin juillet, réduisit finalement le saillant de Château-Thierry. Des milliers de tués au cours de l'action, à 11 kilomètres du monument, le cimetière du Bois Belleau a recueilli les corps de 2.300 d'entre eux à l'ombre d'une église romane impressionnante de simplicité et veillés par le chevalier -soldat qui se dresse, croisé du vingtième siècle, au tympan du portail.

Au nord de Château-Thierry, à 4 kilomètres de Fère-en-Tardenois, la nécropole de Seringcs-et-Nesles entoure de sa colonnade de marbre/ colorés — véritable symphonie de jaunes o), de rouges — les 6.000 héros tombés dans le secteur Oise-Aisne au cours des combats le long de l'Ourcq et de la Vesle, d'août à octobre 1918. Non loin de là, à Coulonges, repose, solitaire, Quentin Roosevelt, fils de Théodore Roosevelt.

Avant d'arriver à la région Meuse-Argonne, où domine toujours la grande voix du canon de Verdun, arrêtons-nous, en Champagne, au monument de Blanc-Mont, à une trentaine de kilomètres à l'est de Reims, au nord de Somme-Py. Il s'élève sur la butte fortifiée qui servit, dit-on, d'observatoire à Ludendorfî et à l'empereur et fut enlevée par les Américains, coopérant avec les troupes françaises, à l'offensive finale d'octobre 1918. Sa facture est moderne. C'est une tour en pierre jaune de Saône-et-Loire, surmontée d'une balustrade ornée de trophées d'armes et d'écussons des diverses divisions : le buffle, l'arc-en-ciel, l'Indien, etc.

Du monument de Blanc-Mont, par temps clair, on aperçoit à la limite de l'horizon, à l'est, la colonne de Montfaucon, de la région Meuse-Argonne. Tels autrefois les feux qui s'allumaient aux sommets des Vosges montaient la garde, tels, aujourd'hui, ces belvédères du souvenir rappellent à l'ennemi qu'on ne passera pas plus demain qu'on n'est passé hier.

Romagne-sous-Montfaucon, la plus importante par le nombre de ceux qu'elle abrite, est aussi la plus attirante, la plus parée de ces cités des morts, si vivantes, qu'ait jamais construites le soin pieux d'un peuple reconnaissant. Romagne, ce sont deux collines face à face, 14.000 croix et étoiles en rangées éblouissantes et vertigineuses dans un cadre de verdure et de fleurs, arbres rares et arbres familiers, terrasses de marbre, larges bassins où flottent les nénuphars, vasques où l'eau se déverse par des têtes de lion, et là-haut, à l'horizon, la chapelle et les cloîtres, centre du paysage.

La région de Saint-Mihiel, à la frontière lorraine, offre à la fois le mémorial le plus imposant entre tous ceux que nous avons admirés et le cimetière le plus riche en œuvres d'art d'une heureuse formule. Ils commémorent les journées du 12 au 16 septembre, les premières offensives de l'armée américaine constituée en unité indépendante, commandée par son général en chef et battant drapeau américain, c'est la victoire qui rendit Saint-Mihiel à la France - et Sampigny où, dès le 15 septembre, sous l'égide de Pershing, se rendait le grand président Raymond Poincaré. A mi-route entre Saint-Mihiel et Thiaucourt, le monument de Montsec couronne une butte-témoin, au centre de la célèbre plaine de Woëvre, d'où la vue s'étend des Hauts-de-Meuse accidentés aux collines arrondies de la Moselle, vers Pont-à-Mousson. C'est une colonnade de 25 mètres, surélevée par un socle massif auquel donne accès un escalier monumental. Chaque espace entre les colonnes découpe un paysage vers lequel nous oriente la flèche indicatrice, direction de Metz, Strasbourg, Nancy, Saint-Mihiel, etc, autant de noms qui résonnent en Lorraine comme un coup de clairon.

Ce monument a été érigé par les  Etats-Unis d'Amérique pour commémorer la réduction du saillant de Saint-Mihiel par les troupes de la 1ère armée et rappeler les services des forces expéditionnaires américaines sur les champs de bataille de cette région de Lorraine et d'Alsace. Il restera le symbole perpétuel de l'amitié et de la coopération des armées françaises et américaines.

   Le monument de Montsec est beau comme un chef-d'œuvre antique ; c'est le sommet d'une butte sacrée, Calvaire et Acropole.

A 14 kilomètres à l'est, voici la rançon de la gloire militaire, le cimetière de Thiaucourt. Une colonnade en demi-cercle terminée par une chapelle à chacune de ses extrémités ; au centre, une urne funéraire enlacée de lierre ; le tout silhouetté sur les lignes fuyantes du plateau lorrain. Une aigle héraldique coupe l'allée centrale et dirige nos pas vers le monument du jeune et valeureux soldat: qui « dort dans la douce terre de France », comme dit l'épitaphe, radieuse image de l'un des 4200 héros tous semblables dans la sérénité de leur sacrifice.

Aux portes de Paris, les 1.400 morts du cimetière de Suresnes reçoivent le 30 mai, Mémorial Day, et à la Toussaint le pieux hommage des associations américaines, de l'armée française et de la Ville île Paris. Décèdes dans les hôpitaux parisiens, c'est sur cette paisible terrasse qu'ils se sont donné rendez-vous, face à la tumultueuse cité héroïque, à sainte Geneviève et au Soldat inconnu.

En l'honneur des opérations en mer s'élève le monument de Brest, dressé sur les remparts du vieux port. A Tours, une fontaine de pierre et de bronze rappelle le dévouement des 6OO.OOO mobilisés des divers services de l'arrière. Enfin, une plaque de marbre a été placée; à la caserne Damrémont, à Chaumont, qui fut. le grand quartier général du corps expéditionnaire, et une autre a été apposée à la mairie de Souilly, résidence de l'état-majorde la Ière armée.

Par l'expression grandiose qu'ils ont donnée au souvenir de leurs morts de la grande guerre, les Américains s'élèvent, dans le bassin méditerranéen, au niveau des grands peuples bâtisseurs de l'antiquité dont les ouvrages s'offrent à l'admiration des générations successives. C'est à une grande poussée idéaliste que les Américains ont obéi en créant ces monuments à 4.000 kilomètres de la terre natale. La reconnaissance à l'égard de ceux qui ont accepté le sacrifice suprême est de tous les sentiments celui qui ennoblit le plus une nation ; l'extérioriser de manière à en provoquer incessamment l'éveil chez ceux qui visiteront au cours des siècles ces champs de gloire, c'était là une tâche difficile dont se sont acquittés magnifiquement le général Pershing et ses collaborateurs.

elisabeth clevenot

 

 

 


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